Par T. Matique.
Le Palais Bourbon à Paris, siège de l’Assemblée Nationale
Ceux qui pensent que la politique en France est une affaire de vocation vouée aux intérêts des Français en sont pour leurs frais. Elle est devenue un véritable vivier de carrières. Ni tous pourris, ni tous incompétents, elle attire des personnes sur le marché de l’emploi politique avec des CV différents, des entretiens d’embauche différents, pour le même objectif : une part de pouvoir. Elle rivalise avec bien des secteurs d’activité car la formation n’est pas un critère de sélection, pas plus que l’efficacité, et il y a presque une pénurie de candidats, selon les partis et les zones géographiques, tant il y a de postes d’élus à pourvoir. Les seules qualités requises sont celles de la capacité à s’exprimer et à convaincre, de savoir vendre une image, de s’en tenir aux consignes langagières et aux formules du parti en veillant à ne pas faire de l’ombre aux ténors, de se rendre indispensable, incontournable à la cause pour gravir les échelons, et de savoir négocier sa place.
« Il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations, etc. Trop de gens se placent au-dessus de l’humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s’occuper d’elle. » — Frédéric Bastiat, La Loi (1848),
En France, ce constat atteint son apogée de représentativité plus d’un siècle après avec un élu pour 104 habitants. Le Parlement se compose de 577 députés et de 348 sénateurs auxquels se rajoutent 2.571 fonctionnaires (1.349 à l’Assemblée Nationale et 1.222 au Sénat) et 2.090 collaborateurs, le tout pour un budget d’environ 930 millions €.
Les collectivités locales se composent, en plus des effectifs des collectivités à statut particulier, de 36.635 maires, 519.417 conseillers municipaux, 4.042 conseillers généraux, 1.880 conseillers régionaux, et 1.811.024 agents territoriaux (hors bénéficiaires de contrats aidés), avec une dotation globale de fonctionnement accordée par l’État de 41,5 milliards d’euros en 2013 auxquels s’ajoutent près de 110 milliards d’euros d’impôts locaux (en 2011 fiscalité locale directe 76,6 milliards € et fiscalité locale indirecte 33 milliards €).
Près de 2,5 millions de personnes participent, directement ou indirectement, à l’élaboration d’un cadre juridique, fiscal, et administratif conditionnant la vie des français pour environ 152 milliards €. Les Français sont non seulement sous tutelle de l’État, mais aussi sous perfusion de la politique de parti. La politique et les activités périphériques, dont elle ne peut se dispenser pour exister, sont même devenues pour bien des chômeurs et des étudiants une perspective d’avenir. Le cas de Nathalie Michaud, qui avait interpellé Hollande sur le chômage des seniors, devenue à présent candidate sur la liste municipale du maire sortant socialiste de La Roche-sur-Yon, en est un exemple parmi tant d’autres. Avec la parité et le non cumul des mandats, les socialistes auraient-ils trouvé la solution pour inverser la courbe du chômage ?
La politique recrute ! Peu importe les compétences requises pour administrer une commune ou pour être parlementaire, il suffit de trouver du renfort, souvent de jeunes diplômés, pour peaufiner les dossiers en coulisse, puis de s’exercer à l’art oratoire pour marquer les esprits comme, entre autres, le 13 novembre 2012 à l’Assemblée Nationale :
M. Éric Ciotti — « … en adressant en permanence un message d’impunité aux délinquants avec la suppression des peines plancher, avec la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, avec la suppression de toutes les courtes peines de prison : ainsi, un délinquant condamné à deux ans, voire trois ans de prison ferme ne fera plus un jour de prison à cause de vous !
Madame la garde des sceaux, face à cette situation, comptez-vous revenir sur cette politique pénale particulièrement dangereuse pour la liberté de nos concitoyens et pour leur sécurité ?
