Virer les mendiants des rues de nos villes, quelle grande idée... Quand quelques maires s'y ont mis, à la fin des années 90, on a compris que la vague sera aussi longue qu'inutile.
Manuel Valls, ce jour de débat à l'Assemblée, répondait à un député de l'opposition.
Le député...
Mardi dernier, Manuel Valls a répondu à un élu parisien sur le sujet lors des questions au gouvernement.On aurait dit quelqu'un verser de l'eau sur le sable.
Le député Pierre Lellouche lâche sa question, une "question particulièrement difficile, que vous connaissez bien" explique-t-il au ministre. Il décoche sa flèche, on a presque honte tant elle est ciblée. La chasse aux Roms se poursuit dans l'hémicycle: "la présence sur les trottoirs de la capitale de Roms, et plus généralement de populations venues d’Europe de l’Est, qui se livrent à des activités problématiques comme la mendicité agressive, les escroqueries à la charité publique, les vols à la tire à proximité des distributeurs automatiques de billets, sans parler de la prostitution des enfants, dans les gares, et d’une sorte de camping à ciel ouvert, à longueur d’année, dans les plus beaux quartiers de la capitale."
On a bien lu ou entendu... "des activités problématiques"... En quelques mots, une phrase trop longue, il accumule les clichés - étranger, rom, mendicité, prostitution, vols, charité... Qu'avait-il oublié ?
Lellouche est l'élu d'un quartier bourgeois de Paris, le neuvième arrondissement. Il s'inquiète pour son trottoir: "Paris est ainsi à la fois la première ville du monde – ou l’une des premières villes du monde – pour ce qui est du tourisme, et une capitale défigurée par des campements sauvages." Il s'inquiète, M. le député... "Dans ma propre circonscription, sur les grands boulevards et autour de l’église de la Madeleine, il y en a tous les deux cents mètres."
Lellouche est compréhensif. Il est sûr de comprendre le ministre. Il est sûr que le ministre le comprendra: "Je sais que vous connaissez ce sujet, qui est compliqué." Lellouche accuse l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne, il y a sept ans. En 2009, deux ans plus tard, il a été nommé secrétaire d'Etat en charge des affaires européennes. Sacré bon poste pour discuter, justement, de cette fameuse entrée. Le pauvre homme avoue son échec et impuissance: "Lorsque nous étions aux affaires, nous avons essayé de régler ce problème avec ces pays, en vain."
Lellouche poursuit son exposé, il glisse et dérape. Il lui manquait un argument qu'il ajoute bien volontiers: il fustige ces pays désormais membres de l'Union européenne: "Nous n’avons aucun moyen de peser sur des gouvernements qui prennent l’argent de l’Union européenne – 1,3 milliard d’euros – et qui nous envoient cette population en très grande difficulté." Notez la formule, l'enchainement des mots. Il ajoute, quelques instants plus tard: "On ne peut accepter que des pays aient tous les droits à partir du moment où ils entrent dans l’Union européenne, violent les droits de leurs minorités, et les exportent vers d’autres État membres."
Lellouche rappelle l'action de sa propre majorité. Il reconnaît l'échec. "À partir du 14 septembre 2011, c’est-à-dire peu avant votre arrivée aux affaires, monsieur le ministre, un arrêté anti-mendicité a été pris à ma demande et à celle d’autres élus parisiens". Cet arrêté, poursuit-il, permettait, "dans les quartiers les plus touristiques, comme le Louvre et les Champs-Élysées, de prendre les gens sur le terrain et de les déplacer."
Or Manuel Valls, sacré laxiste (sic!), a fait supprimer l'arrêté en question par le préfet de Paris. Son rétablissement, c'est tout ce que demande le député Lellouche. Pour la bonne tranquillité de ses administrés, du Louvre aux Champs Elysées. En juin 2012, lui et deux de ses collègues élus parisiens des beaux quartiers s'étaient fendus d'un courrier au ministre. Ils pronostiquait une "hausse de la délinquance" si un nouvel arrêté anti-mendicité n'était pas rapidement pris à Paris.
"J’en termine par là, monsieur le ministre. Je sais que c’est difficile, mais j’ai vraiment besoin de votre aide : peut-on compter sur un autre arrêté de ce type ? À défaut, que comptez-vous faire ?"
... et le ministre
"La parole est à M. le ministre de l’intérieur." Manuel Valls peut se lancer. Il fait court. Il commet d'abord l'erreur de ne rien corriger des propos du député. "Monsieur Lellouche, la question que vous posez soulève un problème plus général. Je ne suis pas sûr que les problèmes que vous évoquez, à propos de la Roumanie et de la Bulgarie, seraient réglés par un arrêté anti-mendicité à Paris !"Comme à son accoutumée, le ministre le plus populaire du gouvernement défend le pragmatisme ("Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, il faut être pragmatique."). Sur un sujet aussi sensible, on aurait d'abord attendu un rappel des principes.
Valls défend donc le renforcement de "la présence policière sur la voie publique, notamment depuis le printemps 2013, au moyen d’un plan de sécurisation des zones touristiques". Il est même allé en constater les résultats sur place... au Louvre... Quelle expédition de terrain !
"Grâce à ces mesures, les suites données aux interpellations sont plus dissuasives. Ainsi, en moins de deux ans, plus de 200 peines d’incarcération ont été prononcées contre de jeunes mineurs roumains. Sur le plan administratif, les reconduites coercitives de ressortissants roumains en situation irrégulière ont également fortement progressé en 2013 à Paris : leur nombre a crû de 47 %."Manuel Valls poursuit, sur les démantèlements des réseaux ("une dizaine d’entre eux ont été démantelés en un an, avec une nette accélération à l’automne dernier"), et des campements. A ce propos, négligeant tout rappel des circulaires du gouvernement auquel il appartient pourtant (relogement avant expulsion), Valls s'entête: "c’est une politique systématique : dix-neuf ont été démantelés en 2013."
Sur les arrêtés anti-mendicité, le ministre de l'intérieur marque au moins quelques points: il confirme au moins ce que l'on savait déjà: ils ne servent à rien sauf à soulager quelques quartier bourgeois d'une précarité qui les dérange. Primo, "une absence de recouvrement des amendes a été constatée : aucune d’entre elles n’a jamais été payée". Secundo, le dispositif ne sert pas pour "l’identification des personnes mises en cause ou leur éloignement". Enfin, le droit commun est suffisant pour "agir contre les personnes se livrant à la mendicité agressive".