A propos de The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson
Tony Revolori, Saoirse Ronan
Bah alors, qu’est-ce qu’il avait, le borokoff ? Il boudait ? Il était en vacances ? Ou en dépression ? Il avait un coup de cafard ou le bourdon (légitim(us) après être allé voir Les trois frères, le retour, n’est-ce pas) ? C’est vrai, on ne l’entendait plus depuis une semaine, pire on ne le lisait plus !…
Et bien oui, le borokoff était déprimé ! Un blogueur démotivé qui errait, l’œil vide, dans les salles obscures, le regard désappointé après une série de revers cinématographiques, une succession de films décevants qui ne me donnaient plus envie d’écrire (quelle idée aussi d’être allé voir Le crocodile du Botswanga ! en pensant que j’allais rire) sur rien, surtout pas après une pépite comme Ida.
Tilda Swinton (si, si)
Même Gloria, film chilien superbement interprété mais souffrant de sa lenteur et de ses redites, de ses longueurs et de son manque de rythme, en un mot de sa mise en scène (malgré de bonnes idées dans son scénario) tout court, n’était pas parvenu à redonner (malgré tout l’espoir placé en lui) le sourire au blogueur dépité que j’étais devenu mais qui ni demandait au fond qu’une étincelle, un espoir pour retrouver sa flamme de cinéphile et redorer le blason d’un blog lâchement délaissé.
Mais finis les états d’âme, fini de parler de soi aussi. « Le Moi est haïssable » comme disait Pascal, même si un blog est souvent prétexte à parler de soi. La reprise en mains (les bonnes résolutions) commencèrent avec l’interdiction formelle (c’était plutôt un pacte avec moi-même) d’aller voir Supercondriaque et Fiston. Parce que le laisser-aller a des limites et qui si j’avais envie de rire, il fallait plutôt que je reste sur le bon souvenir de Jacky au royaume des filles…
Bill Murray (Ah !)
L’annonce de la sortie de The Grand Budapest Hotel était donc synonyme d’un regain d’énergie, de tension comme d’intérêt pour un réalisateur dont le talent et l’élégance de style, dont l’humour surréaliste et l’imaginaire fécond n’étaient plus à prouver. Assister à un nouvel opus du Pape de la roue libre au cinéma, c’était le gage d’un plaisir assuré, une joie sereine, un bonheur souverain qu’on pensait naïvement retrouver. Et bien, c’est à moitié raté. Capables de prendre des formes aussi variées que La Vie aquatique, Fantastic Mr Fox ou Moonrise Kingdom, les œuvres du réalisateur américain brillent souvent par leurs histoires loufoques et leur narration décalée. En ce sens, The Grand Budapest Hotel n’échappe pas à la règle. L’histoire se déroule dans un pays imaginaire du nom de Zubrowka. Elle consiste en un gigantesque flash-back au cours duquel Zero Mustafa (F. Murray Abraham), un vieillard millionnaire, raconte en voix-off à un écrivain (Jude Law) venu séjourner dans son hôtel, la formidable épopée de sa jeunesse dans les années 1930. A l’époque, Zéro n’était qu’un garçon d’étage venu travailler dans un hôtel européen de l’entre deux-guerres. C’était un (très) jeune réfugié politique dont la famille avait été décimée au Moyen-Orient mais qui s’attendait à tout sauf à vivre des aventures déjantées aux côtés de son patron (Ralph Fiennes), le charismatique Monsieur Gustave, héritier d’un tableau de la Renaissance dont le coût et la valeur inestimables attireront presque instantanément sur lui les foudres et la rancœur familiale (Adrien Brody). Une colère et un conflit sans fin, prétextes à une roue libre épique et farfelue et des aventures aussi extravagantes que rocambolesques.
Adrien Brody
Mais The Grand Budapest Hotel est une petite déception, comme on l’a dit. Si l’univers visuel d’Anderson est toujours aussi foisonnant et riche en références cinématographiques (la fuite des bagnards évoque celle de Clooney et sa bande dans O’Brother des frères Coen), truffé aussi de citations littéraires et de trouvailles visuelles (auxquelles le recours à l’animation et à la technique du Stop Motion, déjà à l’oeuvre dans Fantastic Mr Fox, n’est pas étranger) réjouissantes en tout genre, l’histoire, qui s’inspire ici des œuvres de Stefan Zweig (1881-1942), est étrangement moins prenante, moins passionnante et délirante que d’habitude.
