Depuis plusieurs jours une polémique enflamme le milieu de l’auto-édition et concerne un site Internet dont j’ai déjà souvent parlé sur ce blog : MyKindex.com.
Le site connaît un succès croissant et a été révélé au grand public lors de la dernière newsletter de KDP d’Amazon. Celle-ci comportait une interview d’une auteure auto-éditée dont le livre connaît un grand succès, succès qui a été initié grâce au service proposé par MyKindex.
La polémique a ensuite éclaté via les articles de Pierrick Messien sur son blog, un auteur auto-édité que j’apprécie, et d’Actuallité.com relayés par d’autres bloggeurs et sur Twitter (lire l’article de Pierrick Messien et de l’ActuaLitté.
J’ai été très étonné par la virulence des critiques et des attaques à l’encontre de MyKindex, accusés de manipuler le TOP 100 d’Amazon et de tromper les clients, qui pensent acheter des livres devenus « naturellement » des best-sellers alors qu’ils ont été « propulsés ». Les mots ont été durs et le ton parfois condescendant voire méprisant.
Ayant moi-même fait appel à leurs services et ayant décrit précisément dans mes « Points d’étape » ce que pouvait apporter MyKindex à un auteur auto-édité comme moi, j’ai aussi été blessé par ces attaques puisque je devenais en quelque sorte un défenseur du système honni, j’étais soudainement et sans autre forme de procès dans le mauvais camp. Plusieurs auteurs indépendants se sont sentis également attaqués, comme J. Heska, qui l’explique dans cet excellent article.
Je voudrais donc simplement témoigner pour rappeler quelques faits qui ont été soit omis, soit déformés dans les différents articles parus pour critiquer MyKindex et pour montrer que les attaques sont à mon sens exagérées et injustes au regard des arguments avancés et des faits sur lesquelles elles s’appuient.
Manipulation ?
Intéressons-nous tout d’abord à la critique la plus importante : la « manipulation » du TOP 100 d’Amazon. Il est incontestable que MyKindex modifie le classement des ventes, c’est l’essence du service qu’il propose. Cependant, le terme « manipulation » me paraît excessif, puisqu’il n’y a ni trucage ni ordonnancement artificiel des livres dans le classement. Le livre propulsé impacte le classement et le modifie, mais MyKindex ne décide pas de l’ordre des livres. Il est d’ailleurs impossible de prédire le classement d’un livre avant une propulsion MyKindex.
Bien sûr, me rétorquera-t-on, mais cet impact est déjà de la triche en soi ! Je ne le crois pas. Le classement d’Amazon est un classement dynamique : il rend compte du flux des ventes à un instant T. Il est toujours mouvant, toujours changeant. Ce n’est donc pas un classement au sens littéral du terme puisqu’un classement a lieu lorsque les faits à partir desquels est basé le classement sont révolus. On classe les coureurs d’une course à l’issue de celle-ci, on classe les élèves à un concours après que les épreuves aient eu lieu etc. C’est pour cette raison que les classements traditionnels des meilleures ventes de livre que l’on peut retrouver dans la presse sont toujours faits sur une semaine ou un mois entier écoulés. Amazon ne procède pas de cette manière. Il faut donc considérer le classement d’Amazon comme le cours de valeurs boursières, une sorte de CAC40. Votre livre est dans le TOP100 ? Cela signifie qu’il est très apprécié et que sa valeur de marché est donc très élevée. Il commence à décroître ? Il perd de sa valeur car les gens s’en désintéressent : sa valeur de bourse chute. On peut légitimement considérer que ce système de classement est mal fait ou absurde mais il fonctionne ainsi.
Cela produit des paradoxes étonnants et contre-intuitifs. Ainsi, entre deux livres, sur une période d’une semaine, celui qui réalise 50 ventes en une seule journée et aucune les six jours suivants se retrouvera en tête des ventes et son classement diminuera progressivement alors qu’un livre qui réalise 10 ventes par jour durant une semaine (et donc plus de vente que le premier) n’atteindra jamais le haut du classement et naviguera à la même place toute la semaine…
Un extrait du TOP 100 d'Amazon de la boutique Kindle
Le TOP 100 d’Amazon n’accueille pas donc nécessairement que des best-sellers, il recense simplement les livres qui, à un instant T, ont une cote très élevée. Parmi eux se trouvent des best-sellers mais également tous les livres qui enregistrent des ventes très rapides dans un laps de temps très court (livres venant juste de paraître, livres dont le prix connaît une réduction importante etc.).
