Marie de Hennezel
Marie de Hennezel, née le 5 août 1946 à Lyon, est une psychologue et psychothérapeute française.Elle est titulaire d'un DESS de psychologie et d'un DEA de psychanalyse. Elle a travaillé pendant dix ans dans la première unité de soins palliatifs de France, créée en 1987 à l'Hôpital international de la Cité universitaire de Paris. Elle anime des conférences et des séminaires de formation à l'accompagnement de la fin de vie en France et à l'étranger.
En 1992, elle fonde avec Jean-Louis Terrangle l'Association Bernard Dunant - Sida et Ressourcement.
Elle est chargée de différentes missions d'études par les ministres de la santé Jean-François Mattéi et Xavier Bertrand.
La médecine est devenue inhumaine
Des malades négligés sur leur lit d’hôpital, humiliés, maltraités parfois. Inacceptable ! s’insurge Marie de Hennezel dans son nouveau livre “Le Souci de l’autre”. Si elle déplore le manque de personnel et de formation en psychologie, elle rappelle cette évidence : soigner passe aussi par de petites attentions, un geste, une parole, un sourire.
Psychologue clinicienne, Marie de Hennezel a participé en 1986 à la création de la toute première unité de soins palliatifs à Paris. C’est l’expérience acquise dans ce service qu’elle relate dans son premier livre – un best-seller – La Mort intime (Robert Laffont, 2001). Elle a fondé l’association Bernard Dutant Sida et ressourcement, dont l’objectif est d’accueillir ceux qui, condamnés par la médecine, sont en quête de sens.
"Le Souci de l’autre", est-ce un titre en forme de signal d’alarme ?
Marie de Hennezel: "Oui. J’entends partout des plaintes sur la déshumanisation de l’hôpital. J’ai été frappée, par exemple, par le témoignage de Jean de Kervasdoué, ancien directeur des hôpitaux qui, suite à un accident, passe par les urgences et se rend compte de l’indifférence à laquelle est confrontée une personne en état de vulnérabilité, comme nous le serons tous un jour ou l’autre. Les soignants eux-mêmes disent que leur travail a perdu sa dimension humaine".
En quoi la médecine aujourd’hui est-elle devenue inhumaine ?
Une médecine humaine est une médecine qui se préoccupe du malade avant de se préoccuper de la maladie. Or, aujourd’hui, on traite les patients davantage comme des symptômes que comme des personnes. Ils ne sont pas écoutés. Cela va jusqu’à de véritables maltraitances. Plus les personnes sont vulnérables, plus c’est fréquent, par exemple avec les personnes âgées ou gravement malades. Beaucoup de comportements envers les mères qui viennent d’accoucher manquent d’humanité.
Je donne dans mon livre celui de cette femme qui vient de mettre au monde une petite fille et se réveille le matin sans même l’avoir vue. Elle va à la nursery et s’entend dire sur un ton péremptoire par une puéricultrice: "On ne vous a pas demandé de venir, qu’est-ce que vous faites là ? " Et on lui enjoint de retourner dans sa chambre. Ça, c’est une forme de maltraitance.
Je cite Jean de Kervasdoué. La kinésithérapeute commence à s’occuper de lui, puis le plante là en disant: " Je reviens. " Et elle le laisse, pendant deux heures, nu sur son lit. Il y a aussi le témoignage d’Olivier, soigné pour une leucémie, qui n’arrivait pas à ce qu’un médecin prenne le temps de lui expliquer ce qu’il avait. On lui avait parlé de "lymphome", un terme technique qu’il ne comprenait pas. C’est une stagiaire qui lui a expliqué la gravité de sa maladie. Ce qui m’a frappée, c’est l’accumulation de ces histoires, banales et très répandues. Ce sont de petites humiliations qui, à la longue, lorsqu’une personne est vulnérable, l’affaiblissent.
Votre message, c’est "le malade est une personne" ?
Il est nécessaire de prendre en compte la vulnérabilité du malade, mais aussi sa capacité à faire face. C’est alors qu’il devient capable de mobiliser sa force intérieure. Entre médecin et malade, il s’agit d’une relation de réciprocité.
Pour quelles raisons l’hôpital s’est-il ainsi déshumanisé ?
