Si Bruxelles est la capitale de l’Europe, Judah Warsky en a composé son hymne. Accompagné d’un unique synthé sampler, Warsky lâche un étonnant second album dans lequel résonnent des thèmes plus que troublant. Mais, contrairement aux apparences Judah n’est pas tiraillé par de profonds sentiments ni plongé dans une dépression. S’il lui arrive d’en avoir « marre de tout », il se laisse cependant porter par les évènements avec légèreté. On a été à sa rencontre, au Point FMR, pour en savoir plus sur lui.
ATD. On a dû te le demander souvent, mais pourquoi Judah ? Une histoire de trahison ?
Judah Warsky. C’était mon petit nom dans le groupe Turzi. On était cinq au début du groupe et on s’était tous pris un petit nom à la con, que d’ailleurs on n’avait pas choisi. On choisissait les uns pour les autres, et ils voulaient m’appeler Jésus. J’avais les cheveux plus longs à cette époque et on avait une chanson qui s’appelait I used thinking about Jesus sur laquelle c’est moi qui chantait..au début c’est moi qui chantais tout d’ailleurs, avant que Romain Turzi commence à avoir les couilles de chanter lui même. Donc Jésus Warsky. Mais je leur ai dit qu’à la limite, je préférais « Judah ».
ATD. Un peu trop cliché, Jésus ?
Judah Warsky. Un peu trop cliché et puis ça fait un peu trop genre « choquer le bourgeois », donc voilà c’est resté. Quand j’ai commencé à faire des trucs solo et donc à « trahir » mes groupes, le nom s’est imposé. C’est bon comme nom tu vois, ça tape « Judah Warsky ».
«L’identité c’est un peu un détail»
ATD. Sur ton premier album tu as dû composer avec une seule main ! Aujourd’hui ça va mieux, alors est-ce que c’était un choix de n’habiller tes morceaux qu’avec un synthé sampler ?
Judah Warsky. C’était pour essayer de garder un peu le même truc que sur le premier album, la même méthode. De toute façon avec un sampler les possibilités sont littéralement infinies donc le temps que j’en ai marre, je pense que je peux faire 25 albums. Et je sais pas, j’aime bien l’idée d’en mettre moins. Si je voulais, je pourrais travailler avec des musiciens, faire de la gratte. Mais non j’aime bien que ça reste ramassé, tout fait au sampler.
ATD. Pour mettre ta voix en avant ?
Judah Warsky. Non, la voix est quand même toujours un peu en avant, c’est la voix qui chante les mélodies principales. Je crois pas qu’elle soit beaucoup plus en avant que sur le premier album. Un jour où on était ici (au point FMR) – ici c’est cool il y a beaucoup de passage, donc je laisse toujours les portes ouvertes et il y a des musiciens qui passent, c’est sympa, on boit un coup – Et le mec de Catholic Spray qui était là, je lui ai fait écouter quelques morceaux et il disait « putain c’est marrant tu mets aucun effet sur ta voix, moi je met toujours un truc, un machin », comme quoi…
ATD. En écoutant « Bruxelles Capitale de l’Europe », j’ai eu l’impression d’entendre le Gainsbourg dans les années 70. Est-ce que tu as travaillé cette voix si grave ?
Judah Warsky. Non non, parce que j’ai une voix plus grave quand je parle, et encore plus grave quand je parle dans un micro avec un casque. Tu sais c’est pas du tout pareil : tu commences à parler, puis tu t’entends et tu commences à parler un peu plus comme ça pour faire plus « genre ». Enfin je ne sais pas, j’aime mieux ce que j’entends. Et même, je trouve que ça se prêtait mieux avec l’instru.
ATD. C’est prenant, vraiment.
Judah Warsky. Tu vois, avec l’instru j’aurai pas pu faire « Dans le noir de … » (voix aiguë). Ça n’aurait pas collé. Mais c’est vrai que j’ai la voix. Je ne mets pas d’effets mais je la module. De toute façon l’identité c’est un peu un détail, un des nombreux thèmes de ce disque. J’aime bien l’idée que ça pourrait être plusieurs narrateurs différents d’un morceau à l’autre.
ATD. Tu passes de l’anglais au français avec aisance. C’était une volonté de chanter dans les deux langues ?