A la lueur de cette explication sur le fonctionnement du classement d’Amazon — qui, comme nous venons de le voir, n’en est pas réellement un —, le service proposé par MyKindex prend une nouvelle dimension. Il ne s’agit absolument pas de transformer un livre en best-seller, comme cela a pu être affirmé (et MyKindex n’a, à ma connaissance, jamais eu cette ambition) mais de lui donner de la visibilité. Penser que, grâce à une propulsion, un livre peut automatiquement devenir un best-seller est quelque peu naïf.
Pourquoi un livre a-t-il du succès ?
Une propulsion est extrêmement rapide, la visibilité donnée ne dure que trois jours environ. Le livre n’a donc que trois jours pour trouver son lectorat, après, il retombe dans les profondeurs du classement (personne n’a voulu miser sur votre ouvrage). Ainsi, j’ai effectué deux propulsions MyKindex : l’une a marché, l’autre non. J’ai vu de nombreux livres propulsés échouer, notamment dans la catégorie science-fiction, celle que je surveille régulièrement. Je n’ai aucune idée du taux de réussite des livres propulsés mais celui-ci est très loin d’être de 100%. Je ferais une estimation (très) grossière à 30% des livres propulsés ayant connu une hausse de leurs ventes après la propulsion et 5% à peine pour les livres réussissant à rester dans le TOP100 après trois jours. Dans ces conditions, prétendre que MyKindex fabrique artificiellement des best-sellers est largement exagéré. C’est notamment oublier qu’un best-seller se construit dans la durée sur le très long terme (plusieurs semaines).
Si un livre connaît du succès après sa propulsion, ce sont pour d’autres raisons, indépendantes de MyKindex. Ces facteurs sont inhérents au succès d’un livre et sont également indépendants de la qualité littéraire du livre :
- la couverture,
- la description,
- le titre,
- le genre,
- le sujet,
- le nom de l’auteur (s’il est connu évidemment et c’est donc un facteur qui ne compte pas pour les auto-édités),
Accéder au TOP100 n’est pas une fin en soi. Un auteur auto-édité comme moi veut que ses livres soient visibles, pour être présentés aux lecteurs, il veut donc être propulsé non pas pour être bien classé, mais pour être visible. Il veut que son livre soit jugé comme les autres, sur son titre, sur son sujet et sur sa description, en espérant que le lecteur lui donnera sa chance.
Je pense que la couverture de mon livre Eden doit beaucoup à son succès
MyKindex permet d’offrir de la visibilité. Cette visibilité, sur Amazon, passe par le classement, le TOP 100, ou plus exactement, par la valeur de marché à un instant T, selon une logique « the winner takes all » (voir mon article Point d’étape n°4 : Auto-édition et Cygne Noir, à quoi tient le succès ? pour plus de précisions). C’est un fonctionnement regrettable qui contraint un auteur à être dans ce TOP 100 pour espérer obtenir de la visibilité. Ainsi, le site MonBestSeller.com a adopté un fonctionnement bien plus intelligent, puisque sur leur page d’accueil on distingue très clairement les livres les plus lus (avec un classement exhaustif) des livres qui sont « A la Une », c’est-à-dire les livres pour lesquels l’auteur a payé pour qu’ils soient affichés en première page (comme si on achetait un espace publicitaire). Amazon ne procède pas de cette manière. C’est regrettable mais c’est ainsi.
Dès lors, on comprend que le succès d’un livre sur Amazon ne dépend pas uniquement de son classement. Comment un lecteur va-t-il juger un livre qu’il voit pour la première fois dans le TOP 100 ? Le classement joue un rôle mais une fois que vous êtes dans le TOP 100, peu importe que le livre soit classé 4ème, 35èmeou 95ème. Allez-vous vraiment acheter un livre qui est à la 8ème place plutôt qu’un livre qui est à la 68ème ? Bien sûr que non, vous allez le choisir selon les critères énoncés précédemment.
Certains affirmeront qu’un livre présent dans le TOP100 via MyKindex ne « mériterait » pas d’y être et qu’il y a donc tromperie pour le lecteur, qui pense acheter un livre « méritant » de figurer dans ce classement. Il est vrai que rien n’indique qu’un livre a été propulsé (contrairement, je le répète, par exemple, à MonBestSeller.com). Mais, à moins d’acheter compulsivement ou les yeux fermés un livre, il est très facile de distinguer les « vrais » best-sellers des autres livres, propulsés ou non, figurant dans le TOP100. Comment ? Tout d’abord par la notoriété du livre et de son auteur, ensuite par la notoriété de la maison d’édition (s’il y en a une), par le nombre de commentaires clients (et non pas par la moyenne des notes) et enfin par le nombre de jours durant lesquels le livre a figuré dans le TOP100. J’ai donc énormément de mal à croire qu’un lecteur qui achète un livre d’un inconnu, auto-édité de surcroît, dont le livre est présent depuis quelques jours seulement dans le TOP100 et qui a très peu de commentaires clients (disons moins d’une vingtaine) pense sincèrement acheter un best-seller. J’ai d’autant plus de mal à le croire que dans ce même TOP100 figurent des best-sellers, présents dans le TOP100 depuis des dizaines de jours, avec plus d’une cinquantaine de commentaires clients, publiés par des éditeurs comme JC Lattès, Actes Sud et XO Editions.
