A propos de la disparition d'Alain Resnais qui, à 91 ans, a travaillé jusqu'au bout à peaufiner son oeuvre multiforme, je voudrais livrer un témoignage personnel.
Mon amour de l'histoire, ma conscience politique, mon sens de l'humanisme, mon intérêt toujours très vif pour la culture juive, je l'ai en très grande partie développé à partir de la projection au lycée, sans doute vers 1960, de son court métrage sur les camps "Nuit et Brouillard". Un coup de massue pour mes jeunes années, une impresion indélébile.
A l'époque, on ne parlait pas de ce qui s'était passé ou si peu ... On ne connaissait pas l'étendue du massacre perpétré par les Nazis, de la Catastrophe, ni du nombre des victimes. Ceux qui en étaient revenus ne parlaient pas, ils éprouvaient comme la lourde responsabilité d'en être réchappé, eux ...
Ils voulaient vivre (je me réfère aux mémoires de Simone Weil). Et là, on en voyait les images, la réalité ...
Et c'est vrai que c'est un autre documentaire sorti en 1985, celui de Claude Lanzmann, qui a fait prendre conscience au plus grand nombre de la Shoah, auprès des indifférents, de ceux qui ne voulaient pas savoir ... mais donc beaucoup plus tard. En 1960, c'était encore l'omerta et je mesure aujourd'hui, à la lecture d'un article du Monde, les polémiques suscitées par le film d'Alain Resnais. Pour moi, cette projection reste profondément ancrée dans ma mémoire. J'en ai eu des cauchemard bien des nuits, j'ai encore en l'oreille la voix rauque de Michel Bouquet, les images terribles, l'impression indélébile qu'il a provoqué en moi, le désir de comprendre ... pas encore assouvi aujourd'hui.
Il fallait donc un sacré courage, en 1956, pour réaliser, produire et diffuser "Nuit et Brouillard".