M. Manuel Valls — « Monsieur le député Ciotti, c’est vous qui avez échoué et les Français paient, aujourd’hui, dix ans d’une politique de sécurité… faite de lois qui n’ont servi à rien, qui n’ont pas été appliquées. L’esbroufe, c’est vous ! L’échec, c’est vous ! La hausse de la délinquance, c’est vous ! Les suppressions de postes de policiers et de gendarmes, c’est vous ! Le retour du terrorisme dans ce pays, c’est vous ! »
Une session tout à fait ordinaire de « questions » au gouvernement où il n’est pas question de questions, et encore moins de réponses, mais d’échanges de mots. Du buzz pour les journalistes dont chaque parti tente de tirer profit. Des séances de joutes verbales stériles. Comme la dernière en date envers Claude Goasguen. Selon les statistiques de l’activité parlementaire à l’Assemblée Nationale (publiées sur son site), du 1er octobre 2013 au 31 janvier 2014 il y a eu, sur l’ensemble des séances, 31 séances avec 469 questions au gouvernement, auxquelles se rajoutent 9.941 questions écrites et 8.279 réponses publiées, sans aucun changement significatif dans le quotidien des Français, si ce n’est en pire, ni aucun éclaircissement sur ce labyrinthe législatif qu’ils alimentent.
« La démocratie a pour but de permettre aux citoyens de contrôler le pouvoir d’État. On ne peut pas s’en servir pour justifier l’exploitation des politiquement faibles par les politiquement forts, qu’ils soient la majorité ou une minorité bien placée. » — Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1835)
Les Français subissent le pouvoir de l’État et ne disposent d’aucun moyen pour en limiter sa propension à la boulimie, hormis celui d’attendre les prochaines élections et de faire les cent pas dans la rue. La démocratie n’est plus qu’une notion dénaturée qui consiste à demander un chèque en blanc pour les carriéristes de tous les partis et qui prive les citoyens de toute défense face aux dérives insidieuses du pouvoir.
Une fois le vote fini, les Français sont relégués au rôle de spectateurs impuissants, tandis que tous les élus parlent et décident à leur place en oubliant ce pour quoi ils ont été élus et sans même s’assurer de la pertinence et de l’impact de leurs démarches sur le terrain ; un terrain qu’ils ne connaissent que par quelques poignées de mains ou au travers de quelques interlocuteurs triés à la volée, les yeux rivés sur les sondages, les caméras, et les unes des journaux.
Mais pour prouver qu’ils œuvrent dans l’intérêt d’au moins quelqu’un, ils légifèrent à tout va. Ainsi, toujours selon les statistiques de l’activité parlementaire à l’Assemblée Nationale, du 1er octobre 2013 au 31 janvier 2014, il y a eu pour celle-ci :
- 68 jours de séance pour 152 séances, durée totale 606h25 ;
- 30 projets de loi adoptés, 7 propositions de loi adoptées (33 lois promulguées définitivement adoptées au cours de cette période ou précédemment) ;
- des dépôts en première lecture : 24 projets de loi déposés à l’Assemblée Nationale et 143 propositions de loi déposées à l’Assemblée Nationale (12 par le Sénat et 131 par l’Assemblée Nationale) ;
- des réunions de commissions permanentes et spéciales : 9 commissions avec 411 réunions, durée totale 723h15, 107 rapports sur des textes, 90 avis et 16 rapports d’informations ou d’application ;
- des réunions d’autres organes : 9 commissions avec 110 réunions, durée totale 161h45, et 27 rapports publiés.
Dans cette effervescence à vouloir graver leur nom sur une loi pour la postérité, ces élus n’ont de cesse de débattre sur toutes les libertés individuelles au travers de commissions créées à cet effet :
- Commission d’enquête relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu’on peut tirer de ce cas : 17 réunions, durée totale 24h30 et 1 rapport publié ;
- Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel : 12 réunions, durée totale 21h30, et 1 rapport établi.
- Etc.
Le 4 février 2013, il y a même eu une demande de « création d’une commission d’enquête sur les dérives linguistiques actuelles en France, chargée de proposer des mesures de défense et de promotion de la langue française » au motif de la banalisation de termes anglo-saxons tels que « PME Inside », « Spacebox », « Freebox », « Livebox », « Xbox », la presse « Books », « trade center », « Simply Market », « Carrefour Discount », « Renault Trucks », Peugeot rebaptisé « Blue Lion », « team leader » de Toyota, etc.
Avec de tels élus, il n’y a aucun doute, le mot « connerie » est bel et bien français. En cinq ans, il y aura près de 500 lois supplémentaires. Nul n’est censé ignorer la loi, mais à présent il faut être juriste ou fiscaliste pour s’y retrouver. Et encore ! Les Français sont condamnés à subir le rouleau compresseur des législateurs et à voir leurs libertés individuelles mises sous scellé .
