Dix bougies pour Les Muffatti

Publié le 02 mars 2014 par Jeanchristophepucek

Le 28 mars 2014 aura lieu, au Conservatoire royal de Bruxelles, un concert célébrant les dix ans de la collaboration entre Les Muffatti et leur directeur artistique, Peter Van Heyghen, un événement qui m'offre l'occasion de m'arrêter, le temps d'un billet, sur les activités de cet ensemble que les lecteurs habituels de ce blog connaissent bien, puisque y furent chroniqués en leur temps les disques qu'il consacra à Giuseppe Sammartini et à Jean-Marie Leclair.

Les Muffatti sont nés en 1996 de la réunion d'amis qui, faisant leurs études ensemble, décidèrent de mettre en commun leurs talents pour interpréter les musiques que le conservatoire ne leur offrait pas d'explorer à la hauteur de leur soif de découverte, le répertoire baroque pour orchestre. Le nom qu'ils choisirent de se donner témoigne de leur ambition, puisqu'il s'inspire de celui de Georg Muffat (1653-1704), un compositeur qui, à la fin du XVIIe siècle, posa, en se fondant sur ses propres expériences de musicien travaillant en Allemagne mais ayant parfait sa formation lors de séjours en France et en Italie, les principes d'un style européen, ce « goût mêlé » qui devait se maintenir jusqu'à la mort d'un de ses meilleurs représentants, Georg Philipp Telemann (1681-1767). Au départ, les Muffatti jouaient sur instruments modernes, mais certains des membres se tournèrent assez rapidement vers une pratique d'exécution historiquement informée. La rencontre de l'ensemble, à un moment où son unité commençait à être menacée par la disparité née de techniques et d'envies différentes, avec le flûtiste Peter van Heyghen rêvant, lui, de se frotter à la direction d'orchestre, fut déterminante. Sous son impulsion, l'ensemble adopta définitivement les instruments d'époque et se professionnalisa, donnant son premier concert dans cette nouvelle configuration au printemps 2004.

En dix ans, tout en préservant largement la convivialité et l'enthousiasme qui ont contribué à forger leur projet, les Muffatti ont trouvé leur place parmi les ensembles spécialisés avec une sorte de sérénité et de modestie qui les rend attachants. Intégralement publié par le très élégant et exigeant label Ramée, leur parcours discographique, fort logiquement débuté, dès 2005, avec une version pleine de vitalité et déjà très mûre de l'Armonico Tributo de leur parrain Muffat, s'est tenu à l'écart des chemins trop fréquentés, donnant à entendre des programmes consacrés, outre à Sammartini et à Leclair, déjà cités, à Bononcini et surtout à Pez, qui demeure, à mon goût, leur réalisation la plus indiscutable à ce jour, ressuscitant avec autant de vigueur que d'esprit et de raffinement les œuvres d'un compositeur injustement négligé et parfaitement représentatif de ce vermischter Geschmack des premières décennies du XVIIIe siècle. Dans quelques semaines, leur catalogue s'enrichira d'une parution qui s'annonce comme un des événements de ce printemps, puisqu'il s'agit du premier enregistrement mondial de la Brockes-Passion composée en 1712 par Reinhard Keiser qui sera proposée conjointement avec les forces – excusez du peu – de Vox Luminis. Il ne fait guère de doute que la pâte sonore assez « septentrionale » des Muffatti, qui n'est pas sans rappeler celle de La Petite Bande (nombre de membres de l'ensemble ont suivi l'enseignement de Sigiswald Kuijken), avec, peut-être, un rien de sensualité et d'extraversion supplémentaires, fera merveille dans cette œuvre à la croisée de la ferveur et du théâtre.

À l'aube de cette nouvelle étape, on souhaite donc un très bel anniversaire à Peter Van Heyghen et aux Muffatti, en espérant qu'ils poursuivront encore longtemps leur chemin en se gardant, autant que les lois du marché le permettront, de la tentation de servir des répertoires plus communs. Comme le démontre le Keiser à venir, les fonds d'archives européens recèlent sans doute encore bien des partitions oubliées qui ne demandent qu'à renaître sous les doigts d'aussi talentueux interprètes.

Un disque incontournable :

Johann Christoph Pez (1664-1716), Ouvertures & concerti

Les Muffatti
Peter Van Heyghen, direction

1 CD Ramée RAM 0705 qui peut être acheté en suivant ce lien.

Extrait proposé : Concert sonata en fa majeur, R.15 :

Adagio

PrestoAdagio

Fuga : Alla breve

PrestoAdagioPrestoAdagio

Allegro

Àvenir :

Reinhard Keiser (1674-1739), Brockes-Passion

Zsuzsi Tóth, soprano, Jan Van Elsacker, ténor, Peter Kooij, basse
Vox Luminis
Les Muffatti
Peter Van Heyghen, direction

Extrait proposé : « Mich von Stricken meiner Sünden » (chœur d'ouverture)

2 CD Ramée RAM 1303, à paraître le 25 mars 2014

Crédits photographiques :

La photographie des Muffatti est de Stéphane Puopolo — stephane.puopolo@yucom.be

Remerciements à Benoît Vanden Bemden, Catherine Meeùs et Frédéric Degroote.