Aujourd’hui suite et fin des interviews bilans 2013 avec les éditeurs manga. Il y aura de nouvelles entrevues avec d’autres cette année, une par mois serait un bon rythme, mais il y a beaucoup de sujets à aborder au delà des bilans chiffrés. Donc après Kazé Manga, Kurokawa, Kana et le bilan global 2013 sur Journal du Japon, on termine avec un petit éditeur qui dure et qui fait partie des rares en progression cette année : Doki-Doki et son directeur éditorial, Arnaud Plumeri.
J’ai déjà eu l’occasion de m’entretenir avec Arnaud dans les colonnes de Paoru.fr en 2012 et je renouvelle l’exercice car je trouve que l’éditeur possède des axes éditoriaux assez cohérents (qu’on les aime ou pas, ce n’est pas le souci), qu’il choisit avec un certain talent ses séries courtes (Vamos là!, Gewalt) et que le public qui le suit ne le fait pas par hasard.
Trêve de blabla, en route pour l’interview ! Bonne lecture
2013 : bilan et ventes
Bonjour Arnaud Plumeri…
En décembre Doki-Doki expliquait sur son site que 2013 serait sans doute une bonne année en terme de ventes… Qu’en est-il au final dans ce marché morose?
Je confirme que nous avons fait une bonne année, puisque Doki-Doki a progressé en 2013 de 7,5% en volume, alors que le marché a régressé de 9,4%. Nous avons sorti quasiment autant de titres qu’en 2012, donc notre croissance n’est pas liée à une augmentation de notre production, mais à de meilleures ventes.
Pourquoi, selon vous, faites-vous partie des rares éditeurs en progression cette année ?
Déjà, notre crédo est resté le même depuis des années, nous essayons de publier peu mais de publier bien : 4 ou 5 titres par mois. Et puis quelque part, nos bons résultats doivent avoir un rapport avec le choix de nos titres qui semblent parler aux lecteurs. Cela prouve que l’on peut avoir des résultats sans blockbuster au catalogue. J’espère que nos confrères limiteront un peu leur production en 2014, afin laisser souffler un peu le marché.
Sun-Ken Rock reste votre best-seller, mais recrute-t-il toujours de nouveaux lecteurs ? A combien d’exemplaires se vendent les nouveaux tomes ?
Sun-Ken Rock continue à recruter de nouveaux lecteurs. C’est dans cette optique qu’en 2013 nous avons lancé une opération offrant le volume 1 de la série aux lecteurs, et une autre opération offrant un écrin collector avec deux volumes. Chaque nouveau volume approche les 15.000 exemplaires. Nous recevons de plus en plus de messages de fans de la série, qui n’hésitent pas à nous envoyer leurs dessins, voire à faire des cosplays. Allez donc voir sur notre page Facebook !
Derrière ce titre de Boichi, quels sont les autres titres de votre catalogue qui fonctionnent ?
Sans entrer dans le détail, la majorité de nos titres s’écoulent entre 5000 et 10000 exemplaires. C’est le cas de titres tels que Freezing, Tales of Xillia Side : Milla, Servamp ou encore Iris Zero.
Sur 2013, quelles ont été les réussites et les déceptions au sein des nouveautés ?
Parmi les nouvelles séries de 2013, nous n’avons pas eu de déception notable. Rex Fabula a marché un peu moins que les autres séries, mais la série reste rentable. Servamp et Tales of Xillia Side : Milla ont tout de suite trouvé leur public. Il faut dire que le vampire no life de Servamp s’ancre bien dans l’air du temps. Quant à Tales of Xillia, il a bénéficié du lancement du jeu vidéo de Namco-Bandai en France. Nous avons aussi de bons échos pour Hanayamata qui va être, pour info, adapté en animé. Cela nous conforte dans l’idée qu’il s’agit d’un titre de qualité.
Sur vos 10 nouveautés 2013, une grande partie font 5 tomes ou moins… Quelles sont les raisons de cette stratégie ?
