Par Cécile Philippe.
Le principe de précaution prétend nous protéger contre les risques liés aux technologies, qu’elles soient nouvelles ou anciennes, qu’ils concernent l’environnement ou notre santé. Derrière une logique en apparence irréfutable, ce principe conduit à rejeter toute innovation faute de certitude absolue sur les éventuels effets indésirables. Le « risque zéro » n’existe pas. Et l’absence absolue de toute nuisance potentielle constitue un piètre critère de choix politique. De surcroît, on chercherait en vain, encore aujourd’hui, une définition universellement admise de ce principe. Il est devenu une notion « passe-partout » qui permet d’interdire n’importe quel produit ou technologie, même quand il existe un quasi consensus quant à son innocuité.
C’est ainsi qu’en son nom la loi du 13 juillet 2011 a interdit en France l’exploitation des gaz de schiste par la technique de la fracturation hydraulique. Or, des pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni ont, au contraire, décidé d’utiliser cette technique connue depuis des décennies. Et les méthodes modernes d’exploitation des hydrocarbures non conventionnels sont une solution à nos besoins futurs d’énergie bon marché, condition sine qua non de notre développement économique. Ce même principe de précaution a conduit à interdire d’ici 2015 le bisphénol A (BPA) de tous les contenants alimentaires alors qu’il est utilisé depuis plus de 50 ans comme moyen de sécuriser les aliments que nous mangeons. Le bisphénol A, qui n’est certes pas la panacée, présente l’énorme avantage de protéger les aliments de leur contenant (le coca de sa cannette, les tomates de leur boîte de conserve). Il est un outil efficace de lutte contre les intoxications alimentaires liées à des bactéries comme l’E. Coli ou le botulisme, qui peuvent causer la mort. Cette année, on a aussi envisagé d’appliquer le principe de précaution à la cigarette électronique. Nombre d’experts reconnaissent pourtant que, sans être parfaite, cette innovation est particulièrement intéressante pour la santé des fumeurs.
Le principe de précaution continue aussi à s’appliquer aux biotechnologies. La culture précautionniste a considérablement ralenti le rythme auquel nous pouvons bénéficier des atouts de la technologie en matière d’Organismes génétiquement modifiés (OGM). Or, les bienfaits sanitaires, nutritionnels et environnementaux des progrès de l’agronomie ont été considérables ces cinquante dernières années. Au cours de cette période, la population mondiale a plus que doublé – et la production agricole quasiment triplé – tandis que les surfaces agricoles n’augmentaient que de 12%. Selon une estimation de 2012 du professeur Jesse Ausubel, les terres « épargnées » depuis les années 1960 – car les meilleurs rendements avaient rendu superflue leur conversion à des usages agricoles – équivaudraient à la superficie des États-Unis, du Canada et de la Chine réunis. Aujourd’hui, les OGM promettent d’améliorer la qualité des aliments de plusieurs manières : apport accru en vitamines, minéraux, protéines et antioxydant (comme l’ananas enrichi en lycopène), diminution des taux de toxines (tel le manioc à moindre teneur en cyanure) et d’allergènes.
Les effets pervers du principe de précaution ne doivent plus être ignorés. Il est opportun – comme osent le suggérer certains – de désacraliser ce principe et de le déconstitutionnaliser pour rendre au principe de responsabilité individuelle toute sa puissance et son efficacité. L’innovation scientifique ne peut prétendre à la perfection. Notre souci devrait être de savoir si l’innovation engendre une situation moins problématique que celle qui l’a précédée. Or, le principe de précaution, qui n’a que l’apparence du bon sens, interdit l’émergence de modes d’action meilleurs ou moins nocifs.
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Sur le web.
Une première version de ce texte a été publié le 10 février 2014 dans Le Figaro.