Nous arrivons donc aux conclusions suivantes :
- Le classement d’Amazon ne reflète pas la réalité des ventes au sens traditionnel ou habituel, mais il reflète la tendance des ventes des livres et n’inclut donc pas nécessairement des best-sellers, mais n’importe quel livre enregistrant beaucoup de ventes dans un laps de temps court (et pas besoin d’être propulsé par MyKindex)
- Le succès d’un livre ne dépend pas exclusivement de son classement mais de sa couverture, de son titre, de son genre et de sa description,
- Un livre propulsé est différentiable d’un véritable best-seller en regardant les indicateurs mis à la disposition de l’acheteur par Amazon.
A la lumière de ces éléments, il me semble très difficile d’affirmer que MyKindex fabrique des best-sellers et qu’il y a tromperie de la part de MyKindex et de l’auteur faisant appel à leurs services.
Quid de la qualité ?
J’en entends déjà rétorquer : « Et la qualité du livre ? Et les commentaires clients ? Ceux de MyKindex sont probablement truqués en plus !». Il est vrai que je n’en ai pas encore parlé. Je vais donc expliquer pourquoi selon moi, ces critères-là ne sont pas déterminants et qu’il n’y a aucune escroquerie ou arnaque de la part de MyKindex.
Au-delà de la promesse d’apparaître dans le TOP100, MyKindex offre une rencontre entre un livre et un lectorat, constitué des lecteurs appartenant au club MyKindex. Il s’agit pour un auteur de donner de la visibilité à un livre, de proposer à des investisseurs son produit, pour reprendre la métaphore boursière. Les lecteurs de MyKindex vont miser sur votre livre en l’achetant (et donc augmenter sa valeur de marché, sa cote, dans le classement Amazon), en le lisant et éventuellement en le commentant.
Les fondateurs de MyKindex déclarent que les lecteurs n’ont aucune obligation de laisser un commentaire et qu’ils sont libres de noter comme il l’entende. On peut choisir de ne pas les croire et de douter de leur sincérité en disant que les commentaires sont faussés et truqués. Regardons simplement les chiffres sur les deux propulsions que j’ai effectuées :
Après la propulsion MyKindex, j’ai reçu une petite dizaine de commentaires clients Amazon (sur 60 ventes garanties par le système) sur chacun de mes deux livres propulsés. J’ai reçu des commentaires franchement positifs pour Eden (5 étoiles) et des commentaires relativement positifs (entre 3 et 4 étoiles, les commentaires 5 étoiles étant issus d’avant la propulsion) pour Dévotion Électrique. Cette disparité des commentaires semble prouver que les lecteurs ont vraiment noté en fonction du livre et qu’il n’y a pas de trucage (je précise que j’ai reçu des « félicitations » pour mon livre Eden de la part de lecteurs qui m’ont directement contacté sans laisser de commentaires Amazon, puisqu’une moyenne de 4.8 étoiles pour Eden pourrait paraître suspecte aux yeux de certains !).
Outre les notes reçus, on remarque également que comparativement au nombre de lecteurs MyKindex qui ont acheté mes livres, assez peu d’entre eux ont finalement laissé un commentaire (environ 7 commentaires pour Dévotion Électrique pour environ 10 pour Eden pour 60 ventes garanties soit respectivement 12% et 17% des lecteurs). Il me paraît dans ces conditions très difficile de parler de trucage en prétendant que les lecteurs MyKindex auraient pour consigne de laisser obligatoirement un commentaire sur chacun des livres qu’ils lisent…
Les commentaires clients sur mon livre Dévotion Électrique
Plus fondamentalement, je pense qu’il est très difficile d’établir une corrélation entre le nombre de ventes d’un livre et ses commentaires clients. Il y a évidemment un lien : plus un livre est bien noté, plus ses chances de se vendre seront grandes. Cependant, lorsque l’on regarde les best-sellers actuels (Fifty Shades of Grey, Inferno etc.), les moyennes obtenues ne sont pas forcément très bonnes, certains commentaires sont même assassins. La qualité n’est ni un critère unique ni une condition nécessaire pour qu’un livre devienne un best-seller (mais nous ne le savions déjà, n’est-ce pas ?). On pourrait répondre qu’il y a une exigence de se conformer à un minimum de qualité, comme la mise en page, la typographie, l’orthographe. Aussi incroyable que cela puisse paraître, certains lecteurs ne s’en formalisent pas. J’ai lu avec stupéfaction des commentaires clients sur des livres auto-édités (non propulsés par MyKindex car publiés avant l’existence de ce site) qui étaient très positifs alors qu’ils ne respectaient pas les standards minimum de qualité que l’on pourrait attendre. Ils louaient l’histoire, l’intrigue, le style et regrettaient simplement une mise en page non convenable et la présence de fautes d’orthographe. Je milite grandement pour que les auteurs auto-édités adoptent des standards elévés (voir mon article ici) mais en naviguant sur Amazon, on se rend compte que certains lecteurs n’y accordent qu’une importance relative.
Tout cela pour dire que la qualité attendue d’un livre est de la responsabilité de son auteur. Il ne peut pas y avoir de tromperie de la part de MyKindex car le site n’est en aucun cas responsable du contenu des livres propulsés et un auteur est libre de la mise en page de ses livres, tant que celle-ci convient à ses lecteurs. Pour rappel, si un lecteur s’estime lésé ou trompé sur le livre, il peut demander à Amazon le remboursement du livre jusqu’à 7 jours après l’achat. Dans ces conditions, quelle peut être l’arnaque ou l’escroquerie ?
Qui sont les perdants ?
Je terminerais ce long article en rappelant que les « manipulations » du TOP 100 et les faux commentaires clients existent depuis très longtemps et qu’attaquer MyKIndex est se tromper complètement de cible pour ceux qui veulent dénoncer ces pratiques. N’importe qui, y compris l’auteur lui-même, peut acheter un livre autant de fois qu’il le souhaite, avec pour résultat de faire grimper les ventes. De même, les grands éditeurs ne « manipulent »-ils pas eux-mêmes le classement ? Certains livres apparaissent dans le classement alors que ceux-ci ne sont même pas sortis, mais simplement pré-commandés ! (le TOP 100 des ventes de science-fiction comporte un certain nombre d’exemples). Que dire sinon des faux commentaires qui pullulent sur Amazon ? Certains sont achetés par l’auteur (auto-édité ou pas) : il existe plusieurs sites Internet offrant pour une poignée de dollars l’écriture d’un commentaire 5 étoiles. Que dire également de la vive polémique qui a eu lieu il y a quelque temps à propos du renforcement du contrôle des commentaires par Amazon, tant certains commentaires n’avaient pour but que de dénigrer ou d’encenser exagérément un livre et étaient écrits par des gens n’ayant même pas acheté le livre en question ?
Enfin, quiconque s’intéresse au monde de l’auto-édition connaît l’histoire d’Agnès Martin-Lugand, dont le livre, auto-publié, est devenu un best-seller sur Amazon avant que Michel Lafon ne lui propose un contrat d’édition traditionnel. Comment a-t-elle fait pour que son livre, Les gens heureux lisent et boivent du café, atteigne le TOP 100 d’Amazon ? Elle a écrit un mail à tous ses proches leur demandant d’acheter son livre afin de le propulser dans le classement. Vous l’avez compris, elle a utilisé le même principe que MyKindex, avec ses moyens personnels et son propre réseau. L’auteure ne s’en est jamais cachée et personne ne lui a jeté l’opprobre. Elle le raconte d’ailleurs dans l’émission On n’est pas couché de Laurent Ruquier (à partir de la 45ème minute de la vidéo).
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Au final, je trouve cette polémique tout à fait regrettable car elle discrédite un peu plus les auteurs auto-édités et indépendants qui, bien loin de vouloir gagner de l’argent, veulent avant tout que leurs livres soient lus, et elle divise la communauté de l’auto-édition, qui, à mon sens, a besoin d’être solidaire et de s’entre-aider pour acquérir peu à peu ses lettres de noblesse. Critiquer MyKindex est également dommage car nous voyons émerger un acteur de l’auto-édition, preuve que le marché évolue et se structure, et au lieu d’encourager cet acteur, de le challenger positivement en lui proposant de s’améliorer ou de se transformer si on estime qu’il doit le faire, on tente de le discréditer complètement et de l’accuser d’escroquerie et d’arnaque.
Espérons que l’été apaisera les tensions. Bonnes vacances à tous !