La porte s’était ouverte sur la cour arrière. Je restais là, figée par le temps qui ankylosait mon squelette,
Ma sœur s’était noyée. Noyée dans sa peur de vivre dans son trop-plein de fuir l’ici pour n’aller nulle part et courir ailleurs pour voir si elle y était. C’est papa qui l’avait sortie de la piscine, de ce rond bleu chaleureux. Elle ne faisait plus un rond dans l’eau. Corps immobile, cœur trop fragile.
Papa me criait d’aller chercher de l’aide, mais c’était trop tard. L’aide, il aurait fallu la demander bien avant son anorexie, sa toxicomanie et son refus catégorique de goûter le bonheur parce que c’était trop calorique et pas assez dopant pour elle.
Ma sœur avait le cœur qui ne battait plus et papa l’avait sortie de là comme on sort un petit animal sans vie dans un sceau rempli d’eau de pluie. Petite chose fragile, poupée cassée aux longues jambes noueuses, aux côtes accordéon qui plus jamais ne s’étireront. Visage calme à jamais gravé dans ma tête.
Maman pleurait et s’effondrait dans mes bras. Je n’ai même pas osé recoller les petits morceaux de son âme de mère brisée. Papa me hurlait dessus, un cri d’alarme, angoisse pleine de regrets. L’appel déchirant d’une montagne qui s’effondrait. Un père qui pleure et qui crie, ça m’a fait comme un coup de masse et plus aucun son ne sortit de ma bouche.
Le matin même, trop de mots étaient sortis et avaient dépassé ma pensée ou l’avait trop bien exprimée. Je lui avais hurlé, avant qu’elle rejoigne ses amies, qu’elle était une paumée et qu’elle faisait vivre un cauchemar à toute la famille… un cauchemar dont on aurait pu se passer.
Mais le cauchemar n’était pas ce qu’elle nous avait fait vivre, maintenant je le sais plus que tout. Le réel cauchemar commençait aujourd’hui, parce qu’elle avait arrêté de vivre. L’eau avait éteint pour de bon les feux ardents qui la grugeaient de l’intérieur. Ma sœur s’était tuée parce que je n’avais pas su l’aider. Comment aurais-je pu y arriver ? Comment, alors que c’était elle la grande sœur et pas moi ?
Comme elle était fougueuse et rebelle. Comme elle était belle. Moi ? Beaucoup trop raisonnable à ses yeux. Elle me répétait que j’étais morte en dedans et je lui criais que c’était faux ! Aujourd’hui, c’était elle la plus morte de nous deux et pourtant, je me sentais atrocement vide. Vide comme une immense coquille qui écrouait le silence d’une mort latente.
Ma sœur était morte ce matin. Le soleil se couchait maintenant sur sa mort et j’étais encore là, debout dans la cour arrière, à attendre qu’elle revienne.
Il sera tard quand elle rentrera, mais j’attendrai.
Je serai là pour lui caresser les cheveux et la rassurer.
Pour lui dire combien elle est belle.
Pour lui dire combien je l’aime.
Cette fois, j’attendrai parce qu’elle n’est plus là.
Francesca Tremblay
NOTICE BIOGRAPHIQUE
En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création
Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté. Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre. Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.