La constance avec laquelle les apparatchiks à maroquins foirent leurs idées et dépensent n’importe comment l’argent du contribuable a ceci de pratique qu’elle permet quasiment d’écrire des billets à l’avance : tel clown endimanché du gouvernement lance un appel à projet, tel pingouin brasseur d’air lance une énième commission, on sait, quoi qu’il arrive, que cela se terminera dans un grand prout tiède et un paquet d’argent public claqué dans une aventure désastreuse pour le contribuable mais jamais, ô grand jamais, pour ceux qui y ont pris part et qui feront à l’occasion une jolie culbute financière.
En juin 2013, alors qu’une bonne partie du pays se préparait mollement à prendre des vacances, certains de nos ministres travaillaient : les infatigables Montebourg et Pellerin lançaient un appel à projets afin d’aider le développement d’ateliers de fabrication numérique (les fameux Fablabs, lieux ouverts au public où il est mis à sa disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets). En mars 2014, alors qu’une partie du pays s’enfonce mollement dans la poudreuse, un bilan s’impose. Et – surprise, coïncidence et étonnement très modéré – ce n’est pas joli joli.
Les Fablabs de Pellerin n’échappent pas à la règle observée en introduction. Notez qu’ici je ne tiens pas compte de Montebourg dans le tableau final, tant sa nullité en matière de technologies et d’innovation rend improbable son implication réelle dans cette foirade magistrale (du reste, il en a suffisamment d’autres à son actif). Et si je parle de foirade, c’est parce qu’à la lecture de l’excellent article de Yovan Menkevick sur Reflets.info, on comprend qu’encore une fois, le contribuable sera le bon gros dindon de la farce.
Au début, tout se présente bien : sur 154 dossiers envoyés, 14 ont été retenus qui pourront recevoir jusqu’à 200.000€. Étonnement : l’un des sites les plus actifs dans le domaine de la fabrication numérique, l’Electro-lab, n’est pas sélectionné. Bah, me direz-vous, c’est peut-être que leur mode de fonctionnement (associatif) ne correspond pas à ce que visent nos gouvernants ? C’est dommage, tout de même, puisqu’ils sont en train de monter le plus grand Fablab d’Europe. Tant pis.
Et puis lorsqu’on lit la liste des heureux sélectionnés, on comprend un peu mieux l’esprit général dans lequel s’inscrit cette distribution d’argent gratuit du contribuable : l’écrasante majorité des lauréats est déjà en cheville avec moult communautés de communes, mairies et autres réseaux d’enseignement public. Autrement dit, tout ce petit monde du public se connaît déjà très bien, ça sent bon la connivence détendue.
Quant à ceux qui ont aussi des partenaires industriels notoires, la situation est encore plus intéressante. Par exemple, si un Fablab encore plus mieux que l’Electro-Lab a été retenu, c’est parce qu’il affiche des partenaires comme Alcatel et Dassault, qui ne sont pas du tout suspendus à l’État comme le pendu à sa corde. Soyez donc rassurés : l’argent public ne sera pas dépensé dans de bêtes sociétés privées sans s’assurer un retour rapide dans le giron étatique !
Et ce Fablab génial est « l’Usine », qui n’est pas associatif (ça, ce n’est pas grave, ce n’est pas sale, le commerce), qui n’est pas encore situé géographiquement (mais bon, ce n’est pas gênant, hein, ça viendra, on n’en doute pas), et dont les statuts ont été déposé le 30 octobre 2013 (pour une SAS, avec tout de même 1000€ de capital, mazette !), soit plus d’un mois et demi après la fermeture (13 septembre) de l’appel à candidature, ce qui n’est certes pas éliminatoire mais laisse comme un doute sur les critères de sélection. Mais, comme on dit, le tigre qui rugit (le Fablab déjà existant) n’est jamais à la hauteur du tigre de papier (le projet qui a toujours un avenir étincelant dans sa brochure) et on comprend que l’argent ira d’autant plus facilement dans ce dernier. Et tant pis si le logo de l’Usine collisionne un autre logo exactement similaire utilisé par … une fabrique de hamburgers.
Je résume : un fablab qui n’existe pas, qui n’avait pas de statuts déposés au moment de la clôture des dossiers, un logo malheureux, un joli site tout mignon mais très très creux, et qui disposerait de partenaires commodément acoquinés avec la sphère publique, se retrouve choisi au détriment d’autres projets indépendants, associatifs, et déjà montés. Le fait que ce genre de petite péripétie est, en réalité, d’une navrante banalité en France n’est pas réellement fortuit.
C’est le schéma très traditionnel en France où des gens de réseau parviennent à capter de l’argent public en détournant à leur profit l’esprit même de ce qu’ils sont censés incarner. Par définition, le FabLab est d’abord un lieu où des passionnés, des bricoleurs et des inventeurs, se retrouvent pour échanger, s’entraider et mettre en commun leurs ressources. Ces ressources sont avant tout intellectuelles, puis matérielles (outils, local) et seulement enfin, financières. Dans le cas des magnifiques distributions de pognon gratuit de Fleur Pellerin et d’Arnaud Montebourg, son frétillant appendice inutile, on constate exactement l’inverse ; du reste, seules 3 structures lauréates existaient avant l’inscription au concours, ce qui confirme la tendance de pas mal d’acteurs à s’aboucher aux robinets publics dès qu’une opportunité se présente et dont on ne peut s’empêcher de penser que leurs principales compétences sont essentiellement dans leur proximité avec le personnel politique.
On peut aussi constater le différentiel qui existe entre les « tech shop » et concepts équivalents dans d’autres pays, et notamment aux États-Unis, où le modèle économique est exclusivement privé, et les « fablabs » en France, où, comme d’habitude, on bidouille un système mixte et boiteux où les interpénétrations d’intérêts divers sont de mise, et pas toujours au profit ni des participants, ni des contribuables impliqués sans qu’on leur ait réellement demandé leur avis.
Snif, snif, tout ceci ressemble bel et bien, encore une fois, à ce petit capitalisme de connivence sans lequel la France ne serait plus la France.
Évidemment, on ne peut aussi que constater que si tous ces projets se ruent ainsi sur les prébendes publiques, c’est essentiellement parce qu’en développer un et le transformer en entreprise rentable en France est un véritable parcours du combattant, au bout duquel se trouve plus souvent la faillite qu’autre chose. De ce point de vue, il est bien plus facile de réclamer des thunes publiques. Et cette situation empirera tant qu’on n’aura pas cassé le cercle vicieux dans lequel le pays s’est inscrit : à force d’aider les entreprises et les entrepreneurs avec de l’argent public, on est obligé de ponctionner toujours plus les activités économiques rentables qui fournissent les aides, relevant ainsi mécaniquement le seuil à partir duquel un projet peut espérer s’équilibrer.
Les Fablabs n’échappent pas à la règle : plus l’État y mettra les doigts, plus mauvais ça sentira.
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