Au tout début, il y eut l’obscurité et le silence. Puis d’un rhizome enfoui dans la vase surgit une tige,
« C’est pas prudent dans ton état ! »
Encore une fois, Éliane n’avait fait qu’à sa tête. « Ton état ! » Elle avait beau leur répéter sans cesse que porter en soi une autre vie à naître n’était pas une maladie, ses voisines s’étaient entendues pour être constamment aux petits soins pour elle. Et elles en faisaient trop. Tant et si bien que, ce matin-là, Éliane n’eut qu’une envie : fuir quelques heures leur sollicitude. Elle n’allait certes pas rester enfermée dans son HLM par une belle journée du mois d’août.
Sitôt levée, elle avait enfourché sa bicyclette pour une petite balade en solitaire dans l’espoir de retrouver ce lac mystérieux découvert au hasard lors de ses premières randonnées. L’expédition n’était pas sans risque. Un chemin de terre peu fréquenté et situé à l’écart du village où il fallait parfois rouler sur le sable ou bien au travers de grosses pierres. Un chemin si cahoteux qu’il fallait, par endroits, se résoudre à continuer à pied en tenant fermement les poignées de la bicyclette… pour éviter les accidents.
Un accident n’arrangerait certainement pas les choses dans son état.
Son état qui, en fait, avait été… un accident. Qui avait fait dévier sa route. Et qu’elle avait fini par accueillir avec joie. Après tout, s’était-elle dit, à ce moment-là : « Nous sommes deux, nous serons trois. » L’enfant n’était pas encore tout à fait humain que déjà elle le chérissait. Et elle avait laissé passer le temps, laissé passer les mois. On ne sait jamais…
Ils étaient deux, elle le croyait. Elle l’avait cru. Jusqu’au moment de Lui annoncer. Jusqu’au moment de l’entendre répliquer.
« Faudrait pas que tu comptes sur moi pour t’aider. Déjà qu’avec nos deux enfants, ma femme et moi… »
Une gifle en plein visage ne lui aurait pas fait plus mal.
Ce jour-là, encore sous le choc, Éliane avait fui. Ses mains tremblaient sur le volant. Dans sa vieille bagnole elle avait roulé au hasard. Et le hasard l’avait conduite jusqu’à ce tout petit village au beau milieu d’une carte postale. Jusqu’à cette rue bordée de champs où quelque esprit bien avisé semblait avoir aligné à dessein une série de logements… vacants.
Au tout début, il y eut l’obscurité et le silence. Puis d’un rhizome enfoui dans la vase…
Notice biographique
Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée àla fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à