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Une voie répressive et punitive vers un régime autoritaire

Par Alaindependant

Pour Lionel Francou, Nicolas Bourgoin «  démontre comment une véritable révolution sécuritaire et conservatrice, c’est-à-dire un « mouvement circulaire qui fait revenir au point de départ (…) recyclant les vieilles recettes punitives » se dessine depuis 1976. Cette année-là, le Rapport Peyrefitte donne un coup d’accélérateur à un processus de « basculement autoritaire » dans lequel le maintien de l’ordre justifie la prolifération des régimes d’exception et les atteintes aux libertés civiles. Depuis, la sécurisation de la société est galopante, facilitée par un « consensus » ou une « doxa » qui fait rimer insécurité avec « comportements délinquants de la classe dominée » (p. 9). Pour Nicolas Bourgoin, dit encore Lionel Francou « les classes dominantes, aidées par les mass-media, convainquent les classes populaires de la nécessité d’une répression plus importante dont elles seront pourtant les principales victimes . Il explique que la classe dominante tire directement profit de la politique sécuritaire : l’État français et ses politiques, loin d’être neutres, mettent en place une « politique de classe ». Cette voie répressive et punitive, que rien ne semble pouvoir inverser, mènerait à un régime autoritaire. L’auteur réalise une analyse dont l’inspiration marxiste est assumée (usage massif de concepts tels que classes sociales et lutte des classes, idéologie dominante et institutions bourgeoises...

Concernant les thèses de Nicolas Bourgoin, voir également sur ce blog : « Ce racisme d'Etat qui se met peu à peu en place en France. »

Michel Peyret

Critique de La Révolution Sécuritaire

Lionel Francou, « Nicolas Bourgoin, La révolution sécuritaire (1976-2012) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2013, mis en ligne le 28 mars 2013, consulté le 28 mars 2013. URL :http://lectures.revues.org/11077

Après deux premiers ouvrages consacrés au suicide en prison (1) et à une lecture critique des statistiques du crime et de leur instrumentalisation (2), Nicolas Bourgoin (3) nous livre ici un travail de recherche qui s’inscrit dans la continuité de ces travaux tout en franchissant un palier supplémentaire. Il nous présente ici une approche globale portant sur les différentes dimensions des politiques sécuritaires, depuis leur conception jusqu’à leur application en passant par les processus médiatico-politiques qui ont, à la fois, permis leur succès et leur légitimation.

Cette dernière peut s’observer à travers un « consensus politique » qui justifie la non-remise en question de cette approche sécuritaire désormais présentée comme politiquement neutre et technique. Ainsi, cette direction sécuritaire devient la seule « solution » à une montée de la violence qui, comme le montre l’auteur, à défaut de s’observer dans les chiffres (ceux-ci indiquent, par exemple, une baisse tendancielle des homicides depuis 1980) est un incontournable des discours tenus par les politiciens, les médias et les « experts » en sécurité.

Il démontre comment une véritable révolution sécuritaire et conservatrice, c’est-à-dire un « mouvement circulaire qui fait revenir au point de départ (…) recyclant les vieilles recettes punitives » (4) se dessine depuis 1976. Cette année-là, le Rapport Peyrefitte donne un coup d’accélérateur à un processus de « basculement autoritaire » dans lequel le maintien de l’ordre justifie la prolifération des régimes d’exception et les atteintes aux libertés civiles. Depuis, la sécurisation de la société est galopante, facilitée par un « consensus » ou une « doxa » qui fait rimer insécurité avec « comportements délinquants de la classe dominée » (p. 9). 

Pour l’auteur, les classes dominantes, aidées par les mass media, convainquent les classes populaires de la nécessité d’une répression plus importante dont elles seront pourtant les principales victimes (5). Il explique que la classe dominante tire directement profit de la politique sécuritaire : l’État français et ses politiques, loin d’être neutres, mettent en place une « politique de classe ». Cette voie répressive et punitive, que rien ne semble pouvoir inverser, mènerait à un régime autoritaire.

L’auteur réalise une analyse dont l’inspiration marxiste est assumée (usage massif de concepts tels que classes sociales et lutte des classes, idéologie dominante et institutions bourgeoises, etc.) et dont il arrive à démontrer, d’une façon convaincante, l’actualité. Les politiques sécuritaires ne sont donc pas « un phénomène sui generis ou une mode passagère liée à la couleur politique de la Chancellerie » (6) mais le résultat des crises économiques récentes.

