Je vais régulièrement (mais assez peu fréquemment) assister à des spectacles de danse contemporaine. Souvent seule, parce que je me décide au dernier moment et que j'y vais souvent sur un coup de tête, et parce que peu de mes relations partagent mon goût pour cette forme d'expression artistisque.
Vendredi 14 février dernier, j'étais donc au théâtre de la Ville pour assister au spectacle de Dave St-Pierre, "la pornographie des âmes", soirée réservée en parcourant la programmation de la salle, réservation lancée simplement pour son titre magnifique.
Comme à l'accoutumée, j'ai pris soin d'éviter toute information concernant le spectacle, histoire de me laisser surprendre par l'évènement. Bien m'en a pris.
Car des surprises, il y en a eu.
A commencer par le livret qui à lui seul résume complètement l'esprit de l'auteur, qui crée en se fichant pas mal du qu'en dira-t'on et des codes imposés par sa profession.
Extraits de ce livret pas comme les autres :
"Compagnie de danse? Compagnie de théâtre? De danse théâtre? De théâtre dansé? De danse contemporaine? De théâtre physique? Compagnie d'expression corporelle brutale et vulgaire? Compagnie de performance hyper-intellectuelle pour l'élite? Compagnie fourre-tout artistique encline à la facilité? Appelez donc ça comme vous voulez!
Fondée en 2004, la compagnie a rapidement gagné une certaine sympathie du public et une antipathie de son milieu. Dirigée par Dave St-Pierre lui même (monsieur intègre, ce qui fait chier bien du monde), la compagnie frôle toujours les cataclysmes, folâtre avec l'éphémère, vit d'une pièce de danse et flirte obligatoirement avec les côtés sombres de l'humanité (voir ici les producteurs et les subventionneurs) mais malgré tout, la compagnie baigne à tout coup dans un bonheur immense (I fucking wish!).
(...)
Toute cette équipe s'efforce de donner le meilleur de chacun pour trouver un équilibre viable dans ce fatras de paperasse, de chaos et de plaisirs dénudés.
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Prix et autres futilités
Dave a été nommé ceci, et puis cela, puis gagné ceci et gagné cela. C'est beaucoup! Ce n'est plus un secret, j'ai volé des idées à Jan Fabre, Pina Baush et Wim Vandekeybus. Je reviens toujours avec la même recette (pourquoi se forcer quand un truc fonctionne déjà?). Par exemple : la nudité, les cris, le faux-sang, la vulgarité et je "perds souvent l'intelligence, la pertinence et l'importance de mes propos, parce que j'éprouve un amour indomptable pour la caricature, la gratuité du geste et la provocation facile" (aka Eve Lalonde, dfdanse.com 2007).
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(Les éléments précédents sont tirés de la biographie de Dave St-Pierre apparaissant sur le livret du spectacle, je vais maintenant livrer ici une part de la rubrique "démarche artistique" de ce même livret)
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Je suis facilement impressionnable. Le name dropping est pas mal la solution pour vous décrire ce qui m'impressionne et m'inspire :
Catherine Breillat, Harmony Korine, Vincent Gallo, Bruno Dumont, Romeo Castellucci, Pippo Delbono; Jan Fabre, Lars Von Trier, David Lynch, Louise Lecavalier, Gene Kelly, Fred Astaire, Vera Ellen, Ann Margret et Beyonce.
On aime ou on déteste.
Mon mot-clé : foncer. J'ai lu une phrase sur Facebook qui m'a beaucoup touché. Une seule phrase et tout est dit : "le bonheur n'est pas assez pour moi. Je demande l'euphorie".
Voici un peu de "bla bla" artistique pour faire plaisir à ceux qui ont tant besoin de comprendre le pourquoi du comment.
J'essaie de m'inscrire dans le moment présent, l'ici. L'immédiateté. J'essaie de mettre en valeur le passé, de laisser une trace indélébile de ceux qui m'inspirent. L'erreur et l'excès sont les moteurs principaux.
