Pour l’économiste Michael Pettis, l’économie de la Chine affiche présentement un déséquilibre économique significatif et insoutenable.
Par le Minarchiste.
Le déséquilibre fondamental de l’économie chinoise est la faible part de la consommation dans le PIB. Ce déséquilibre résulte de politiques visant à maintenir les taux d’intérêt artificiellement bas, surtout sur les dépôts, ce qui résulte en une subvention aux grandes entreprises emprunteuses aux frais des ménages. Face à des revenus d’épargne moins élevés, les ménages doivent épargner davantage, ce qui finance les emprunts des entreprises qui investissent. Finalement, les ménages font face à des prix d’importations élevés en raison de la devise sous-évaluée, ce qui agit comme une subvention aux entreprises exportatrices. Le résultat net est que l’investissement est surreprésenté dans le PIB, tout comme le surplus de la balance commerciale, et ce au dépens de la consommation des ménages.
Comme le démontrent les graphiques suivants, le déséquilibre existe depuis longtemps, mais c’est vraiment durant les années 2000 qu’il a atteint des niveaux extrêmes. La consommation représente dorénavant moins de 40% du PIB, alors que la plupart des pays (même en développement) sont en haut de 60%.
Ce graphique compare le niveau de consommation en Chine aux pays à « revenus élevés » :
Comme la Chine surinvestit et consomme peu, elle génère des surplus de production, qui doivent être absorbés par le reste du monde. En revanche, le déficit commercial des pays qui importent de la Chine est financé par des emprunts absorbés par l’épargne élevée des Chinois, laquelle est encore plus élevée que l’investissement. C’est de cette manière que l’équilibre économique mondial est maintenu, c’est-à-dire que pour qu’un pays ait un surplus commercial, il faut que d’autres aient un déficit, et pour qu’un pays épargne davantage qu’il n’investit, il faut que d’autres pays soient créditeurs pour absorber cette épargne excédentaire. De cette manière, l’épargne globale est équivalente à l’investissement global.
Cependant, depuis 2008, il est difficile pour le reste du monde d’absorber le surplus de production de la Chine. Les pays développés sont endettés et leurs économies sont moroses. La Chine a répondu à ces difficultés en stimulant encore plus l’investissement et donc en pelletant le problème en avant, mais comme le monde absorbe de moins en moins ses surplus, la croissance du PIB ne cesse de ralentir depuis (de 14,2% en 2007 à 7,7% en 2013). En fait, nous sommes sous l’impression que le gouvernement peut pratiquement « contrôler » la croissance du PIB à sa convenance, mais c’est faux. Tout ce que l’État contrôle est l’investissement, et il y a une limite à la croissance du PIB résultant du gaspillage pur de capital. Néanmoins, c’est ce levier que le gouvernement a actionné lors des crises de 1997 et 2008.
En réduisant les coûts d’emprunt substantiellement, la politique monétaire encourage (ou subventionne) l’investissement aux dépens des ménages qui doivent subir l’inflation subséquente. Les banques sont aussi subventionnées puisque le taux d’intérêt sur les dépôts est plafonné, leur permettant d’obtenir une marge de profit disproportionnée. Cela incite aussi les banques à prendre beaucoup de risques, d’autant plus que le risque moral est maximal vu le soutien étatique dont elles bénéficient en cas d’insolvabilité.
Pour plusieurs, le boum Chinois des années 2000 a été possible grâce à une main d’œuvre peu dispendieuse. Pourtant, plutôt que d’être « labour-intensive », la croissance chinoise a plutôt été excessivement « capital-intensive ». Ainsi, l’avantage comparatif de la Chine n’a pas vraiment été le faible coût de la main d’œuvre, mais bien le faible coût du capital grâce aux taux d’intérêt artificiellement bas. En fait, le coût réel des emprunts est plus souvent qu’autrement négatif en Chine. Les gagnants dans tout cela sont les banques, les entreprises exportatrices, les grandes entreprises qui ont accès au crédit bancaire (surtout en infrastructures et immobilier) et, au sommet de la pyramide, l’élite politique du parti communiste.