Judah Warsky. Sur le premier album, j’avais vraiment envie d’avoir au moins un morceau en français, donc je l’ai fait et sur celui-là, je m’étais dit avant de commencer que ce serait bien qu’il y ait un peu plus de français. En fait, quand j’ai fait le premier disque j’avais quasiment jamais fait de concert tout seul, mais en revanche entre les deux j’en ai fait plein. Quand je suis seul sur scène, j’aime bien parler un peu avec le public entre les morceaux, même pendant les morceaux parfois. Ça crée une espèce de proximité dont j’ai besoin parce qu’en étant seul, j’ai besoin de me faire des potes dans le public et ça marche, la proximité se fait… Puis j’enchaîne avec un morceau où je chante en anglais et ça tient un peu les gens à distance. Donc je m’étais dit que ce serait bien si j’écrivais plus en français sur le prochain disque… Au final, la langue s’impose un peu pour chaque morceau. Je ne m’étais pas dit « fais-en cinq en français et cinq en anglais », non plus. Il y a des morceaux que j’ai commencé à faire en anglais puis ça ne marchait pas et d’autres c’est l’inverse. La langue finit par s’imposer à la chanson sans que je ne le décide vraiment.
«Bruxelles c’est un très bon point de fuite»
ATD. Ton album s’appelle Bruxelles. Quel rapport entretiens-tu avec cette ville ?
Judah Warsky. C’est une ville que j’aime beaucoup, mais je n’y vais pas souvent, j’y vais quand j’ai un concert là bas en gros. Mais à chaque fois que j’y vais je suis hyper content, à chaque fois c’est super, les gens sont cool, c’est la teuf, le public est bien. Et donc un jour j’ai fait une chanson sur Bruxelles, que j’ai créée à Bruxelles d’ailleurs, à ce moment là j’avais même pas encore la musique, j’ai juste récité le poème comme ça sur scène, c’était marrant. J’ai ensuite fait la musique et on s’est dit que c’était un bon titre pour tout l’album. En plus le fait que justement l’album soit dans les deux langues représente bien la ville qui est bilingue.
ATD. Donc c’est une déclaration d’amour à Bruxelles ?
Judah Warsky. Il y a beaucoup de villes que j’aime. J’aime Lille aussi, Buenos Aires… Mais Bruxelles je sais pas… Je trouve ça plus cool de chanter Bruxelles que New York City ou Berlin.
ATD. Parce que c’est moins courant ?
Judah Warsky. Ouais, c’est moins galvaudé. Parce que Berlin j’y ai joué aussi et que c’est soit disant génial alors que moi je sais pas… Déjà c’est hyper grand, donc c’est relou tu peux rien faire à pied. Moi j’aime bien marcher, tu sais marcher d’un endroit à l’autre.
ATD. Tu pourrais t’y installer ?
Judah Warsky. Paris j’y ai vécu toute ma vie, enfin en France. J’ai mes potes ici, ma famille, mon label, mon taff… Mais ouais, si je devais quitter la France, si le FN gagne aux élections, Bruxelles c’est un très bon point de fuite.
ATD. « Marre de tout »… L’histoire d’une dépression ou un ras-le-bol de la France ?
Judah Warsky. Non, ça n’a rien a voir avec la France, c’est vraiment comme le dit le titre : marre de tout, c’est pas un truc en particulier, c’est tout. Ça n’a rien à voir avec le ras-le-bol dont on parle dans les journaux en ce moment, d’ailleurs quand je l’ai écrit c’était pas encore ça, ça c’est des gens qui en ont marre de ci ou de ça. Moi c’est vraiment un marre de tout, c’est plus un truc de crise d’angoisse que de trucs réfléchis, c’est pas un truc cérébral c’est vraiment le truc que tu ressens. Tout le monde ressent ça un moment. Il y a un moment où t’en as marre de tout quoi, tout te saoule. Disons que tu es devant ton ordi, sur internet et tout ce que tu vois, ça te fait chier, tu écoutes de la musique et tout ce que tu écoutes ça te fait chier. Tu allumes la télé et tout ce que tu vois ça te fait chier. Tu lis un journal, tout te fait chier. Tu veux lire un livre, mais même les meilleurs livres tu as pas envie. Tu sors dans la rue, ça te fait chier cette rue, et en même temps marcher pour aller dans une autre rue, ça te fait chier aussi.
Judah Warsky. Non, non… De toute façon il n’y a pas d’issues à ça. Si t’en as marre de tout, vraiment tout, tu te tires une balle mais c’est pas mon intention. J’ai l’intention de vivre très très vieux. Et oui je dis que j’en ai marre de la musique, mais j’en ai marre du silence aussi. Quand tu peux plus rien supporter, je ne sais pas, il y a plus rien à faire.
ATD. Et qu’est ce que tu as trouvé comme issue à ce « marre de tout » ?
Judah Warsky. Ben…dormir ! (rires) Quand tu dors t’es bien, tu rêves.
ATD. Tu cites Jacques Brel. C’est un modèle, une source d’inspiration ?
