d'après "LA FOLLE" de Maupassant
Il gelait à fendre les pierres.
Je m’en souviens comme d’hier.
Les prussiens arrivaient.
Leur colonel répartissait
Ses hommes entre les habitants.
J’en eus dix.
Ma voisine, âgée et démente, en eut six
Dont le commandant.
On avait prévenu l’officier :
-« Cette femme est folle à lier.
Il y a douze ans,
Elle eut un chagrin violent.
Depuis, elle refuse de se lever. »
Il n’en crut rien et pensait :
Elle ne veut ni nous héberger
Ni même nous parler.
Il voulut la voir. On le fit entrer :
-« Che vous prierai,
Matame, de fous lever. »
Elle tourna vers lui des yeux délavés.
-« Si fous ne fous levez bas de pon gré,
C’est de force que che fous ferez
Bromener temain. »
Le lendemain,
Quand sa servante voulut l’habiller,
La folle se mit à hurler.
Aussitôt l’officier prussien monta.
La servante s’exclama :
-« Elle ne veut pas.
Monsieur, elle ne veut pas ! »
L’officier cria menaçant :
-« Si fous ne foulez pas fous hapiller,
Nous férons
Ensemble une bétite excursion. »
Le commandant
Donna des ordres en allemand.
L’on vit sortir des soldats
Soutenant la folle sur son matelas
Comme s’ils transportaient un blessé.
Et derrière le lit qui se balançait,
Un lieutenant portait ses vêtements.
Le cortège pénétra dans la forêt.
Mais les Prussiens en ressortirent seuls.
Où avaient-ils déposé l’aïeule ?
On ne le sut jamais.
La neige tombait.
Les loups hurlaient.
La pensée de cette vieille femme me hantait.
Je fis des démarches auprès des autorités.
En vain.
Le printemps revint.
La maison de la folle restait fermée.
L’herbe poussait dru dans les allées.
Mi-octobre, à la chasse,
Je tuais une bécasse
Qui disparut dans un fossé.
J’allais la ramasser
Quand je vis, gisant au sol, quelques ossements.
Le souvenir de la folle me revenant
En mémoire,
Je compris avec horreur et désespoir
Que les Prussiens l’avaient abandonnée.
Les loups l’avaient dévorée
Et des oiseaux avaient fait leur nid
Dans la laine de son lit.