01 mars 2014
Je reprends mes lectures dans l’ordre, avec le premier opus de la « trilogie » des enquêtes du Commandant Camille Verhoeven. Et c’est bien par ce volume qu’il convient d commencer car si on a au préalable lu le troisième, on sait déjà qu’il n’y aura pas de happy end à cette histoire.
Une enquête particulièrement difficile, car les policiers de la brigade Verhoeven, même s’ils ont déjà été confrontés à des scènes de crime éprouvantes, n’ont jamais rien vu de tel : dans un loft isolé de Courbevoie, les cadavres affreusement mutilés de deux jeunes femmes, têtes décapitées et clouées au mur, viscères sortis de leur cavité, excréments mêlés au sang abondamment répandu, donnent le vertige. Quel (ou quels ?) sadique(s) aussi pervers que méticuleux a pu programmer une telle mise en scène ?
Quelques recherches sur des cas présentant des similitudes et encore non résolus font apparaître d’étranges indices, mais laissent à déduire que le criminel reproduit des scènes de carnage issues non pas de l’historiographie criminelle – un copycat – mais de romans policiers classiques. C’est le traitement infligé à une jeune morte sciée en deux et arborant le sourire de Gwynplaine (L’homme qui rit) qui fait immédiatement penser au Dahlia noir. Et le double crime de Courbevoie fait référence, lui, au roman de Brett Easton Ellis, American Psycho …
Nous voici donc plongés dans une course contre la montre : quels sont les classiques du roman policier qui pourraient à nouveau inspirer le meurtrier psychopathe, quelle stratégie va adopter le Commandant Verhoeven et ses adjoints pour anticiper, comprendre, appréhender cet effroyable criminel particulièrement imbu de son talent et de sa culture littéraire ? Car la Presse s’en mêle d’une façon particulièrement bien informée … par qui ?
Pierre Lemaitre pose ici les bases d’un roman qui constitue à ses yeux « un exercice d’admiration de la littérature ». Travail soigné, comme son titre l’indique, est un ouvrage brillant, construit avec une rigueur fantastique : la mise en place de l’intrigue est d’abord lente, méthodique, avec des digressions, des impasses tout à fait réalistes, une réflexion approfondie sur la valeur littéraire des romans policiers, depuis les classiques du genre avec ses maîtres anglo-saxons mais aussi en hommage au précurseur français puisque le « père » reconnu du polar est Emile Gaboriau et son Monsieur Lecoq … et la valeur du travail en équipe, la modestie des moyens d'investigation, la minutie du travail de recherches, les contributions de spécialistes plus ou moins opportunes ...
Un roman ainsi mis en abîme ; avec autant d’histoires dans l’histoire, et qui, à la fin, s’accélère dans une dramaturgie sanglante qui vous tient plié en deux de douleur et comme assommé.
Travail soigné, thriller de Pierre Lemaitre, volume 1 de la trilogie Verhoeven, aux éditions du Masque. En livre de poche, 408 p., 7,60€