Vision grinçante d’un couple en pleine implosion (femme au bord de la psychose)

Par Borokoff

A propos de Week-ends d’Anne Villacèque 

Karin Viard et Jacques Gamblin

Christine (Karin Viard) et Jean (Jacques Gamblin) et Ulrich (Ulrich Tukur) et Sylvette (Noémie Lvovsky) forment deux couples quinquagénaires en apparence heureux. Avec leurs enfants, ils aiment à se réunir dans un village de Normandie où ils viennent passer leurs vacances depuis trente ans, voisins à la ville comme à la campagne. Mais un jour, un grain de sable  vient enrayer la belle mécanique du couple formé par Christine et Jean. Ce dernier annonce sans détours à sa femme qu’il la quitte. Coup de théâtre et coup de tonnerre. Pour Christine et ses enfants, c’est tout un monde de valeurs, de certitudes qui s’écroule soudain comme un château de cartes. Un édifice familial qu’elle avait pourtant mis trente ans à construire et qu’elle croyait intouchable, forteresse indestructible…

Le troisième long-métrage d’Anne Villacèque (qu’elle a coécrit) demande de la patience. De la patience et du temps pour se laisser apprivoiser et se mettre en place.

Jacques Gamblin, Ulrich Tukur

Dans Week-ends, une famille en apparence solide va peu à peu se fissurer et imploser. S’appuyant sur un quatuor d’acteurs tous excellents, la caméra d’Anne Villacèque scrute avec minutie et en détails le délitement inattendu d’un couple en apparence solide et uni. La mise en scène est sèche et épurée, rythmée par la seule musique du concerto de Bach dont la tonalité lugubre renvoie aux décors des plages froides de Normandie, à ses paysages humides, à sa campagne glaçante tantôt sous la neige tantôt sous la pluie. Dommage qu’une voix-off nasillarde et mal assurée (mal placée en tout cas) vienne inutilement retracer le fil des évènements. Elle ne fait que semer la confusion dans la chronologie et l’esprit du spectateur. Sans doute l’hommage à Truffaut, passé maître dans le genre et dans cet art (Jules et Jim), était-il trop tentant.

Si la voix-off créé un désordre temporel, elle n’enlève fort heureusement rien aux qualités de la mise en scène ni au jeu de ses acteurs.

Karin Viard, Noémie Lvovsky

L’explosion du couple formé par Jean et Christine est filmée au fil des saisons, la plupart du temps du point de vue de leurs amis Ulrich et Sylvette. Anne Villacèque excelle à montrer le malaise des protagonistes, dans des situations souvent grinçantes et inconfortables pour eux, ce qui donne à Week-ends tout son sel.

Qui sont exactement Ulrich et Sylvette pour Jean et Christine ? Que représentent-ils exactement ? Pas vraiment des amis mais davantage que de simples voisins, ce sont des complices de longue date qui ne savent étrangement pas comment réagir face à la situation et au drame que vivent Jean et Christine. Comme s’ils ne savaient pas où se mettre, à la fois gênés et mal à l’aise, hésitant quant à l’attitude à adopter, oscillant entre distance et intervention, entre rester à l’écart ou leur venir en aide, par humanité ou par compassion (ou pour ne pas avoir l’air indifférents) pour un couple qu’on ne peut pas laisser s’entre-déchirer quand même. Jamais Villacèque ne juge ses personnages. Jamais elle ne tombe dans le pathos ni la commisération, toujours juste et grinçante dans son ton, à l’image de ce couple discordant.

Noémie Lvovsky, Ulrich Tukur

Le divorce entre Jean et Christine serait presque banal si la réalisatrice, malgré le recours maladroit à la voix-off dont on parlé plus haut, n’optait pas pour une mise en scène tout en sobriété et en économie de moyens (froide comme un jardin sous la neige) qui n’en fait que mieux ressortir le jeu des acteurs, entre un Gamblin qui joue à merveille les paumés (le regard absent) et une Viard à nouveau « rayonnante » en épouse charismatique mais proche de l’hystérie. C’est que Villacèque excelle à disséquer les déchirements, à déceler les failles, à décortiquer la souffrance psychologique de ses personnages comme leur (re)sentiment. Une rancœur intime, cachée pendant des années mais qui tourne à l’aigreur. Comme un bouquet de chardons tendu rageusement à l’autre, un feu d’artifices explosant de colère et d’une amertume trop longtemps enfouie et contenue.

Villacèque peut s’appuyer sur quatre acteurs extraordinaires, à qui elle fait entièrement confiance du reste.

Gisèle Casadesus

Ce qui ressort de Week-ends, au-delà de la misère humaine de Christine et de Jean, c’est leur sentiment d’abandon, leur peur d’une solitude trop lourde à gérer, à porter tout seul malgré le regard à la fois rassurant et compatissant mais impuissant de leurs voisins. La misère humaine de Jean (superbement incarné par Gamblin) est si palpable et si tangible, si criante qu’elle en devient poignante à la fin jusqu’à faire froid dans le dos.

Et peu à peu, Week-ends trouve ainsi sa forme et son ton subtil comme son style très personnel et un sens profond inattendu voire inespéré au vu de la lenteur du film au début et de l’appréhension d’un spectateur au départ rétif voire perplexe. Avec sa mise en scène enlevée (à l’image de la chute parfaite), Villacèque excelle à mettre sans concessions le doigt là où ça fait mal. Pour le plus grand « plaisir » (vicieux) du spectateur…

http://www.youtube.com/watch?v=Q-WYG2IMnkw

Scénario de Sophie Fillières, Anne Villacèque et Gilles Taurand : 

Mise en scène : 

Acteurs :