Judah Warsky. Je le cite parce qu’il a fait une chanson sur Bruxelles, et je pense que c’est un modèle pour tout le monde. C’est un des plus grands auteurs, y’a pas à chier ! Et en plus de ça, contrairement à d’autres auteurs qui ont peut être plus de prétention poétique, lui ses chansons sont très souvent construites de façon symétrique, c’est vraiment des chansons et j’aime bien ça. Ça ne se retrouve pas du tout dans mes textes parce que lui c’est un très très grand auteur, moi je commence à peine à écrire en français, on peut même pas comparer. Mais par contre, dans la façon de structurer les morceaux, avec une certaine rigueur oui. Mes parents avaient très peu de disques en dehors de la musique classique, mais ils avaient un disque de Brel et donc ça fait partie de ce que j’ai écouté étant enfant. Je pense que ça a structuré ma façon de penser les morceaux. Assez tôt, j’ai commencé à écouter les chansons et dans ma tête, les découper dans leur structure.
ATD. Quand tu composes, tu réfléchis comme ça ?
Judah Warsky. Ouais ça m’arrive assez souvent. Je pars de la structure sans avoir aucune idée de notes ou de sons et je la remplis.
ATD. La scène française aujourd’hui, tu en penses quoi ?
Judah Warsky. Je pense que c‘est chanmé. Il y a plein de trucs géniaux. C’est un super moment, d’être Français aujourd’hui et de pouvoir faire de la musique. En ce moment et depuis longtemps à vrai dire. Depuis une dizaine d’années je me rends compte que les disques que je préfère c’est les français qui les ont sorti. Bon, aux Etats-Unis il y a toujours des trucs chanmé parce que vu la taille du pays… Mais en Angleterre ça tourne en rond je trouve. Les Anglais ont leurs émissions de téléréalité qui squattent les charts. La spécificité de l’Angleterre c’est que les trucs bien pouvaient facilement devenir numéro 1, contrairement à la France. Mais c’est en train de changer parce que les premières places sont squattées par des mecs qui ont gagné The Voice. Et du coup, je sais pas, en Angleterre, si tu fais de la musique et que t’as pas de succès, tu t’arrêtes, ça veut dire que t’as raté ton coup. Alors qu’en France on a cette culture de l’artiste maudit qui fait des trucs chanmé qui marchent pas, mais qui continue quand même et qui devient culte au bout de quinze ans. En Angleterre ça n’existe pas ça. Il n’y a pas de groupe culte, si t’as pas de succès tu ferme ta gueule et puis tu retournes travailler. Entre la crise de disque et le reste, les Anglais réagissent mal, alors que les Français eux réagissent super bien. T’as l’impression qu’en France ça a toujours été la crise du disque et donc on s’adapte beaucoup à ça. Déjà en France, il y a beaucoup de labels qui se créent alors que dans d’autres pays c’est l’inverse, les labels ferment.
Au niveau de la musique électronique, on dirait que les Américains commencent à la découvrir trente ans après l’avoir inventée eux-mêmes, ce qui est bizarre. Mais je peux te dire qu’en France, tu vas dans n’importe quel festival, si un Carl Craig ou un Kevin Saunderson vient jouer, il est accueilli comme un roi. Alors qu’aux États-Unis, ces mecs la c’est des parias, tout le monde s’en branle à part les fans hardcore de la musique électro. Aux Etats-Unis, leurs idoles c’est Deadmau5, c’est pas les parrains. Ça a été gros d’abord en Angleterre, puis en Belgique qui a eu un sérieux train d’avance sur la France. Il y a eu un super documentaire il n’y a pas longtemps qui s’appelle « The Sound of Belgium », hyper intéressant, qui raconte justement comment la musique électro a débarqué en Belgique et comment les Belges l’ont accueilli. Assez vite, ils ont commencé à produire leurs propres sons de house et puis ils ont développé un sous-genre de la house qui s’appelle la New Beat et les DJ Anglais allaient en Belgique pour acheter des maxis et les passer dans les raves en Angleterre. C’est une des raisons pour lesquelles j’étais heureux de rendre hommage à la ville. Bruxelles j’avais le texte avant la musique. Quand j’ai fait la musique j’ai fait un truc un peu New Beat, un peu lent justement. 90 bpm je crois, tu vois c’est vraiment lent, c’est ça, c’est le son belge.
(pour en savoir un peu plus sur le rapport de la Belgique aux musiques électroniques, écoutez cette émission de Track/Narre)
ATD. « God Is A Woman », c’est une déclaration d’amour ou tu as décidé de réordonner la religion ?