A cause de la spécialisation. Chaque médecin s’occupe d’une maladie, sans se préoccuper de la personne dans son entier. Et il n’y a plus assez de soignants. A force de stress, ces derniers n’ont plus cette capacité d’écoute et d’attention nécessaire aux malades. De plus, les médecins « font » avec ce qu’ils ont appris. Leurs compétences sont techniques, scientifiques, mais ils n’ont pas été formés à la relation humaine et n’ont aucune notion de psychologie. Ce qui explique que, sur le plan humain, ils soient sur la défensive.
Modèle de formation de soin
Vous dites avoir rencontré beaucoup de soignants exceptionnels. Que font-ils de particulier ?
Ils font la même chose que les autres, mais différemment. Vous pouvez passer un gant de toilette sur un visage comme vous le feriez sur un évier. Ou le faire avec douceur et délicatesse, en regardant la personne, en lui souriant. Peu peut faire beaucoup.
Quel est l’exemple d’humanité qui vous a le plus frappée ?
L’humanité s’exprime toujours par de petites choses, comme du tact ou de l’attention. Ce n’est pas spectaculaire. Cela peut passer par un simple regard. Je me souviens d’un malade atteint de sclérose latérale amyotrophique, donc incapable de parler. Lorsque le médecin réanimateur lui a dit au revoir, j’ai saisi leur échange de regards, et dans le sien le médecin donnait beaucoup. Je me suis dit que cet homme complètement paralysé recevait là un geste qui l’humanisait entièrement.
Pourquoi certains restent malgré tout très humains ?
Ce sont des médecins qui, pour la plupart, ont été eux-mêmes malades. Leur propre expérience de la vulnérabilité les a menés vers une relation plus humaine.
Que peut faire le malade dans cet univers déshumanisé ?
Il doit oser demander. Interpeller sans agressivité : "J’ai besoin que vous preniez cinq minutes pour m’expliquer." Cela agacera sûrement certains soignants, mais la plupart reconnaîtront que cela les a eux-mêmes aidés. C’est comme un appel à l’humanité de l’autre.
Que proposez-vous ?
D’abord, il y a urgence à refondre la formation des médecins, en y ajoutant des cours de psychologie et d’éthique. Par ailleurs, tout le monde doit prendre conscience des vulnérabilités des soignants. Et il faut leur permettre de pouvoir les exprimer, dans des groupes de parole ou des stages de formation à la relation, au contact. Il n’y a pas de parole de l’affectif autorisée en France. Dans un colloque, un représentant du ministère de la Santé a dit aux cadres soignants: "Faites le deuil de votre sentimentalisme !"
Ce sont les règles du jeu qui doivent changer. Les pouvoirs publics doivent décréter officiellement que la relation humaine fait partie du soin. Nous sommes tous responsables. C’est le sens de mon livre. Chacun peut essayer de faire quelque chose à son niveau pour aider l’autre à être humain.
Marie de Hennezel se fait la porte-parole des personnes en état de grande vulnérabilité que sont les patients des hôpitaux. Son nouvel ouvrage multiplie les exemples d’hommes et de femmes au bord de la maltraitance. L’humain, dénonce-t-elle, est de plus en plus sacrifié sur l’autel du progrès technique et de la logique comptable. Quand on lui parle "contrainte économique", elle répond que l’argent n’est pas nécessaire pour se montrer simplement humain.
Marie de Hennezel parle en connaissance de cause. Elle a travaillé dix ans dans un service de soins palliatifs et témoigne qu’il est possible d’être confronté à des situations difficiles en gardant son humanité. Elle évoque tous les soignants qui, comme elle, "font de la résistance" et se retrouvent souvent isolés. Un livre beau et courageux, à contre-courant d’un monde qui se veut technique, efficace et "sans états d’âme".
Le Souci de l’autre de Marie de Hennezel (Robert Laffont, 2004).
Source: Valérie Colin Simard
Si l'on s'intéresse à la signification du mot "soin", on trouve "se soucier de...", "s'intéresser à...".
Ces mots mettent en jeu toute notre humanité, le corps et l'esprit qui font un tout. Dans cette relation duale entre le soignant et son malade, une relation d'égalité doit s'installer. On ne peut oublier que ce sont deux humains qui se font face et construisent ensemble un chemin dans le soin vers une amélioration ou la guérison.