Mais comme le rappelle si bien Claude Bartolone le 12 février 2013 à l’Assemblée Nationale : « Votre contestation n’a pas de raison d’être… Eh bien sortez ! Abrutis ! »
« La liberté individuelle est incompatible avec la suprématie d’un but unique auquel toute la société est subordonnée en permanence » — Friedrich Hayek, La route de la servitude (1944).
Cette griserie du pouvoir, affecte même les journalistes, et plus particulièrement les journalistes dits « d’investigation » et les chroniqueurs, lesquels veulent prendre leur part en influençant l’opinion publique sur leurs propres priorités ; il n’est guère étonnant de voir des élus en place et ceux qui veulent prendre leur place éluder la question fondamentale du rôle de l’État et éviter toute réforme institutionnelle tendant à le priver de son statut de premier recruteur de France et à le rendre plus efficace dans ses fonctions premières, les régaliennes. Tous s’en réfèrent à la liberté, mais tous la mettent sous contraintes permanentes au nom d’un « modèle social » organisé par leurs soins et à leur seul profit, comme si chaque individu n’était pas capable de discernement et de solidarité volontaire. Afin d’assurer sa carrière, chacun prône une solidarité avec ses propres critères, ses propres bénéficiaires, au détriment des libertés individuelles, et corrobore la définition qu’en a fait Frédéric Bastiat dans Paix et Liberté, ou le Budget Républicain : « la Solidarité, mot, qui ainsi entendu, ne signifie autre chose que l’effort de tous les citoyens pour se dépouiller les uns les autres, par l’intervention coûteuse de l’État. »
Les socialistes et étatistes, tous partis confondus, entretiennent la dépendance à l’État et ne cessent de rajouter des contraintes aux contraintes déjà existantes. Ils maintiennent l’individu en léthargie à l’heure où seule la convergence d’initiatives privées peut créer une dynamique dans un monde où l’innovation est devenue source de richesse, tant de l’esprit que financière. Ils maintiennent les têtes dans leur bac à sable, alors que le monde est en pleine mutation. La France ne peut prétendre être une grande puissance avec un État qui maintient sous son joug tant de libertés individuelles et vampirise toute initiative privée.
« Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui » — Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1835).
Après tant de siècles à formater les esprits à la soumission au pouvoir, et tant de décennies à accroître la dépendance des citoyens envers l’État, le sevrage des toxicomanes de l’État ne sera pas aisé. Reste à savoir qui sera capable de faire preuve de courage, au détriment de sa propre carrière, pour préconiser une transition claire et cohérente en vue d’extraire les accros à l’État de leur dépendance ? Pour l’instant, chaque représentant politique, quel que soit le parti, est plus soucieux de sa propre carrière que de faire preuve d’une véritable initiative politique qui serait celle de créer un nouveau mode de gouvernance où chacun pourrait prendre son propre destin en main. Les propositions ne visent qu’à modifier la liste des bénéficiaires du système étatique existant, à faire un jeu d’écritures comptables, voire même de renforcer le pouvoir de l’État, et ne constituent en rien des éléments d’un projet d’envergure portant sur un nouveau modèle, un nouveau cadre de gouvernance et de nouveaux objectifs au profit de tout un chacun.
Pour voir en France les libertés individuelles s’affranchir de la servitude du collectivisme étatique, il faudra au préalable des représentants politiques suffisamment responsables, courageux et maîtrisant les dossiers, prêts à se transcender et à renouer enfin avec la politique. Mais, à l’heure actuelle, la France doit se contenter de voir s’agiter en « live » les étatistes de l’UDI et de l’UMP, les socialistes du PS et de EEVL, les ultra-socialistes du FN et leur cousin du Front de Gauche, avec un cortège de journalistes en quête de buzz et de people politique. Un vrai bac à sable où au bout du compte tout le monde se prend un râteau.
Annexes :
- Bilan des sessions parlementaires du 1er octobre 2013 au 31 janvier 2014
- Échange Eric Ciotti – Manuel Valls
- Propos de Claude Bartolone
- Proposition de création d’une commission d’enquête sur les dérives linguistiques actuelles en France