Outre un état des lieux permettant d’introduire le lecteur à une série de concepts (parmi lesquels la politique pénale, le modèle sécuritaire, les prisons) nécessaires au cadrage de l’exposé et une conclusion, l’ouvrage est divisé en quatre chapitres.

Premièrement, par une approche diachronique, l’auteur balise le parcours qui a amené à la reformulation de la question sociale en une question pénale. D’une conception de la responsabilité collective des problèmes sociaux, la société française est passée à un système axé autour de l’idée de responsabilité individuelle des personnes. Cette conception débouche sur une « radicalisation du contrôle social », forçant les acteurs sociaux et éducatifs à participer à « la surveillance des populations marginales ou précaires », principales cibles de ces politiques, et de la réponse pénale qui s’attaquent désormais aux risques potentiels plutôt qu’aux actes posés. L’État, incapable d’empêcher les crises économiques successives et d’en protéger sa population, trouve dans ce surinvestissement de la sécurité publique un moyen pour « refonder une légitimité » et « retrouver une souveraineté ». Ce processus est encouragé par un secteur privé offrant des solutions technologiques et études de sécurité dont le succès dépend de ce virage sécuritaire. Cette doxa sécuritaire influence les pratiques des différents acteurs de l’État ; ainsi, les missions de proximité de la police sont délaissées au profit de la « répression quasi-militarisée » et du « maintien de l’ordre ».

En deuxième lieu, il décortique la construction politico-médiatique de la préoccupation sécuritaire. Ainsi, il explique qu’un « problème social » est une « représentation particulière du monde social » issue « d’une mise en forme médiatique réalisée par différentes catégories d’agents » (p. 89). Alors que les « problèmes sociaux » sont amplement définis par les journalistes et les médias, tous les groupes sociaux n’ont pas les mêmes chances de pouvoir faire entendre leur point de vue. Ainsi, sur la question de la sécurité, ce sont les conceptions de l’État et de la police qui sont répercutées. L’auteur explique que l’État instrumentalise la « menace migratoire » et criminalise la figure du migrant pour détourner l’attention d’autres enjeux sociaux tels que le chômage et la précarité. Il entre en guerre contre le migrant, présenté comme un « ennemi intérieur » et servant de bouc émissaire (7). Ce chapitre explique comment la justice s’est transformée, passant d’un modèle cherchant à protéger et à réhabiliter les jeunes à un modèle répressif.

Le troisième chapitre déconstruit le « mythe » de la « montée de la violence ». Si l’on en croit les discours politiques et médiatiques, la délinquance augmenterait : cela serait un fait et cela justifierait les politiques sécuritaires. Mais l’auteur rappelle qu’il n’existe aucun outil statistique permettant de quantifier cette délinquance sans produire d’importants biais. Il détaille ensuite ce que les quatre sources statistiques utilisées pour mesurer l’insécurité peuvent nous apprendre, ainsi que leurs limites (8). Il s’interroge enfin sur le paradoxe qui amène à ce qu’une baisse de la violence soit accompagnée d’une hausse du sentiment d’insécurité et répond à cette question dans le chapitre suivant.

Quatrièmement, il fait le lien entre les politiques sécuritaires et le capitalisme, rappelant qu’en temps de crise l’État a toujours régulé pénalement la pauvreté ; ce n’est qu’à partir de 1945 qu’il s’est lancé dans une régulation sociale. Ainsi, lorsque le chômage augmente, le recours à l’incarcération s’accélère. Il parle d’un « tournant « libéral-sécuritaire » » où le protectionnisme (social) de l’État diminue tandis que se mettent en place des logiques telles que le contrôle du risque et la répression des menaces, notamment en recourant massivement aux dispositifs de vidéosurveillance (9). Les problèmes sociaux sont requalifiés en problèmes de sécurité et témoignent de l’émergence, en lieu et place d’un État social, d’un État pénal et policier dès lors principalement actif vis-à-vis de publics cibles reconnus comme « à problème » à défaut d’être aidés.