Judah Warsky. Ce n’est pas moi qui ait écrit cette chanson, c’est Thos Henley, un chanteur de folk Anglais. C’est un super bon pote qui a vécu un France un certain temps, puis en Grèce et en Allemagne et qui maintenant est revenu en France. C’est un traveleur un peu. Et pendant qu’il était loin, on s’envoyait nos chansons, nos démos. Il m’a envoyé un groupe de trois ou quatre chansons et je lui ai dit « oh putain ma préférée c’est God Is a Woman » et il m’a dit « c’est marrant, moi je ne l’aime pas trop, je l’assume pas. Tu sais quoi, si elle te plait je te la file pour ton album. » J’aimais bien la notion « on est potes, on se file des chansons » et du coup je l’ai enregistrée dans une version très différente parce que lui c’était plutôt guitare-voix. Mais pour les paroles il faudra lui demander à lui. Je pense qu’elle trouve sa place dans le thème du disque sur l’identité, la rédemption, la culpabilité, la foi. Et c’était parfait pour clôturer le disque par un morceau un peu moins dark, un peu plus ouvert. Ça fait une belle fin, ça se termine en fade out, tu peux imaginer ce que tu veux après.
ATD. Comment tu as abordé ce nouvel album ? Est ce que tu t’es plongé dans un univers particulier ?
Judah Warsky. J’ai cette tendance, quand j’écris des morceaux et que je sais qu’ils vont faire partie d’un même album, à, sans vraiment le rechercher ou le vouloir, faire en sorte qu’ils rentrent tous dans les mêmes thèmes. Je ne me suis pas plongé dans un univers, je me suis plongé en moi pour en sortir des chansons. Parfois, j’ai fait une instru qui m’invoquait des textes, ou d’abord des textes puis la musique après. Mais je pense, enfin j’en sais rien d’ailleurs, mais j’imagine que pour beaucoup de gens ce serait pareil. Quand t’écris tout un groupe de morceaux pour un album, il y a des thèmes qui vont revenir, des obsessions du moment. C’est pour ca que c’est important d’écrire assez vite. Si tu commences à t’étaler dans le temps, t’aura trop changé de perception. J’aime bien aller vite.
ATD. Tu es resté aussi solitaire que pour « Painkillers & Alcohol » ?
Judah Warsky. J’ai pris goût à la solitude et comme je disais, j’aime bien aller vite parce que quand tu es tout seul, tu vas plus vite. T’arrives, tu commences, t’arrêtes quand t’en as marre.
ATD. Quelles ont été tes influences pour cet album ?
Judah Warsky. Quand j’ai fait le premier disque, je me suis rendu compte qu’il y avait quasiment aucune des influences que j’avais à ce moment là, et j’en étais très content. Je m’étais dit « c’est cool c’est ça que je veux faire » : une musique un peu affranchie. Après je ne sais pas si j’y arrive…
Dans le deuxième, Brigitte Fontaine et Areski. En fait, j’étais pas si solitaire que ça parce que ce disque, je l’ai enregistré à Montreuil, et mon studio était dans la maison d’un mec qui me louait une pièce comme studio. Du coup j’arrivais, je lui disais bonjour et quand je faisais une pause j’allais fumer une clope avec lui. Et il y a eu un jour où j’y suis allé, on a commencé à boire un coup, mais en fait j’ai rien enregistré ce jour la. Je suis juste resté à boire des coups avec lui pendant des heures en écoutant de la musique. Et en écoutant de la musique, en écoutant des trucs français, on se demandait qui était le meilleur auteur français. On a écouté un morceau de Brel, de Brassens, d’Aznavour … et au bout d’un moment on a mis un morceau de Brigitte Fontaine et on s’est dit « voilà c’est elle ». C’était le morceau Patriarcat. Elle envoie tellement de trucs que t’es bombardé d’idées, d’images, c’est complètement ouf, c’est du niveau Rimbaud presque. Et du coup, je me suis dit « ouais putain c’est comme ça qu’il faut écrire, c’est comme Brigitte, elle c’est la meilleure ».
Judah Warsky. C’était pas vraiment voulu mais en fin de compte, ça fait comme la pochette, un mélange de couleurs pour former une ville : Bruxelles. En fait il y a vraiment un point commun dans presque tous les morceaux même si ça ne se ressent pas vraiment. Il y a un rythme et une structure qui revient presque un morceau sur deux.
ATD. Est-ce que ce deuxième album s’est imposé à toi ? Tu t’es dit « là, c’est le moment » ?
Judah Warsky. Je devais faire un deuxième album ! C’était clair qu’il y aura une suite au premier disque, comme il y en aura une au deuxième.
ATD. Un truc à nous dire que personne ne sait ?
Judah Warsky. J’ai vu toutes les scènes coupées de Twin Peaks le film, qui vont sortir en avril, donc je sais des trucs que personne ne sait.Tout ce que je peux dire c’est qu’il y a 90 min de scènes coupées… (silence) Bon je vais dire un truc : il y aura des scènes avec David Bowie qui ne sont pas dans le film original. Ça c’est un truc que personne ne sait !