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Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 01 mars 2014 par Chatquilouche @chatquilouche
Zephyra, Matin d' automne

Zephyra, Matin d’ automne

V. était un être hybride, entre l’enfant, la femme, et l’animal.  Du premier elle avait la naïveté et l’innocence innée ; elle empruntait à la seconde la séduction lascive qui semblait provenir d’une inadvertance ; quand le troisième lui offrait son imprévisible sauvagerie – on ne savait jamais si elle allait griffer ou ronronner.  Elle était, évidemment, bien plus que ça : résumer un être à des mots ressemble à une impossibilité, car les vagues de sensations sont trop souvent ineffables.  On pourrait parler de beauté, de sourire, de taches de rousseur, de toutes ces choses qui se donnent du mal pour composer quelqu’un sans jamais complètement y parvenir, car quelqu’un, c’est plus que ça, plus qu’une teinte de peau, plus qu’une paupière bistre et que des cils clairs, plus qu’une voix trop basse qui incite forcément à pencher la tête, quelqu’un c’est autre chose.  Surtout quelqu’un qu’on aime.  Là aussi les mots s’affolent : les émotions, le corps, la poésie, tout se met en branle, se démène pour exprimer un sentiment déguisé en sensation – les mots sont bien gentils, mais manquent parfois de corps.

Toujours est-il qu’il était tombé amoureux (nous n’avons malheureusement pas d’autre terme en bouche) instantanément.  Sorte de flamme au milieu de ses copines fades, V., simplement, brillait et lui, simplement, n’avait plus su quoi dire.  Il était réputé pourtant pour sa faconde, toujours le dernier mot, toujours une vanne plus ou moins amusante, bref, le mec qui rarement se tait se retrouvait alors avec la bouche ouverte et rien qui n’en sortait, si ce n’est une sorte de désir sous une respiration.  Ses yeux étaient comme sa bouche, démesurément ouverts, gouffres qui ne demandaient qu’à se remplir d’elle, d’une réalité aux longs cheveux.

Les caractères, par l’entremise du hasard, s’étaient inversés : elle qui parlait peu faisait de l’esprit, les autres riaient, sauf lui, le béant silencieux.  Il ne l’écoutait pas, enfin, il l’écoutait avec les yeux et, son cerveau, cervelle d’adolescent bouffée par les hormones, flottait dans une niaiserie délicieuse.  Ses oreilles, devant l’impétueuse et gourmande fascination, laissaient poliment les mots à leur porte ; l’essentiel de son être se concentrait dans ses yeux, et un peu dans son bas-ventre qui commençait à le chatouiller bizarrement.  Des copains, des copines, une cour de lycée pareille à toutes les autres, des pigeons qui trainent leur ombre, tout un décor basique planté et, au milieu, le surgissement colossal d’un phénomène fou – une espèce d’amour.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge 

Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…
Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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