L'erreur est et sera toujours présente. C'est elle qui est responsable de l'ici et du maintenant. C'est l'erreur qui rend l'humain plus humain que nature. L'excès est viscéral. Je n'y peux rien, c'est là, dans mon esprit.
J'essaie de rester ouvert à l'imprévu et à l'inconnu. J'essaie de faire confiance à l'instinct et aux accidents du présent. Je me laisse le droit de ne pas tout contrôler.
Je m'oblige ainsi à redéfinir sans cesse mes paramètres de création, ma bien petite vision de ce qu'un spectacle doit dire, projeter, hurler. J'essaie de me mettre en danger. Le corps devient une réalité déconcertante et s'installent dès lors cette faiblesse, cette précarité qui font que l'on se sent profondément humain.
Je travaille donc avec ce sentiment de peur qui se mêle à la frustration et au mécontentement, mais qui rime avec surprises et découvertes. Devant ce fait, il ne me reste qu'à créer. Créer ce qui me parle, ce qui me donne la chair de poule, ce qui me fait pleurer, me fait rire, ce qui me fait enrager, me fait douter, me fait du bien comme du mal. Je veux être excité, destabilisé, percuté.
Mais, par-dessus tout, trouver la façon pour que tous ces verbes puissent aussi venir toucher mes interprètes et le public.
Ca ne sera jamais assez pour moi.
Jamais assez vulgaire.
Jamais assez chaotique.
Jamais assez violent.
Jamais assez virulent.
Jamais assez animal.
Jamais assez humain.
Jamais assez perdu.
Jamais assez de cran.
Jamais assez intègre.
J'essaie de rester intègre face à moi, mes désirs, mes valeurs et mes contradictions.
D. St-P.
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Je ne saurais te dire combien ces mots ont pu me toucher, profondément. On y sent toute la sincérité d'un homme qui doute sans cesse mais veut tester ses propres limites et les limites de son art pour aller provoquer chez l'Autre (et chez lui également) des émotions puissantes.
Avant que ne débute le spectacle et après avoir parcouru ces mots, j'étais déjà sous le charme de l'artiste.
Le reste n'a pas fait mentir ma première impression.
Bien au contraire.
Je ne vais pas ici tenter de te décrire par le menu "la pornographie des âmes", j'en serais bien incapable de toute façon. Je vais seulement te dire la surprise de découvrir un alphabet de plateaux dans lesquels on trouve du sang, des souffles, des cris, des spasmes, des rires, des larmes...bref, de la vie.
Et de la mort aussi.
Les frissons, souvent, sont de la partie.
Les corps. Parfois vêtus, souvent nus.
Des corps beaux dans leur nudité et dans leur diversité.
Les moments de tension émotionnelle interrompus par une scène récurrente : une jeune femme laisse des messages sur le répondeur de son ex. On est ému par sa solitude et son impuissance. On sourit devant le ridicule qui revient souvent dans ses interventions. Procédé malin qui permet de faire redescendre l'émotion d'un cran. Avant de repartir de plus belle dans le tableau suivant. Ascenseur émotionnel.
Le jeu est omniprésent.
L'auteur force le regard à circuler, s'offre un clin d'oeil à l'actualité, rit de nos petits travers et des grandes tragédies qui rythment nos vies.
Ces danseurs-comédiens qui s'agitent en tous sens, sans toujours sembler viser un but précis, qui rient, tremblent, sautent dans le vide, font confiance, aiment et s'énervent, frappent, dansent et meurent, émeuvent constamment. L'éventail des émotions est d'une largeur extrême et c'est sans doute de là que nait le trouble délicieux généré par ce spectacle.
Ce spectacle explosif qu'est "la pornographie des âmes" réussit la prouesse de permettre au spectateur de se sentir un peu plus vivant.
Il m'a permis de découvrir le grand Dave St-Pierre dont je vais désormais suivre le parcours de près. Il m'est avis que tu ferais bien d'en faire autant : Il y a du génie dans cet homme là!
Dave St Pierre - La pornographie des ames par gianbo56