Magazine Culture

XVIII. Java - jour 4

Publié le 02 mars 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Dernier jour plein ici avant le départ. Ce matin, faute de Merapi, je visiterai la ville de Yogyakarta, tentant de l’apprivoiser avant de m’enfuir comme un voleur. Toute la question est de savoir si j’arriverai à avoir une autre opinion de la ville que la première impression étrange du premier après-midi. Je demande un taxi pour me rendre au Taman Sari. Littéralement, Taman Sari signifie “beau jardin”. Lorsque j’arrive sur place, je me rends compte que je suis déjà passé devant, sans m’en rendre compte.
Je prends mon ticket à l’entrée, où il faut également s’acquitter d’un droit d’entrée pour… son appareil photo, autour duquel il faut faire passer une étiquette avec un élastique. A peine suis-je entré que je me fais prendre en embuscade par un guide que je n’ai pas le cœur de chasser. Le bâtiment ressemble à un fortin tellement son architecture est rigoriste, mais la fonction des lieux était beaucoup plus poétique. Ce lieu appartenait, et appartient toujours au Sultan de Yogyakarta (l’actuel se nomme Hamengku Buwono X), lequel, jusqu’à XVIIIème siècle s’en servait de jeux d’eau. Si les explications de mon guide sont vraies (je ne sais pas pourquoi, mais je garde un peu de réserve), les deux premiers bassins dans lesquels végète une eau saumâtre sont le bassin des enfants et le bassin des femmes. Du haut d’une tour, le sultan regardait les femmes se baigner et leur jetait des bouquets de fleurs qu’elles devaient attraper. La gagnante avait le droit de barboter avec le sultan dans un troisième bassin, caché celui-ci, puis de finir dans son lit de bambou au-dessous duquel brûlaient des herbes aromatiques. La légende est jolie, pas sûr qu’elle soit vraie.

L’endroit est toutefois plein de charmes, les grandes façades claires donnent une impression assez étrange d’irréalité, d’une sorte de lieu préservé au cœur de la ville bruyante. Les grands visages de Vishnu placés au-dessus des portes laissent penser que le sultan (musulman) a laissé survivre les anciennes croyances dans une sorte de syncrétisme tolérant.
Mais le temps a passé, le lieu est défraîchi et aurait besoin d’un seul petit coup de peinture et d’une eau changée de temps en temps pour avoir une belle prestance. Le lieu est d’autant plus étrange qu’il se trouve dans une enceinte, la fameuse enceinte dont j’ai suivi le tracé le premier jour, à l’intérieur vivent les 9000 personnes qui travaillent encore aujourd’hui pour le sultan. Une vraie petite ville, ou plutôt une cour complètement anachronique dans un pays qui s’ouvre (hum) à la démocratie (qui, en tout cas, vote). J’arrive à me débarrasser de mon guide qui a tenté de m’entraîner plusieurs fois dans des boutiques de batik (sans mauvais jeu de mots) avec un petit billet et après qu’il m’ait indiqué la mosquée souterraine (oui parce lorsque je lui ai demandé la direction de la mosquée, il m’en a indiqué une autre). Je passe par un chemin absolument improbable (je comprends pourquoi le guide touristique disait qu’il valait mieux se faire accompagner), par lequel il faut se baisser sous une tonnelle, passer dans la cour d’une maison basse, emprunter un chemin derrière une grille et tomber sur l’entrée d’un souterrain que j’emprunte. Arcs brisés caractéristiques de l’art arabe ; je suis sur le bon chemin. Le souterrain me fait ressortir de l’autre côté et me voici à nouveau perdu. Un type essaie de m’entraîner dans ce qu’il appelle le Taman Sari (j’en sors, banane !) et je lui demande poliment de m’indiquer la mosquée. Cet idiot me dit d’abord qu’il faut que je ressorte et que je prenne à gauche, avant de se raviser et de me montrer le chemin qui passe par la ruine qu’il squatte. Prends-moi pour une cruche. Je fais demi-tour et je tombe sur l’entrée d’un deuxième souterrain, mais je ne suis pas bien sûr de moi et la perspective de me retrouver clandestinement dans la cave de quelqu’un qui n’a rien demandé ne m’engage pas trop. Je finis par demander à un passant qui me confirme que c’est bien là.

