Regardez ces hommes. Celui-là vient de se faire larguer. Celui-ci
est « le dernier à être resté en Arkansas » après la mort accidentel
de son fils. Cet autre repense, 15 ans après, au jour où il est devenu veuf sur le
parking d’un supermarché. Et lui. Son bébé est mort in utero, à sept mois de
grossesse. Il se revoit tenant le petit corps sans vie pendant que sa femme
hurlait ; « Alors, vous n’allez même pas faire sa toilette.
Nettoyez-là, bon Dieu ! Qu’est-ce que vous attendez pour faire sa toilette ! »
Des hommes du Texas. Des « hommes rugueux et robustes,
des hommes qui ont les mains calleuses comme du cuir, des hommes qui n’ont pas
peur de garder un peu de tendresse dans leur poitrine et de l’exposer au grand
jour quand la situation l’exige, quelle que soit la souffrance que cela
implique ». Des hommes devant un vide vertigineux. Des hommes pour
lesquels le terme « reconstruction » n’est pas un vain mot. « Des
histoires d’hommes qui ont tous trois roues sur la route et une dans le fossé. »
Attention, grosse claque, énorme claque. Très longtemps que
je n’avais pas lu un recueil de nouvelles d’une telle qualité. Bruce Machart m’avait
déjà scié avec Le sillage de l’oubli. Ces nouvelles sont antérieures au roman
mais elles montrent déjà que l’on a affaire à un grand écrivain. La puissance
de son écriture est incroyable, tout comme sa science de la narration. Les
écrivaillons voulant se lancer dans la nouvelle devraient lire ces textes. C’est
une leçon magistrale. La quintessence du genre. Un vrai gros et beau coup de cœur
(y avait longtemps !).
Des hommes en devenir de Bruce Machart. Gallmeister, 2014.
190 pages. 22 euros
« Quand la
femme à laquelle vous êtes fiancé depuis cinq mois rentre à la maison après
avoir bossé toute la journée […] quand elle est un peu nerveuse ; quand elle
passe la porte et qu’elle vous trouve toujours en caleçon, en train de
gribouiller votre dernière histoire sur un bloc-notes, alors que le journal est
resté devant la porte d’entrée dans son emballage en plastique même pas ouvert,
les petites annonces bien au chaud à l’intérieur, sans que la moindre offre d’emploi
ait été encerclée ; et quand elle s’amène dans le couloir quelques instants
plus tard, à moitié à poil et en fronçant les sourcils, le visage rouge, aussi
impatiente de prendre sa douche que le serait une fermière après avoir saigné
un porc, alors vous comprenez que pour elle, vous n’êtes plus que de l’histoire
ancienne.»
L’avis de Krol
Et avec un tout petit peu de retard, ce billet signe ma seconde participation au mois de la nouvelle de Flo.