Pour certains, il n’est pas possible que la Chine ait surinvesti puisque son stock de capital per capita demeure très bas comparativement aux pays développés. Cependant, il y a un important bémol à apporter à cette affirmation. Quand un pays ne dispose pratiquement d’aucun capital productif, le moindre investissement aura un impact significativement positif sur la productivité. Par exemple, la transformation d’une route de terre battue en une route asphaltée et balisée. Ensuite cette route devient une autoroute, puis une super-autoroute à 8 voies. Qu’est-ce qui détermine si un pays comme la Chine a besoin de ce niveau d’infrastructure ? En fait, ce genre d’investissement n’améliore aucunement la capacité productive du pays, mais contribue tout de même à la croissance du PIB et permet aux entrepreneurs locaux de s’enrichir alors que les coûts sont répartis à l’ensemble du pays. Comme il n’y a pas de mécanisme de marché pour allouer le capital et régir l’investissement, le risque de gaspillage est très élevé. Finalement, le stock de capital par habitant de la Chine est plus élevé que celui de d’autres pays en développement.
Capital productif ?
Par ailleurs, dans un pays où le coût de la main d’œuvre est si peu élevé, les investissements ne peuvent pas avoir le même effet que dans les pays riches où la main d’œuvre est dispendieuse et où le remplacement de la main d’œuvre par de la machinerie est plus rentable. En Chine, la main d’œuvre est moins chère que la machinerie, donc un investissement en machines vient réduire la rentabilité plutôt que l’augmenter. Pour cette raison, il est illogique d’aspirer à ce que la Chine atteignent un stock de capital par habitant similaire aux pays riches.
Ce graphique montre que la productivité de la Chine était, en 2012, équivalente à 17% de la productivité des Américains.
Ainsi, plutôt que de créer de la richesse, une certaine part des investissements chinois en détruisent, mais les pertes sont camouflées par le fait que le coût du capital est négatif. Ces pertes sont essentiellement absorbée par les ménages. Cependant, les dettes restent et sont bien réelles. À un certain point, c’est le gouvernement qui les absorbera en sauvant les banques de l’insolvabilité. Selon Michael Pettis, c’est ce qui rend le rebalancement inévitable.
Dans un système où les mauvaises créances ne sont pas reconnues, ces pertes sont simplement refinancées et « pelletées en avant ». Elles sont épongées par un transfert de richesse en provenance des ménages vers les emprunteurs. Dans ces circonstances, la croissance actuelle est surévaluée et la croissance future sera moindre. Alors que de plus en plus de dette ne sert qu’à refinancer les mauvaises créances, l’activité économique marginale engendrée par la nouvelle dette diminue et devient insuffisante pour maintenir la croissance. La croissance par endettement est comme un tapis roulant qui tourne de plus en plus vite…
Pour qu’un rééquilibrage s’effectue, il faut que le taux d’épargne et l’investissement diminuent, ainsi que la consommation augmente. Cela résultera en un immense transfert de richesse du secteur public et corporatif au secteur des particuliers. Il y aura énormément de résistance de la part de l’élite politique face au rebalancement puisque ceux-ci bénéficient des politiques subventionnant l’investissement. C’est d’ailleurs pour cela que les inégalités ont augmenté autant en Chine : l’élite s’est enrichie sur le dos des ménages.
L’une des manières dont le gouvernement pourrait assouplir le rééquilibrage serait d’absorber les dettes corporatives au fur et à mesure que les taux d’intérêt augmentent. Cela permettrait à ces entreprises de rester en affaires et donc de continuer à payer leurs employés, mais n’impliquerait pas de changement de contrôle de ces entreprises et donc causerait moins de grogne au sein de l’élite politique. Cependant, comme ce fut le cas au Japon, le gouvernement se retrouverait avec un immense fardeau de dette. Pour la servir, le gouvernement devrait soit taxer, soit monétiser, ce qui dans les deux cas réduirait la consommation et donc retarderait le rebalancement. Le résultat serait vraisemblablement un ralentissement marqué de la croissance du PIB. L’argument qu’on entend souvent est que l’endettement demeure très bas en Chine. À cet égard, la dette officielle du gouvernement est largement sous-estimée. Il faut y ajouter les engagements, garanties et toute la dette bancaire informelle. À eux seuls, les actifs du système bancaire informel (« shadow ») représenteraient environ 60% du PIB.
L’un des arguments optimistes sur la Chine est que la mauvaise allocation des investissements (et la destruction de richesse qui va avec) n’est pas grave vu le niveaux élevé d’épargne et donc que la Chine ne dépend pas des autres pays pour son financement. Pourtant, beaucoup de pays ont connu des crises financières même s’ils étaient dans la même situation (Japon années 1980, Union Soviétique années 1950-60, États-Unis 1920, Brésil avant 1975). D’ailleurs, même si certaines crises financières ont été causées par le dépendance au financement externe (Amérique Latine après 1975 et Asie années 1990), la plupart des crises financières sont domestiques. Cependant, vu la structure économique de la Chine, son économie planifiée et ses politiques autocratiques, il est peu probable que l’ajustement se produise sous forme de crise. On observera plutôt un long ralentissement économique, voire une contraction de l’activité économique.
