On entend parfois en France que le rugby ne se conceptualise pas … ce qui est sûrement perçu comme une véritable blague en Nouvelle-Zélande. Esprit de synthèse, compréhension d’ensemble de ce sport, forts ressentis, respect de certaines traditions et valeurs, maîtrise des bases, application de méthodes modernes et innovantes ; tous les entraineurs néo-zélandais issus des mêmes formations nationales s’inscrivent aujourd’hui dans des schémas théoriques et pratiques qui apportent de réelles plus-values aux autres Nations rugbystiques.
- Le Pays de Galles sert quasiment aujourd’hui de « poisson pilote », sorte de succursale internationale pour expérimentations néo-zélandaises, histoire de se confronter à la réalité du terrain sans prendre de risques à l’échelle nationale. Pour l’instant, les risques et les directions prises sont payants (un jeu attrayant et plusieurs Grands Chelems)
Graham Henry de 1998 à 2002 a posé certaines bases, Steve Hansen de 2002 à 2004 a persévéré dans cette voie tandis que Warren Gatland, de 2007 à aujourd’hui, a su tirer profit d’un « travail collectif », a amélioré l’ensemble et en récolte aujourd’hui les fruits.
« Warren Gatland, devenu le maître des Dragons Rouges»
- Stratégiquement, l’Irlande n’a pas fait les choses à moitié. Warren Gatland, encore lui, avait commencé à entraîner en 1989 le Galwegians RFC, puis avait hérité du poste de sélectionneur national entre 1998 et 2001. Matt Sexton a eu l’Ulster de 2001 à 2004. Depuis les choses se sont nettement accélérées. Aujourd’hui c’est quasiment la politique du « kiwi first ». Au final, pas moins de 8 entraîneurs néo-zélandais trustent des places de premier ordre au sein de leurs 4 Franchises et de leur équipe nationale.
Joe Schmidt ! Sans commentaires particulier … ancien membre du staff des Blues, puis adjoint de Vern Cotter à Clermont, head coach d’un Leinster Champion d’Europe, il réalise aujourd’hui un départ tonitruant avec le XV du trèfle (organisation, maîtrise, une « presque victoire » face aux All Blacks) avec pour adjoint, un certain John Plumtree, Néo-zélandais bien sûr.
Mark Anscombe, ancien adjoint de Dave Rennie puis lui-même Champion du monde avec les All Blacks U20 en 2011 contribue grandement aujourd’hui au renouveau de l’Ulster.
Pat Lam, ancien coach d’Auckland et des Blues, devenu head coach du Connacht, la plus petite Franchise irlandaise qui a accroché à son tableau de chasse cette année le Stade Toulousain.
Rob Penney, formé à Canterbury et passé par les All Blacks U20 2012, désormais head coach du Munster.
Mais aussi Simon Mannix, récemment nommé coach des arrières au Munster depuis qu’il n’est plus en charge de ceux du Racing Metro, Jono Gibbes, coach des avants au Leinster, futur coach des avants à Clermont ou encore Greg Feek, ancien pilier All Blacks et des Crusaders qui officie auprès de la mêlée du Leinster.
- L’Ecosse se fait plus discrète, mais semble avoir envie de combler son retard. Dès la fin de saison avec Clermont, Vern Cotter prendra en charge la sélection nationale écossaise portant à 3, le nombre de sélectionneurs néo-zélandais durant le Tournoi des 6 Nations.
Toutefois, à la fin de sa carrière sportive en tant que Capitaine des Barbarians victorieux du Pays de Galles (en 2002), le déjà cité, Pat Lam, a obtenu un poste d’entraîneur des avants au sein du XV du Chardon pour la Coupe du monde 2003.
Il y a également eu l’épisode Todd Blackadder, (actuellement en charge des Crusaders) en tant qu’entraîneur-joueur d’Edinburgh, mais aussi en tant qu’entraîneur des avants de l’équipe d’Ecosse (2004-2005).
- Toujours sûre d’elle-même, l’Angleterre est certainement la terre la plus hostile au mode de fonctionnement néo-zélandais.
Néanmoins, Peter Thorburn (Bristol 2001-2003), Warren Gatland (again …) avec les London Wasps (2002-2005) et Wayne Smith avec les Saints de Northampton (2001-2004) ont réussi à tirer leur épingle du jeu, même si ce fût moins le cas lors des mandats de Zinzan Brooke aux Harlequins et de John Mitchell à Sale tout récemment.
A noter pour finir avec les îles Britanniques, que même l’honneur suprême de diriger les Lions leurs a été confié : Graham Henry en 2001 et Warren Gatland en 2013. Soit 2 fois sur les 4 dernières tournées. Joe Schmidt en 2017 pour la prochaine tournée en Nouvelle-Zélande ?
- En France, la barrière de la langue freine les tentations. Cependant, l’ASM est la figure de proue de la « new-zealand touch».
Vern Cotter, head coach de Clermont depuis 2006! (Epaulé par Joe Schmidt de 2007 à 2010) a su instaurer une force de travail collectif et des fondations solides à cette équipe de Clermont. Même si les supporters auraient sûrement aimé gagner quelques titres en plus, Clermont reste une des équipes en France qui gagne ses matches en jouant le mieux au rugby … et puis ils ont enfin acquis leur 1er Bouclier de Brennus, attendu depuis des lustres en Auvergne.
« Après avoir conquis le Massif Central, direction les Highlands pour Vern Cotter »
On dit également le plus grand bien d’Iharaira Sinnott, aujourd’hui entraîneur de la défense d’Oyonnax dont la qualité du travail se fait ressentir.