Finalement, en guise de conclusion, l’auteur défend la thèse selon laquelle la politique sécuritaire est une politique de classe. Ainsi, le discours sécuritaire « substitue à l’insécurité économique et sociale produite par le jeu de l’économie de marché (…) une insécurité physique (pp. 188-189). De plus, une augmentation du nombre d’arrestations et d’incarcérations est généralement le résultat d’une augmentation de la répression de comportements qui existaient déjà auparavant sans être autant poursuivis. L’ « ethos répressif généralisé » est source d’une démultiplication de nouvelles lois liberticides, d’une augmentation du nombre de détenus, d’une normalisation de l’état d’exception permettant de prendre des libertés avec l’État de droit, etc.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, malgré une analyse se reposant sur des concepts marxistes, l’auteur ne s’adonne pas à un essai de nature idéologique, mais construit son analyse sur base d’une littérature solide qu’il réagence afin de nous démontrer que l’idéologie sécuritaire est issue des « rapports de force entre les classes ». De plus, la clarté de son écriture permettra probablement à ses analyses et conclusions de trouver une place dans le débat public et d’être mobilisées par les acteurs sociaux.

Néanmoins, si l’analyse forme un ensemble cohérent, sans doute facilité par le choix de se centrer sur une grille de lecture théorique particulière, elle pourrait gagner en nuances. Il aurait été profitable d’également porter de l’intérêt à la façon dont les acteurs résistent à cette idéologie sécuritaire ou la détournent ; notamment à travers l’étude des pratiques professionnelles des acteurs de terrain chargés de mettre en œuvre cette révolution.

Une chose est sûre, le constat produit par cette analyse est loin d’être réjouissant puisque l’auteur conclut sur l’avènement possible d’un nouvel État totalitaire qui ne sera pas arrêté par l’arrivée de la gauche au pouvoir, celle-ci permettant seulement « une pause dans le processus révolutionnaire plutôt qu’une rupture avec celui-ci. » (p. 206).

(1)  Voir la recension suivante : J. Hd. (1994), « Nicolas Bourgoin, Le suicide en prison », Population, vol. 49, n° 3, pp. 806-807. Consulté le 26/03/2013. URL :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1994_num_49_3_4213

(2)  Recension d’E. Didier (2009), « Compte rendu du livre de N. Bourgoin. Les chiffres du crime : statistiques criminelles et contrôle social (France, 1825-2006), Paris, L’Harmattan, 2008, 174 p. », Champ pénal/Penal field [En ligne], Lectures, mis en ligne le 16/12/2009, Consulté le 26/03/2013. URL :http://champpenal.revues.org/7444

(3)  Maître de conférences en sociologie à l’Université de Franche-Comté, il y est également membre du Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie (LASA).

(4)  Blog d’E. Michel, Entretien avec Nicolas Bourgoin, auteur de La Révolution sécuritaire, mis en ligne le23/03/2013. Consulté le 26/03/2013. URL : http://ericpierremichel.blogspot.be/2013/03/entretien-avec-nicolas-bourgoin-auteur_23.html

(5)  L’auteur démontre ainsi que si les incivilités et violences des classes populaires sont montrées du doigt et réprimées fortement, il n’en est pas de même de la criminalité en col blanc qui ont pourtant des effets à une plus grande échelle.

(6)  Blog d’E. Michel, op. cit.

(7)  « La transformation de l’immigré en bouc émissaire se fait en deux étapes : la stigmatisation par laquelle un ensemble de traits ou de caractéristiques disqualifiantes sont attribués à la communauté immigrée ou à une partie de celle-ci (…), puis l’affirmation que ces caractéristiques sont à l’origine des problèmes que connaît le pays. » (p. 112). Sur ce phénomène, voir aussi P. Décarpes (2012), « F. Chauvaud, C. Moncelet, S. Vernois, J.-C. Gardes, Boucs émissaires, têtes de Turcs et souffre-douleur », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03/09/2012, consulté le 26/03/2013. URL : http://lectures.revues.org/9103

(8)  Enquêtes de victimation, statistiques policières, statistiques judiciaires et statistiques pénitentiaires.

(9)  « Aux mots d’ordre « surveiller et punir » s’ajoutent désormais « détecter et prévenir ». » (p. 169)


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