Certains diront que la banque centrale chinoise (la PBoC) pourra utiliser ses immenses réserves de change pour sauver les banques et absorber leurs mauvaises créances. Cet argument ne fonctionne pas. La dette chinoise est domestique et en devise locale, pas en devises étrangères. Ainsi, pour absorber ces dettes la PBoC devrait acheter des renminbi, ce qui fera augmenter leur valeur et fera très mal aux exportations tout en poussant à la hausse les taux d’intérêt. Elle provoquera donc le rééquilibrage ! Par ailleurs, Les réserves de change de la PBoC sont déjà adossées à des créances domestiques libellées en renminbi. Ces réserves ne sont pas excédentaires.
Du côté des optimistes, on entend souvent que la Chine s’urbanise, ce qui est un vecteur de croissance rapide. Ceci dit, la Chine ne croît pas parce qu’elle s’urbanise ; c’est plutôt qu’elle s’urbanise parce qu’elle croît. En fait, la croissance fait en sorte de générer des opportunités d’emploi à productivité plus élevée dans les villes, ce qui pousse les habitants des régions rurales à venir en ville pour les saisir. Le facteur de croissance résulte donc de la création d’emplois productifs, et non de l’urbanisation comme telle. L’urbanisation est un « coût » de la croissance. Bâtir des villes sans raison économique ne fera que détruire la richesse et endetter le pays davantage.
Conclusion : l’ampleur du rééquilibrage ?
Pour citer John Mills en 1867 : « Les paniques ne détruisent pas le capital ; elles ne font plutôt que révéler l’ampleur de la destruction de capital qui a déjà eu lieu suite à son déploiement dans des activités improductives ». C’est exactement ce à quoi la Chine devra faire face.Quelle devrait être l’ampleur du rééquilibrage ? Pour que la consommation soit ramenée de 35% à 50% du PIB en 10 ans, ce qui serait tout de même un niveau inférieur à la plupart des pays du monde, il faudrait que la croissance de la consommation soit de 4% supérieure à la croissance du PIB chaque année. Ainsi, pour maintenir une croissance du PIB de 7,5%, la consommation devrait croître de 11,5% par année, ce qui est peu probable. Durant la dernière décennie, celle-ci a crû de 7% à 8% par année en moyenne dans un environnement où le PIB a crû au rythme explosif de 10% à 11%. Pour y arriver, il faudrait que le taux d’épargne s’écroule près des 0% et que le crédit à la consommation se développe en Chine. Par ailleurs, une accélération de la consommation serait peu probable dans un environnement où l’investissement et les exportations diminuent, pendant qu’un changement économique structurel se produit.
Le scénario le plus probable est que nous assisterons à une libéralisation des taux d’intérêts, qui augmenteront, ainsi qu’à une réévaluation à la hausse du renminbi. La consommation pourra alors continuer de croître à 7%-8%, ce qui signifie que le PIB croîtra de 3%-4% (une vive déception pour les économistes et les marchés financiers globaux).
Le bon côté de ce rebalancement est que les ménages s’en porteront mieux. Leur pouvoir d’achat augmentera et les inégalités diminueront.
Notez que je ne prétends pas ici qu’il existe un niveau “optimal” de consommation en proportion du PIB et que tout gouvernement devrait intervenir pour l’atteindre. Ce que je cherche plutôt à dire est que si l’économie chinoise était davantage libéralisée, le niveau naturel de consommation serait sûrement bien plus élevé, et que l’éloignement actuel de cet équilibre naturel a engendré d’énormes distorsions dans l’économie qui ne pourront perdurer.
Pour plus de détails, je vous invite à lire cet excellent livre de Michael Pettis :
— Michael Pettis, Avoiding the Fall: China’s Economic Restructuring, Carnegie Endowment for International Peace, 2013, 172 pages.
Michael Pettis est un économiste basé à Beijing, professeur de finance à la Guanghua School of Management de l’Université de Pékin. Après avoir œuvré au seins de différentes institutions financières impliquées dans les marchés des capitaux, Pettis a été conseiller pour certains gouvernement dont notamment le Mexique, la Macédoine et la Corée du Sud.
« Mr Pettis reckons China’s “average growth in this decade will barely break 3%. » He is definitely smarter than your average bear, but that prediction looks aggressively pessimistic to us. We’d like to bet that growth will break 3%. (Let’s say we win if it exceeds 3.5% on average in constant yuan over the decade.) » – The Economist, March 2012.
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Sur le web.