Nous sommes conscients que les lecteurs ont du mal avec les séries fleuves. Cela dit, quand une série leur plaît énormément, ils auront toujours tendance à la trouver trop courte. Lorsque nous signons une nouvelle série, nous pouvons avoir une idée du nombre de volumes (nous savions que Cimoc ne serait pas très long par exemple), nous pouvons aussi être surpris de voir arriver une fin plus tôt qu’attendue si le titre n’a pas connu un grand succès au Japon, ou si l’auteur a décidé de signer un autre projet.
Qu’est-ce qui fait qu’une série courte est plus rentable qu’une longue… Et est-ce le cas d’ailleurs ?
Oui et non. Antimagia en deux volumes est bien rentable pour nous, mais qui nous dit qu’en 7 volumes l’histoire ne se serait pas essoufflée, et le lecteur lassé ? En revanche, je pense qu’une série qui dépasse les 10 volumes doit être sacrément bien lancée à ses débuts pour tenir la route commercialement. Les montées en puissance à moyen terme, commercialement parlant, c’est devenu rare.
Qui dit séries courtes dit de nombreuses fins. Une fois le dernier tome sorti, est-ce qu’une série « meurt » rapidement ?
Malheureusement, nous sommes dans un système où en librairie une nouveauté chasse l’autre. Les libraires n’ayant pas un espace illimité dans leurs linéaires ont déjà du mal à avoir tous les volumes d’une série active, alors pour les séries terminées, ça devient encore plus compliqué. Certaines opérations commerciales permettent de palier un peu cela.
Par exemple, dans notre première interview en mai 2012, nous évoquions l’excellent Vamos là, terminé en 3 tomes… vous en vendez encore ?
Hélas très peu, sauf sur notre stand à Japan Expo où nous pouvons conseiller la série aux lecteurs ouverts aux bonnes surprises.
Enfin, puisque l’on parle de vente : la vente en ligne. La part d’Amazon dans les ventes de mangas ne cesse d’augmenter depuis quelques années. Que représente la part du manga vendu en ligne chez Doki-Doki, chez Amazon ou d’une manière générale ?
Entre 2012 et 2013, nos ventes ont augmenté de 34% chez Amazon. La fermeture de nombreux points de vente physique (que vous avez déjà évoquée) et la frilosité de certaines enseignes l’explique en grande partie.
Est-ce que vous pensez que vos titres sont suffisamment exposés en librairie et envisagez-vous une plate-forme de vente directe comme certains des éditeurs mangas ?
Même si j’aimerais voir davantage de mangas Doki-Doki dans les magasins, nous sommes malgré tout en progression chaque année, la situation n’est donc pas si mauvaise pour nous. Pas au point de se lancer dans la vente directe, en tout cas pour l’instant. Quoi qu’il en soit, il faudra se bouger en 2014 pour être visible.
Dans le domaine de la vente en ligne il y a aussi la vente de manga numérique. En 2012, vous évoquiez votre intérêt pour Izneo, car Bamboo, votre maison-mère, est actionnaire de la plate-forme. Qu’en-est-il ?
Ça reste pour l’instant à l’état de projet, le sujet est assez complexe par rapport aux différents interlocuteurs.
Le catalogue Doki-Doki : un éditeur qui palpite, encore et toujours !
Dans une interview à Manga News en 2011 vous évoquiez les 2 axes de votre catalogue : les séries d’action et d’aventure pour un public majoritairement masculin puis des séries entre shôjo et seinen qui s’adressent aussi bien aux garçons qu’aux filles… Qu’en est-il aujourd’hui ?
Eh bien si vous regardez notre catalogue, nous sommes restés dans cette ligne. Toujours pas de yaoï en vue !
Les titres d’action et d’aventure restent majoritaires, mais dans titres plus romantiques comme Hanayamata ou Cœurs à cœurs permettent de nous adresser à un public intéressé par les histoires sentimentales, par nature plus féminin.
En 2010 on a pu remarquer l’arrivée de Lim Dall Young dans votre catalogue et, depuis, il ne chôme pas : 40 tomes sur 5-6 séries différentes… Est-ce que ses séries se vendent bien ?
