Voici un entretien avec Thibault Honoré, commissaire de l’événement « Hémisphères vodous ». L’occasion aujourd’hui de comprendre comment est né ce projet et de dresser un bilan après ces deux mois d’expositions et de spectacles.
Vue de l'exposition "Hémisphères vodous", Galerie Chantal Bamberger, oeuvres de Laurence Demaison et Christine Sefolosha, crédits photographique : Anaïs Roesz
Anaïs : Parles-nous un peu de ton parcours.
Thibault Honoré : J'ai un parcours relativement simple, je viens d’Épinal dans les Vosges, où j'y ai fait mes études secondaires. Je pratiquais, en pur amateur, l'objet en volume ainsi que l'objet vidéographique. C'est entre 15 et 18 ans que j'ai commencé à me passionner pour ce type de pratiques.
Après mon bac scientifique, je suis parti faire des études à Nancy, pour une licence en physique-chimie, appelée à l'époque « science de la matière ». Ensuite je suis venu à Strasbourg et j'ai repris mes études directement en deuxième année de licence d'Arts-Plastiques. J'ai fait un master, et maintenant un doctorat.
J'ai eu le droit à une allocation de recherche, j'ai pu enseigner et m'essayer à la pédagogie. À la fin de ces trois années de thèse, j'ai fait une demande d'ATER (Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche) que j’ai eue et qui m’a permis d'enseigner à nouveau pendant deux ans.
Cette ATER s'est achevé l'année dernière et je n'ai pas souhaité demander une vacation supplémentaire parce que je souhaitais me consacrer d'une part à « Hémisphères vodous », et d'autre part à la soutenance de ma thèse.
Qu’est-ce qui t’a amené au commissariat d’exposition ?
L'activité de commissariat est née précisément il y a deux ans lorsqu'on m'a proposé de participer à un projet autour de la venue du cinéaste et plasticien iranien Abbas Kiarostami, dont j'admire beaucoup le travail.
J'ai eu à ce momentlà l'opportunité de rencontrer Evelyne Loux, pour une mise à disposition du CEAAC dans le cadre d'un entre-deux à destination de l'université.
Petit à petit, au vu de la multiplicité et de la singularité des productions des étudiants, je suis passé du rang d'artiste-encadrant à commissaire d'exposition. À partir de là j'ai pris beaucoup de plaisir à « commissarier » ça. Très vite, je me suis dit que parallèlement à mon activité de chercheur et de plasticien je pouvais consacrer du temps à une activité de commissariat, que ce n’était pas une chose foncièrement différente. Le commissariat c'est le lien entre la recherche et la production plastique. C'était purement complémentaire, et cela me permettait de réaliser des projets avec d'autres artistes ; projets que je ne pouvais pas réaliser tout seul en tant que plasticien.
Vue de l'exposition "Hémisphères vodous", Galerie Chantal Bamberger, oeuvres de Laurence Demaison crédits photographique: Anaïs Roesz
Comment est née l'idée de cette manifestation « Hémisphères vodous » ?
L'objet votif qu'il soit africain, caribéen ou sud-américain, que l'on appelle fétiche est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, à la fois en tant que sculpteur et à la fois en tant que chercheur, depuis des années.
Une partie des recherches de ma thèse se concentrent d'ailleurs sur quelques-unes de ces cultures et types de sculptures (notamment la sculpture Dogon et la sculpture Lobi).
Plastiquement je trouve ça sublime.
J'ai été amené à faire un voyage à Cuba il y a quelques années, c'était une opportunité à ne pas rater.
Je savais qu'il y avait du vodou là bas, et ce qui m'intéressait ce n'était pas tant le vodou que l'objet vodou et donc pendant plusieurs jours j'ai essayé de trouver un tailleur de fétiches, pour qu'il m'initie un peu à la taille de ces fétiches. Je n'en ai pas trouvé à la Havane, donc il a fallu voyager de régions en régions. C'est du côté de Trinidad, ville en bord de mer, connue pour ses dimensions colonialistes et où la pression castriste semble moins forte que les habitants ont commencé à parler. Donc c'est vraiment à Trinidad, dans l'espèce de banlieue un peu bidonville, qu'au bout de 4-5 jours, j'ai pu rencontrer quelqu'un qui m'a conseillé d'aller dans la région de Guantanamo (région connue par les européens pour sa base militaire) qui est extrêmement grande et qui est presque culturellement similaire à la région de Baïa au Brésil. Une part des traditions africaines est restée là dedans. On a un mélange de religions endogènes et un mélange de tout ce qui est lié au Yoruba africain .
J'ai rencontré un tailleur de fétiches qui est également sorcier. Je demande à être initié, il accepte, mais très vite je me rends compte que je ne comprends pas l'initiation. En réalité, il n'y a pas de distinction entre la taille de l'objet et le rapport cultuel lié à l'objet. Finalement, tout coup de marteau, de taille ou de ciseau est toujours dépendant d'un moment, d'une périodicité, d'un geste, d'une donation, d'un crachat, d'un geste de croix ou d'un mot qui est dit.
Je ne comprenais justement pas comment il était amené à tailler dans tel ou tel sens par rapport à tel rythme etc, notamment parce que je ne parlais pas leur langue (qui est un syncrétisme des langues, un mélange de plusieurs langues et dialectes).
