Comme pour la Syrie, la politique de Hollande à l’égard de l'Ukraine péche par ignorance historique, manichéisme politique, ainsi que par cette naïveté diplomatique qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités. Loin de chercher à comprendre les crises , on les simplifie en effet pour justifier l'action. Le manichéisme politique n'a pas plus de recul que les journalistes de télévision : les méchants qui tuent d'un côté et les bons qui meurent de l'autre . Mais il y a encore des plumes qui savent donner toute la profondeur historique, économique et culturelle d'une crise. C'est le cas de Jean louis Thiérot dans le Figaro de samedi 1 mars, avec cette remarquable analyse dont je livre ici les derniers paragraphes :
"... Russe à 60 %, russophone à 98 %, tatare à seulement 10 %, la population de Crimée ne peut accepter qu’avec difficulté d’être gouvernée par un gouvernement provisoire qui vient d’interdire l’usage du russe comme langue officielle dans les régions russophones d’Ukraine comme cela avait été accordé en 2012 par le président Ianoukovitch. C’est le classique chiffon rouge qui, partout en Europe, depuis la première moitié du XIXe siècle, a toujours enflammé les querelles nationalistes. Il est caractéristique que seuls les Tatars se soient mobilisés sur place pour soutenir le mouvement révolutionnaire de Kiev.
Économiquement les habitants de la péninsule tendent à se tourner vers la Russie plutôt que vers l’Ukraine en faillite. Même si la remarquable croissance de l’économie russe des années Poutine est partiellement en trompe-l’œil en raison du rôle joué par les exportations de matières premières, elle a un pouvoir d’attraction avec lequel Kiev ne peut rivaliser.
Mais c’est la géopolitique qui joue le plus grand rôle. Pour la Russie, la Crimée est d’une importance stratégique majeure. C’est le seul débouché maritime possible vers le Sud en l’absence d’autres grands ports de guerre sur la mer Noire. À l’heure où le président russe entend rétablir une présence navale permanente en Méditerranée et où sa base navale de Tartous en Syrie pourrait être menacée, Sébastopol est irremplaçable. Moscou en a besoin pour garantir la sécurité des gazoducs qui traversent la mer Noire et permettent l’exportation des ressources gazières vers le sud de l’Europe. Il n’est que la flotte de Sébastopol pour assurer la surveillance du réseau Southstream qui sera mis en service en 2015 et concurrencera directement le projet euro-américain Nabucco qui passera par la Géorgie et la Turquie. Pour préserver des intérêts qu’elle considère comme vitaux, on voit mal comment la Russie pourrait hésiter à mobiliser la population en soutenant des revendications linguistiques ou culturelles dont la légitimité serait difficile à contester. C’est dire toute l’importance du doigté dont le nouveau pouvoir de Kiev doit faire preuve vis-à-vis de sa province méridionale.
Historiquement russe, culturellement russe, ethniquement russe pour sa plus grande part, enjeu de mémoire, facteur de puissance géopolitique, la Crimée sera un des points névralgiques où se tranchera le nœud gordien de la crise ukrainienne. Un statut acceptable par la Russie et garantissant sa présence à long terme sera certainement le prix à payer pour préserver la paix civile et l’unité de l’Ukraine."