On ne peut pas écrire tous les jours, à heures régulières, comme le paysan laboure un champ ou comme le clerc feuillette et annote ses minutes. On est plutôt pris entre deux dégoûts, celui d’écrire ce que l’on écrit (de ne pas le faire mieux, autrement) et celui de ne plus rien faire du tout, qui est pire. À moins de changer de métier, ce qui est vraisemblablement utopique. Les paroles devraient donc se frayer un chemin entre ces deux insatisfactions, dans un étroit espace où elles trouvent peu d’aliment, peu de feu. Alors que l’air et l’espace autour de nous séparent si largement les choses les unes des autres, et peuvent si aisément être franchis.
Philippe Jaccottet, Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 20 février 2014, p. 634 (La Semaison)
[Choix de Matthieu Gosztola]