Un puits d’inspiration sans fond. Caricaturiste, illustrateur, sculpteur mais aussi « grand reporter » de son temps, Gustave Doré est à l’honneur jusqu’au 11 mai 2014 au musée d’Orsay, au sein d’une rétrospective aussi ambitieuse que protéiforme, à l’image de son propre génie. L’imaginaire au pouvoir.
© Musée d’Orsay
De la Bible aux tréfonds de l’enfer et en passant par les croquis de presse, rien ne semble résister au délire créatif de Gustave Doré. Réputé pour avoir illustré les contes de Perrault, l’influence de son œuvre sur le cinéma actuel et la bande dessinée reste encore – paradoxalement – méconnue. Et pourtant, la dette est immense. Harry Potter, le Seigneur des Anneaux, Star Wars, King Kong et les Walt Disney en tête, tous ont puisé leurs idées dans la boulimie d’images de cet artiste insatiable. En témoigne la ressemblance frappante de certaines scènes, ou même l’aura qui se dégage d’un Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’enfer. Une horreur impassible au silence hypnotique, dont l’esthétique pousse à la contemplation et suscite même des émotions aussi complexes que la personnalité de Doré. Longtemps oublié à tort.
Joyeuseté, À Saute-mouton
© Musée d’Orsay, Dist.RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Mélancolique, fantaisiste et résolument moderne, son humour tranche avec la cruauté de certaines peintures, notamment Entre ciel et terre où une grenouille suspendue à un cerf volant, se fait emporter dans le ciel. Bon vent. Au cocasse À Saute-mouton ou joyeuseté (qui n’est pas sans rappeler l’univers du jeu Warcraft, à plus d’un siècle de différence) succèdent des représentations emblématiques du Londres industriel, dont l’ambiance lourde et anxiogène complète parfaitement les récits de Charles Dickens. Un souci du détail maîtrisé, qui lui vaudra les éloges d’Emile Zola à la parution de Don Quichotte. « On appelle ça illustrer un ouvrage : moi, je prétends que c’est le refaire. Au lieu d’un chef d’œuvre, l’esprit humain en compte deux ». Une évidence, surtout lorsque l’on sait que Doré fut le premier à donner un visage à tous les personnages de contes de fées, à commencer par le légendaire chat botté donnant le ton à l’exposition. Personnifié, expressif, se tenant sur deux jambes et non sur quatre pattes : un vrai petit homme en puissance. Son cachet viendra même voler la vedette au principal personnage dans la saga Shreck, à grands renforts de regards innocents. C’est dire si Doré était visionnaire, le plus illustre des illustrateurs.