Tony Revolori
Plusieurs raisons expliquent ce relatif échec de The Grand Budapest Hotel et que le film ne remporte pas tout à fait l’adhésion du spectateur, cet élan du cœur si unanime et si chargé d’enthousiasme. Car malgré un casting pléthorique (d’Edward Norton à Mathieu Amalric en passant par Willem Dafoe, Léa Seydoux, Jeff Goldblum, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Bill Murray et Owen Wilson sans parler des autres déjà cités !), l’histoire de The Grand Budapest Hotel comporte de trop nombreuses péripéties, des soubresauts qui, à l’image d’une narration trop étirée elle aussi, finissent par lasser un peu le spectateur, d’autant qu’elles ont un côté déjà-vu (on pense à Les Aventures du baron de Münchhausen de Terry Gilliam, 1989, dans leur côté fantastique). Cette lassitude du spectateur est renforcée par l’omniprésence des compositions d’Alexandre Desplats, qui impriment certes leur rythme au film, mais paraissent un peu trop significatives et trop explicites pour susciter vraime,nt l’imaginaire du spectateur. Un peu trop omniprésentes et étouffantes aussi. C’est un peu comme si, dans l’ensemble, Anderson avait voulu faire du Anderson et en aurait fait trop du coup. Comme si le cinéaste américain s’était un peu caricaturé, surfaisant son style, sur-filmant, sur-écrivant son histoire et ses dialogues, surlignant inutilement aussi les traits de ses personnages….
Le film est loin d’être raté pourtant. Mais Anderson avait-il besoin de (se ?) prouver des choses pourtant déjà acquises chez lui, comme le raffinement de sa mise en scène, sa grande connaissance de la culture européenne et sa grande culture tout court (Monsieur Gustave ne cesse de citer les vers de grands poètes mais cela finit par créer un effet redondant). Les acteurs s’en sortent bien, qui eux, ne surjouent pas la comédie. Bien au contraire, tous s’en sortent merveilleusement, à commencer par notre duo d’aventuriers et de pieds-nickelés du dimanche, interprétés par des Fiennes et un novice, Tony Revolori, inspirés. Mais on en revient à nos moutons. Il manque quelque chose dans ce film. Comme si un grain de sable était venu perturber une mécanique d’ordinaire si bien huilée chez Anderson mais qui grince ici, qui coince. En un mot, qui ne fonctionne pas…
Ralph Fiennes, Tony Revolori
Le film se passe entre les deux guerres, dans une Europe en pleine mutation et qui connait une montée du fascisme et de l’antisémitisme pour le moins inquiétante. Ce n’est pas un hasard si Anderson a choisi de situer son histoire dans un tel contexte historique. Pourtant, les enjeux du film nous échappent un peu, nous dépassent au-delà des prouesses techniques et d’une certaine virtuosité de la mise en scène, qui oscille entre plans fixes sur des acteurs face à la caméra et séquences en animation autour d’ »éléments filmés sur un lieu principal mélangés à des plans en animation image par image, à d’autres sur transparences, à certaines prises tournées sur maquette, avec en plus quelques autres lieux de tournage pour faire bonne mesure » dixit Adam Stockhausen, le chef décorateur du film, dans une interview.
La magie, l’enchantement visuel que procure The Grand Budapest Hotel ne parviennent pas à faire oublier certaines questions quant à la réelle profondeur du film. A la fois perplexes et séduits, on se demande ce que veut le film veut vraiment dire dans le fond, là où il veut aller. Car au-delà de la forme et comme chez les frères Coen, le mystère quant aux enjeux du film (et à son véritable intérêt du coup) demeure…
http://www.youtube.com/watch?v=1Fg5iWmQjwk
Film américain de Wes Anderson avec Ralph Fiennes, F. Murray Abraham, Edward Norton, Mathieu Amalric, Adrien Brody, Willem Dafoe, Léa Seydoux, Jeff Goldblum, Jude Law, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Tom Wilkinson, Bill Murray, Owen Wilson, Tony Revolori… (01 h 40)
Scénario de Wes Anderson et Hugo Guinness d’après les œuvres de Stefan Zweig :
Mise en scène :
Acteurs :
Compositions d’Alexandre Desplats :