Inside no.9 est une nouvelle série britannique de six épisodes diffusée sur les ondes de BBC Two depuis le début février. Il s’agit d’historiettes, complètement différentes les unes des autres (incluant un nouveau casting à chaque fois) qui ont en commun de mélanger habilement humour noir et suspens. Toutes se déroulent dans une demeure, qu’il s’agisse d’une maison, d’un appartement, etc. ayant pour adresse le numéro 9. Ses créateurs, Steve Pemberton et Reece Shearsmith, sont aussi à l’origine de Psychoville (2009) où le quatrième épisode consistait en un plan-séquence inspiré du film Rope (1948) d’Hitchcock. C’est cette expérience qui leur a donné l’idée de pousser le concept un peu plus loin pour cette nouvelle série. Chaque épisode explore un aspect différent du langage cinématographique et la qualité des scénarios nous fait passer par toute la gamme des émotions, incluant à chaque fois une finale aussi imprévisible que choquante. Quoique 2014 soit encore bien jeune, Inside no.9 pourrait bien devenir l’une des séries les plus marquantes de l’année tant l’exercice fait à la fois preuve de créativité et d’ingéniosité. À voir absolument.
Épisode #1 Sardines
Le pilote de la série prend le mot « huis clos » au pied de la lettre puisque toute l’action se déroule… dans un garde-robe! En effet, les membres d’une famille, collègues et amis jouent au jeu nommé « sardines » dans lequel une première personne se cache à un endroit et tous les autres qui la trouvent doivent partager cet espace jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un à les chercher. Comme au théâtre, il n’y a qu’au langage auquel le téléspectateur peut s’accrocher. Bien que les protagonistes ne s’insultent pas ouvertement, on peut déceler quelques médisances à travers les banalités qui y sont échangées. Ce n’est pas parce que l’action se déroule dans un seul lieu (à l’occurrence ici, un meuble) que l’épisode est exempt de mise en scène. La caméra reste fixe, mais à mesure que le nombre de personnes qui s’ajoutent dans le plan augmente, le téléspectateur ressent de plus en plus la claustrophobie des lieux. Au départ, voire tous ces adultes s’entasser ainsi a quelque chose d’absurde et on rit à plusieurs moments, mais le suspens de la fin est si imprévisible qu’il efface tout ce qu’on a pu ressentir auparavant.
Épisode #2 : A quiet night in
C’est complètement l’opposé qui se produit ici puisque durant tout l’épisode, pas une ligne n’est prononcée. On se retrouve dans une grande maison alors que deux voleurs veulent s’emparer d’une toile au prix exorbitant. Le problème est qu’à chaque fois qu’ils veulent passer à l’action, une nouvelle personne fait son entrée dans le décor. Parmi ceux-ci, notons le propriétaire qui est un homme âgé, sa copine, une jeune blonde pulpeuse et… un chien. Hommage au cinéma muet, le jeu des acteurs rappelle les meilleures comédies slapstick caractéristiques des années 10-30 où les rebondissements pleuvent et l’expression faciale des acteurs y est exagérée. Le divertissement est à son comble puisque d’une part, les sons d’ambiance, le concert no.2 de Rachmaninov et la chanson Without You de Harry Nilsson viennent aisément combler le manque de dialogues. D’autre part, on retrouve dans la quasi-totalité des plans des actions simultanées qui n’ont rien à voir ensemble; à savoir, celles des voleurs et celles des propriétaires. Cette méticulosité caractéristique de la mise en scène force le respect, rien de moins.
Épisode #3 : Tom & Gerri
Celui-ci est probablement le plus touchant des trois. Tom est un enseignant menant une vie rangée qui bascule du tout au tout lorsqu’un itinérant sonne à sa porte pour lui rendre son portefeuille qu’il a perdu. Tom l’invite à boire un verre et au fil des semaines, cette amitié se transforme en cauchemar. Chaque fois qu’il y a un fondu au noir annonçant la fin d’une scène, on est effrayé de ce qu’on va découvrir dans la suivante. Au fil de l’épisode, on ne sait si on assiste à la réalité ou à la perception de celle-ci, pas plus que le personnage principal d’ailleurs. L’appartement au départ très chaleureux se transforme en véritable prison témoin de la déchéance d’un homme. Cette constance que l’on retrouve dans tous les épisodes jusqu’ici est la signature de la série qui était l’objectif premier des créateurs Pemberton et Shearsmith :« We wanted to explore the sense of claustrophobia and intensity that is brought about by limiting the action to one location in each story.»
La BBC
Quand on compare ce qui se crée en termes de fiction sur les télévisions généralistes aux États-Unis (Fox, CBS, NBC, ABC) et la BBC, une télévision publique généraliste, il y a un monde. Les premières sont soumises aux lois du marché et les cotes d’écoute sont le nerf de la guerre. Au pays de l’oncle Sam, l’immense popularité des NCIS sur CBS semble être le point de repère ultime des grands réseaux et chaque saison, ces chaînes entretiennent l’illusion de briser cette hégémonie en proposant un nouveau policier aux téléspectateurs. Dans un article fort intéressant du audiencesusa.com détaillant les 37 pilotes dramatiques en production ou déjà commandés pour la saison 2014-15, 17 d’entre eux (46 %) toucheront en totalité ou en partie au genre policier, mettant en vedette détectives, policiers ou membres du FBI. On comprend mal cet acharnement alors que la plupart de ces séries se sont cassé la gueule depuis l’automne 2013 (Ironside (NBC), Killer Women (ABC), The Assets (ABC); pour ne nommer que les pires). En somme, il en résulte une homogénéité aussi fade que prévisible, ce qui est d’autant plus navrant connaissant les sommes astronomiques dont disposent ces studios.
La BBC est aussi soumise aux lois du marché, sauf que son financement du gouvernement lui donne plus de latitude, notamment du point de vue créativité. Inside no.9 n’est qu’une série de la chaîne parmi tant d’autres qui pousse l’audace et qui arrive avec des concepts complètement déjantés. Celle-ci n’a pas peur d’oser et ces dernières années, elle a produit quelques merveilles, peu importe le genre : politique (The politician’s husband), science-fiction (In the flesh), l’action/aventures (The Musketeers, Atlantis), le thriller (The escape artist, The fall, la coproduction Top of the lake), les séries d’époque (Paradise, The white queen, Spies of Warsaw, Call the midwife) et même le policier, mais parodié (The wrong mans). Non seulement BBC ose et rassemble un large auditoire, mais en plus, elle engrange des profits; de quoi s’inspirer.
Inside no. 9 a attiré 1.1 million de téléspectateurs lors de sa première et les chiffres ont à peine diminué par la suite, ce qui est très bon étant donné la diffusion des olympiques à pareilles dates. Il faut ajouter que la série joue les bonnes cartes quant à son autopromotion. En plus de compter sur la présence d’acteurs anglais de renommée qui viennent effectuer un passage dans la série le temps d’un épisode, la production a aussi créé un septième épisode interactif disponible sur le second écran, question d’attirer un auditoire plus jeune. Enfin, bonne nouvelle : une deuxième saison a été commandée.