La mosquée s’appelle Masjid Bawah Tanah en bahasa, soit littéralement mosquée souterraine. En fait de mosquée, c’est un lieu étrange qui n’a rien d’une mosquée. L’escalier descend dans un tunnel qui passe sous le niveau du sol, sous les maisons, peut-on penser vu la densité de construction dans les environs. Il débouche dans un atrium circulaire, une simple bâtisse au plan circulaire percée de fenêtres donnant sur l’extérieur pour l’aération. Au centre, un escalier à trois volées surplombe un petit bassin d’eau croupie et une quatrième volée monte vers l’étage supérieur, tout aussi circulaire que le premier, et tout aussi percé d’ouvertures. Pas de trace de mihrab ou de minbar, ou de quoi que ce soit qui rappelle qu’on est ici dans une mosquée. A mon sens, l’endroit devait servir de repaire à histoires secrètes, ou peut-être à la rigueur de cachette, mais je ne vois pas en quoi cet endroit pourrait avoir quelque chose à voir avec un lieu de culte.

Je ressors du lieu pour m’asseoir sous un arbre, lorsqu’un type m’accoste, un Indonésien, s’assoit en face de moi, se met à me parler en anglais, me demande d’où je viens et lorsqu’il est au clair sur le sujet me parle en français. Nous discutons un peu mais comme je suis désormais d’un naturel méfiant, je me demande à quel moment il va me proposer d’aller voir le musée du batik où soi-disant on ne vend rien. Mais non, il veut simplement parler, et je finis par me demander s’il n’a pas picolé un peu… En tout cas, il était plutôt sympa, et je me suis éclipsé lorsqu’il m’a proposé de venir chez lui.

Je m’arrête sous un marché couvert où on me regarde l’air de dire mais qu’est-ce qu’il fout ici celui-ci ? et où j’achète des petits paniers tressés à une vieille dame de 96 ans qui rigole de ses deux dents, presque sans marchander, juste histoire de dire, mais l’objet de la négociation devait tourner autour de 3 ou 4 centimes d’euros. Il faisait bon ici, et je me suis plu à tourner dans ce marché, respirant les odeurs du sucre de palme, des fruits sur les étalages et du poisson que personnellement, je n’aurais pas mangé.

J’achète quelques souvenirs sur jalan Malioboro et je descends vers Beringharjo mais tout est déjà fermé. J’essaie de passer par derrière ; les grilles sont fermées. Je tombe sur des gens à qui je demande à l’aide de mon traducteur :
- Tutup ? (fermé ?)
- Ya tutup (oui fermé) et il me font signe avec les doigts… huit doigts.
Je reste un peu idiot parce que je voudrais leur demander si c’est ouvert le dimanche, donc demain. Je finis par trouver la bonne formule.
- Buka minggu ? (ouvert dimanche ?)

C’est l’explosion de joie, certainement parce que j’ai réussi à me faire comprendre, ils me font signe que oui et que ça ouvre à 8h00… Je me sens fier de moi…

Je retourne à l’hôtel en attrapant le premier taxi, le conducteur est un petit monsieur tout sec, portant un bonnet de ski sur la tête, les yeux pleins de malice et qui rigole tout seul. Je manque d’éclater de rire lorsque je vois qu’il ne porte pas de chaussure. Il est vraiment très sympathique et se laisse prendre en photo.

Chauffeur de Taxi - Yogyakarta - Indonésie - mars 2014

Chauffeur de Taxi - Yogyakarta - Indonésie - mars 2014

Je rentre à l’hôtel content de ma journée, pendant laquelle finalement, j’ai plutôt bien apprécié la ville et ses habitants une fois que j’ai réussi à faire fi des margoulins qui n’en voulaient qu’à mon portefeuille parce que mon seul tort est d’avoir la peau blanche. Qui pourrait leur en vouloir ? C’est un peu agaçant mais tout ceci se fait sans méchanceté et on finit par les voir arriver gros comme des baraques avec leurs sabots dondaine, ça fait partie du jeu et on arrive vite à s’en accommoder.
Les autres, ce sont eux à la découverte desquels il faut aller.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Romuald Le Peru 1135 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines