Opéra: le sérail kitsch de Stéphanie Mohr

Publié le 01 mars 2014 par Luc-Henri Roger @munichandco

L'enlèvement au sérail (1782) fut créé à Vienne trente ans après la construction du Théâtre Cuvilliés (1753) dans la Résidence de Munich, un théâtre qui accueillit la création d'Idomeneo, re di Creta (1781). C'est dire que ce petit théâtre rococo  constitue un lieu idéal pour représenter du Mozart. Mais on est en droit de se demander quelle mouche a piqué Stéphanie Mohr et sa décoratrice Miriam Busch en faisant le choix de la provocation du kitsch dans ce décor des plus charmants. L'idée de prolonger le délicieux décor rococo bavarois par l'installation sur scène d'un théâtre dans le théâtre avec ses loges de balcon festonnées n'est certes pas nouvelle, on vient de le voir au Théâtre national avec la nouvelle production de La Clemenza di Tito, mais de là à recréer des loges approximatives et colorées  en les peuplant de dames portant de hautes perruques ornées vaisseaux aux mâtures filigranées telles que les représentent les caricatures de la fin du 18ème siècle, il y a un pas que la metteure en scène a allègrement franchi. Entre les loges, un automate diseur de bonne aventure dans sa cage de verre, on y va de sa piécette et on reçoit une carte prédisant l'avenir. Belmont en justaucorps et gilet brodés interrogera l'automate d'entrée de jeu. Les costumes des protagonistes dus aux talents d'Alfred Mayerhofer sont plutôt réussis, à la fin du deuxième acte on assistera d'ailleurs à une séance d'habillage de Constance et de Blonde de belle venue. Le costume d'Osmin, avec son corset de cuir noir sur des vêtements sombres lui donne l'image d'un dompteur de fauves (-les femmes du harem sont sans doute autant de tigresses-), est particulièrement réussi. Mais à quoi bon peupler la scène d'un choeur porteur de vêtements et d'éventails japonisants, pourquoi donner cet éclairage aux lanternes de papier coloré? Bien sûr on est proches du carnaval et la turquerie de l'Enlèvement au sérail relève bien de la farce grotesque, mais la mise en scène et les décors se dispersent dans un orient de pacotille fait de brics et de brocs aux couleurs criardes , et cela n'apporte rien à l'opéra de Mozart. L'abondance de détails non signifiants  transforme l'espace scénique en une bouillabaisse incertaine.
Sous les oripeaux du spectacle, Stéphanie Mohr paraît vouloir nous faire réfléchir sur les aléas et les vicissitudes  de la condition amoureuse. Constance est-elle une femme fidèle qui joue de ses charmes pour tenir le pacha à distance ou est-elle tentée par une certaine infidélité? Stéphanie Mohr a retravaillé librement le livret de  Johann Gottlieb Stephanie en y intégrant des poèmes de Michel Houellebecq. Et on retrouve le questionnement désabusé du Goncourt français: cela vaut-il la peine d'aimer, d'espérer, de vivre enfin? Le corps qui m'attire aujourd'hui vieillira bien trop vite. espérer, mais espérer quoi alors que l'impermanence, la vieillesse et la mort guettent. Sur scène un figurant incarne un vieillard décati aux mâchoires édentées qui semble considérer les jeux de l'amour d'un regard narquois. Ce fil conducteur sauve la mise en scène du kitsch omniprésent. Mais alors surgit la question suivante: faut-il dramatiser le divertissement mozartien et lui apporter le cynisme et l'ironie houellebecquiens?
Mozart justement! La distribution d'hier soir était aussi composite que le décor. Wesley Rogers apporte un curieux accent anglais à l'espagnol Belmonte. Coutumier du rôle (il l'a chanté e.a. à Dresde, Liège ou Paris), avec un ténor puissant, un chant extrêmement travaillé qui donne davantage dans l'effet que dans l'expression de l'émotion. La Constance d'Elena Gorshunova ajoute une touche russe. Elle déçoit tant dans le grave que dans l'aigu, mais séduit davantage dans le registre moyen, avec des modulations sensibles spécialement dans le deuxième grand air. Juan Carlos Falcón colle au personnage de Pedrillo en accentuant l'accent espagnol, à bon escient quant à lui et avec  un joli sens de la drôlerie. Raphael von Bargen manque d'élocution dans ses monologues sur la condition amoureuse, dommage, on aurait aimé comprendre davantage. Jennifer Riedel est charmante en Blonde. Mais ce sont surtout les interprétations des deux serviteurs qui sauvent la soirée: Juan Carlos Falcón donne un Pedrillo vif, drôle et pétillant, avec un beau ténor que l'on sent rôdé aux cascades du bel canto, et puis l' Osmin de Stefan Cerny, avec sa basse puissante et très sonore, magnifique jusque dans les registres les plus graves, avec un jeu d'acteur très énergique, une grande prestance et une présence scénique intense.
L'enlèvement au sérail se joue encore les 2, 3 et 5 mars au Théâtre Cuvilliés de Munich.
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