Ses séries nous ont toutes donnés satisfaction, et nous avons le soutien régulier d’une base de fan de Lim et de son écurie Artlim Media. Nous venons d’ailleurs de lancer une troisième réimpression des premiers volumes de Freezing.
Beaucoup reprochent à ses histoires d’être à l’image de leurs couvertures : faites de jolies filles à gros seins avant tout… Qu’en dites-vous ?
Je pense que les filles ont des seins normaux, et que ce sont vos lunettes qui sont trop grossissantes, voilà tout ! Plaisanterie mise à part, cela fait partie du style graphique de son studio, et je vous invite à ne pas rester bloquer sur ces « détails », aussi imposants soient-ils. Les histoires et la galerie de personnages de Lim Dall-Young sont plus riches que vous ne pourriez le penser.
Boichi comme Lim Dall Young sont des auteurs coréens travaillant pour des firmes nippones… Qu’est-ce que cela apporte en plus à leurs œuvres ?
Je ne suis pas dans le secret de la création de leurs œuvres, mais j’imagine que le mélange des deux cultures apporte un plus et une originalité qui peut faire défaut à la production 100% japonaise. Et puis il faut aussi le reconnaître, on a là affaire à de sacrés bons dessinateurs !
Autre titre phare de votre catalogue : la licence Puella Magica. Qu’est-ce qui vous a poussé à acquérir cette série, un peu différente du reste de votre catalogue, et a-t-elle porté les fruits escomptés ?
Quand on est un petit éditeur, on cherche toujours à sortir du lot, et publier le manga tiré d’un univers connu peut y contribuer. L’animé Puella Magi Madoka Magica connaît un succès mondial, c’est un raz-de-marée au Japon, même. Quand Doki-Doki a annoncé cette licence, certains m’ont dit qu’ils considéraient que nous avions franchi un cap. Cela nous a aussi permis de toucher un nouveau public : les fans d’animés et les cosplayeuses suivent de près cette série.
Est-ce que ce genre de manga pour jeune fille, comme Puella Magica ou aussi Hanayamata, est un axe que vous voulez creuser ?
Les Puella Magi oui, car nous sortons en mars un autre spin-off en 5 volumes : Puella Magi Kazumi Magica. Quant aux titres féminins ou shôjo, cela se fera en fonction de nos coups de cœurs.
Pour finir tournons nous vers 2014 : quels seront les événements marquants de l’année chez Doki-Doki ?
En juillet, nous sortirons la nouvelle série d’un mangaka très renommé en France, mais il va vous falloir attendre un peu avant de savoir. Nous lancerons une dizaine de nouvelles séries en 2014, les lecteurs devraient y trouver leur compte.
Enfin, nous disions pour commencer l’interview que le marché était en nette baisse. Les causes possibles sont nombreuses : crise financière, vieillissement du lectorat, concurrence des autres loisirs, scans, marché trop dépendant de quelques stars, sous-exposition médiatique… Comment voyez-vous les prochaines années pour le marché du manga ?
Alors, je sors ma boule de cristal… Je vois… Je vois… je vois qu’il est temps que je vous laisse, votre question est bien compliquée ! Même si nous avons déjà signé des titres pour 2015, je suis dans l’optique de profiter d’une année après l’autre et je vous conseille aussi ce bon vieux carpe diem.
Merci Arnaud Plumeri, et bonne année 2014 à Doki-Doki !
Merci à vous et bon début d’année !
Remerciements à Arnaud Plumeri pour son temps et sa bonne humeur et à Sophie Caiola pour la mise en place de l’interview. Retrouvez Doki-Doki sur leur site internet, leur page Facebook ou leur compte Twitter.
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Isan Manga (mars 2013)
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Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012 – décembre 2013)
Ki-oon (avril 2010 - avril 2011 – janvier 2012 – janvier 2013)
Kurokawa (juin 2012 – décembre 2013)
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Ototo – Taifu (octobre 2012)
Soleil Manga (mai 2013)
Tonkam (avril 2011)
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