Il n'est pas inutile, comme le fait l'auteur du livre "Vernaculaires" de définir d'entrée le sens de ce mot appliqué à la photographie. Sur un plan général, la photographie vernaculaire a une fonction utilitaire, une photographie conçue comme un outil de service. Cette fonction se vérifie dans la plupart des cas : photographies scientifiques, militaires ou médicales, clichés ethnographiques, vues aériennes, images servant de documents pour les artistes, de relevés pour les architectes ou de preuves pour les constats d’assurance.... On pourrait multiplier les exemples.
L'auteur exclut de cette notion de photographie vernaculaire les photos de presse, de mode ou de publicité considérant que celles-ci constituent désormais des catégories autonomes
" La photographie vernaculaire est aussi domestique. La famille est l’une de ses principales zones d’intervention ou de circulation. Les portraits de premiers communiants, les photographies de mariage, les images réalisées dans les villages par les photographes ambulants ou forains et, qui plus est, toute la production des amateurs constituent l’autre grand réservoir de vernaculaire."
Dans ce vaste panorama de la photographie vernaculaire, l'auteur oriente le projecteur sur quelques aspects particuliers : l'étonnante vogue des photos (canulars) de spectres,les photographies au rayon X, la photographie domestique, la photographie foraine ... On découvre cette étonnante dérive de la photographie des rayons X. Parmi les différentes attractions que permettent les rayons X, les séances de «néo-occultisme » furent particulièrement appréciées dans les soirées mondaines. Dans un grand salon rassemblant les convives, on dissimulait un générateur de rayons X. La pièce est plongée dans l’obscurité, le générateur se met en marche et, immédiatement, selon une propriété connue des rayons X, tous les objets en verre se mettent à briller d’une étrange fluorescence : le service de table s’illumine, le lustre de cristal étincelle, le miroir s’enflamme et les bijoux des invitées scintillent de tous feux ; le salon, il y a un instant si sombre, s’emplit d’une fantastique lueur bleuâtre.
La révolution amateur
Mais l'univers de la photographie "amateur" constitue un univers de choix pour cette approche de la photographie vernaculaire. Et la technique a joué un rôle déterminant : La révolution du gélatine-bromure d’argent entraîna tout à la fois la transformation du dispositif photographique dans son entier, et la mutation de toute la chaîne de production qui abandonna alors la logique artisanale qui prévalait jusqu’alors pour adopter des méthodes résolument industrielles . C’est d’ailleurs de cette période que date l’expansion des grandes entreprises photographiques comme Agfa, Ilford, Gevaert ou Kodak.
"L’histoire de l’entreprise de George Eastman, aux États-Unis, est tout à fait représentative de ce développement en deux temps de l’industrie photographique à la fin du xième siècle".
Société d’Excursions des Amateurs de Photographie Albert Londe
Avant même cette mutation sociale de la photographie, l'avènement de la photographie dite "instantanée" a constitué une révolution.
Albert Londe
Au regard des nombreux domaines abordés dans l'ouvrage de Clément Chéroux, je suis tenté de mettre en lumière un pionnier finalement mal connu : Albert Londe. Ce précurseur fut l'un des inventeurs de la photographie médicale et plus particulièrement de la photographie à rayon X, il fut aussi l'inventeur de la photographie instantanée. Son affiliation au laboratoire d'imagerie de la Salpêtrière du professeur Charcot marqua l'histoire de l'imagerie médicale. Celui qui fut le créateur de la Société d’Excursions des Amateurs de Photographie en 1887, pourrait bien symboliser à lui seul cette notion de photographie vernaculaire. Et si on ajoute à ce portrait ses inventions dans le domaine de la chronophotographie, faisant de lui un des précurseurs du cinématographe, on mesure l'importance de son apport dans l' image contemporaine.
A côté de la photographie légitimée comme art, la photographie vernaculaire occupe cette place, selon l'expression de Pierre Bourdieu, d'un art moyen mais omniprésent.
Vernaculaires : Essais d'histoire de la photographie
Clément Chéroux
Le point du jour 2013
ISBN 978-2-912132-69-7