Je me suis alors rendu compte que, pour être initié au vodou, cela prend plusieurs mois, donc j'ai simplement demandé si je pouvais voir comment lui, il travaillait son objet en bois pour après potentiellement revenir un jour. Quand je suis rentré en France, sans photos (parce qu'on a pas le droit de prendre de photos mais il avait accepté que je fasse des dessins, des petits croquis) j'apprends immédiatement qu'un musée vodou doit s'ouvrir à Strasbourg dans un milieu formidable qu'est celui du château d'eau. C'est un concours de circonstances qui est assez intéressant. Je me suis tout de suite dit qu'il s'agissait d'une opportunité.
C'est par l'intermédiaire de Janig Begoc (Maître de conférences à la Faculté des Arts de l'Université de Strasbourg), qui connaissait mon intérêt pour le vodou, que je participe à une rencontre avec Bernard Müller (directeur du projet scientifique et culturel du Musée Vodou). J'ai alors visité la collection -qui est extrêmement belle- de Marc Arbogast. Je leur explique donc mon souhait de proposer une série de manifestations culturelles indépendantes qui prendrait l'art contemporain et non plus l'ethnographie comme champ d'exploration.
L’objectif était d'interroger l'impact d'une telle collection dans le champ de l'art contemporain local, c'est-à-dire de ne pas faire une exposition didactique, qui s'attacherait à faire des faux objets vodous, ou demander aux artistes locaux, qui n'ont absolument aucune connaissance du vodou d'en faire par mimétisme, mais plutôt de réfléchir à comment cette collection qui se juxtapose à des pratiques contemporaines locales permet à la fois de réinterroger ce que l'on entend par art contemporain, et également de réinterroger ce qu'on entend par art vodou, art premier en général. Puisque le grand débat qu'il y a eu durant tout le temps de l'ouverture du musée, était de se demander si l'art vodou est un art ou pas. Est-ce qu'on va dire d'une personne qui taille des crucifix que c'est un artiste ? C'est un peu le débat qui s'est posé. À partir de là le musée vodou dit oui. Je commence à contacter des galeries et institutions publiques. De manière générale les structures ont dit oui très vite.
Vue de l'exposition "Hémisphères vodous", Galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch, Oeuvres de Patrick Bailly Maître Grand et Francis Marshall crédits photographique : Anaïs Roesz
Peux-tu nous parler un peu du choix des artistes ?As-tu eu des critères ?
Ensuite pour les artistes cela s'est fait petit à petit. Parallèlement au fait de rencontrer des artistes internationaux j'allais voir des artistes locaux. Le premier artiste à avoir été contacté était Barthélémy Toguo, ensuite il y a eu Francis Marshall. J'ai ensuite contacté ORLAN et Patrick Bailly-Maître-Grand. Etc.
Le principe était de demander à ces artistes de parler de vodou sans avoir vu la collection de Marc Arbogast. Les artistes internationaux sont venus à Strasbourg pour découvrir la ville et son histoire (Strasbourg ayant une histoire très particulière). Et inversement pour les artistes locaux, il s'agissait de leur dire de ne pas faire du vodou. Certains ont réalisé des œuvres pour l'occasion, et à ce moment là je leur ai demandé de s'attacher à des choses comme la mystique, l'africanisme des histoires, et pour d'autres c'était un choix que de prendre des pièces directement chez eux.
Par exemple, Patrick Bailly-Maître-Grand et Laurence Demaison ne font pas du vodou. Il n'y a dans leur travail aucune référence au vodou mais des réflexions fortes qui ont à voir avec l'idée d'altérité, de magie, de spiritualité et bien sur de mort. Chez Laurence Demaison je vois plutôt une référence au corps de la femme, mis en danger, dans une espèce d'ironie un peu grinçante.
Volontairement je n'avais pas toujours au début de critères de sélections prédéfinis, pour le coup ce fut pendant un certain temps assez instinctif. Je connaissais leurs pratiques et parfois on m'en a présentés d'autres. C'est Patrick Bailly-Maître-Grand qui m'a dit de regarder le travail de Laurence Demaison. Quand on sent quelque chose, on ne réfléchit pas trop, on bouleverse tout ce que l'on a fait. Il a fallu repenser la la forme du parcours d'exposItion qui bougeait tout le temps jusqu'à finalement construire une manifestation équilibrée et scientifiquement structurée
Pourquoi avoir ouvert la manifestation en Janvier ?
J'avais, depuis le début, la ferme intention d'ouvrir « Hémisphères vodous » en janvier, parce qu'il y avait la fête nationale du vodou au Bénin, et que ça apportait une dimension supplémentaire au projet. C'était aussi l'occasion, après noël de commencer la nouvelle année avec un grand projet. Le musée vodou étant inauguré finalement à la fin du mois de novembre 2013, c'était aussi l'occasion de proposer un événement culturel indépendant avec ses propres singularités.
Nous avons évidemment décidé d'inviter certains chercheurs du musée vodou pour le montage des conférences. C'est ainsi que nous avons, par exemple, donné la parole à Bernard Müller.
La suite dans deux jours!
Propos recueilli par Anaïs.