Et puis impossible de ne pas mentionner « le cas Tana Umaga » qui fait partie des éléments importants à la réussite du Rugby Club Toulonnais.
- Brad Johnstone, ex coach de L’Aquila, puis sélectionneur de la Squadra de 2000 à 2002 est assurément le précurseur des coaches kiwis en Italie. S’en est suivi le passage de John Kirwan (assistant de 2000 à 2001 puis sélectionneur de l’Italie de 2002 à 2005) et celui de Jim Love du côté de Viadana.
- Il n’y a pas qu’en Europe que les entraîneurs kiwis ont la côte, car même dans le Sud, leur savoir-faire est demandé.
Robbie Deans … multiple vainqueur du Super Rugby avec les Crusaders, assistant coach chez les All Blacks, Néo-zélandais pur et dur, que la fédération australienne, fait assez incroyable, a nommé en 2008 à la tête des Wallabies !
John Plumtree, d’abord entraîneur de Swansea au Pays de Galles, puis de Wellington, a connu par la suite une brillante et très intéressante carrière en Afrique du Sud avec la Franchise des Sharks de 2008 à 2013.
Le trublion John Mitchell, ancien sélectionneur des All Blacks passé lui par l’Australie via la Force (2005-2010) puis par l’Afrique du Sud via les Lions (2010-2012).
Matt Sexton, qui est en charge des Kings depuis 2012.
Avant eux c’est Laurie Mains, ancien sélectionneur des All Blacks, qui est sorti de sa retraite pour retrouver les terrains en Afrique du Sud auprès de la Franchise des Cats (2000-2001).
Aujourd’hui il y a désormais Carlos Spencer occupant des postes en Afrique du Sud depuis 2012 (Lions, Sharks, Kings),
Et puis dernièrement c’est Andrew Mehrtens en personne (967 points avec les All Blacks, 990 avec les Crusaders, 1056 avec Canterbury, 964 en Europe), qui est venu apporter sa science du jeu au pied aux talentueux australiens de Sydney, les Waratahs.
«Je vais essayer de mettre en place une structure pour eux et aussi d’amener une autre vision, indépendante »Andrew Mehrtens
- Forcément, il n’est pas illogique ni surprenant de retrouver des Néo-zélandais à des postes directionnels au sein des équipes du Pacifique :
Wayne Pivac (Fiji), Jim Love (Tonga), Andrew McCormick (Japon), Shane Howarth (Pacific Islanders), Pat Lam (Samoa), John Boe (Samoa, Pacific Islanders), Bryan Williams (Samoa), Brad Johnstone (Fiji), David Waterston (Tonga) etc. ont tour à tour apporté leur pierre à l’édifice.
Sans oublier le travail de Graham Henry en tant que consultant au sein des Pumas (2012-2013), celui de Mike Cron, le « sorcier de la mêlée », qui court toujours le monde (Pays de Galles, Canada) pour distiller son approche et sa « science » et celui de John Kirwan à la tête de la sélection Nipponne de 2007 à 2011.
Voilà pour les plus visibles !
Sur la dernière Coupe du monde, 3 entraîneurs sur 4 en demies finales étaient Néo-zélandais (Warren Gatland, Robbie Deans et Graham Henry) … il sera dur de faire plus en termes de visibilité. Mais le travail des coaches néo-zélandais ne s’arrête pas là, ils sont aussi surreprésentés pour faire progresser et « enseigner » le rugby dans des pays mineurs du rugby.
Ainsi a d’autres niveaux, Kieran Crowley (Canada), Robin Yule (Sri Lanka, Iran), Wayne Marsters (Iran), John Boe (Uruguay, Géorgie), Errol Brain (Portugal), Alex Wyllie (Argentine), David Waterston (Namibie), Peter Throburn (USA), Chris Gibbes et Milton Haig (Géorgie) ont été ou sont toujours en postes actuellement, loin des lumières des projecteurs. J’en oublie même sûrement un sacré nombre …
Finalement, on parle souvent des départs de joueurs qui affecteraient le rugby néo-zélandais (comme ceux de Nick Evans, Chris Jack, Carl Hayman, Luke McAlister, John Afoa, Jerome Kaino, Richard Kahui, Rene Ranger etc), mais tous ces joueurs, sont au final remplacés et ne peuvent plus, pour les meilleurs d’entre eux, jouer pour d’autres sélections nationales. Les départs affaiblissent le réservoir des All Blacks mais ne renforcent pas les autres sélections, alors que l’on parle moins de la vague d’entraîneurs kiwis qui « inonde » le monde rugbystique et se retrouvant, in fine, à jouer contre les All Blacks …
Certes ce n’est que du sport, mais n’est-ce pas davantage contre-productif que l’exil de joueurs ? La qualité des entraîneurs néo-zélandais n’est-elle pas en réalité leurs denrées les plus chères ? Leurs systèmes, leurs manières d’appréhender ce jeu et de le diriger ne sont-ils pas les meilleurs moyens pour progresser ? La NZRU ne devrait-elle pas s’inquiéter davantage de ce secteur au lieu de faire des joueurs une priorité absolue, ou au moins de le mettre à un niveau équivalent ?
Quoi qu’il en soit, la Nouvelle-Zélande possède encore d’excellents techniciens au pays, et puis de toute façon, à vaincre sans péril on triomphe sans gloire.
Crédits : clongowesunion.ie, telegraph.co.uk, rugby365.fr, fijione.tv