Apprendre à désapprendre, la clé de l’adaptabilité

Publié le 27 février 2014 par Marianne Dekeyser @IDKIPARL
Source image : fotolia.com En raison de l’accélération et des changements des paradigmes dans tous les domaines, l’adaptabilité, la vitesse maîtrisée et l’agilité sont devenues les trois piliers déterminants de la compétitivité d’une entreprise. Dans son livre « The end of competitive advantage » paru en avril 2013, Rita Gunther McGrath, professeur à la Columbia Business School, nous démontre la fin de l’avantage compétitif durable ou ce qui permet à une entreprise de maintenir sa différenciation et son leadership de marché(s). Pour mieux appréhender la rupture dans la réflexion menée par Rita Mc Grath, il est essentiel de rappeler deux points : - La pertinence et la « robustesse » de l’avantage concurrentiel d’une organisation se jaugeaient jusqu’à présent à l’aune de trois questions essentielles : est-il décisif ? est-il défendable ? est-il durable ? - Enfin, cet avantage concurrentiel était en général établi au moins pour 5 ans, voire plus. Rita McGrath avance en parallèle la notion d’ « avantage concurrentiel transitoire » ou comment passer d’un avantage concurrentiel à un autre, dans les activités d’une entreprise et/ou en anticipation de bouleversements de marchés. Cette nouvelle posture stratégique revient pour une entreprise à exploiter, en simultané, son modèle économique actuel tout en explorant de nouvelles opportunités de modèles économiques. Cela conduit une organisation à développer un portefeuille de business modèles prêts à être exploités, ce que prônait déjà Saul Kaplan, le fondateur de la Business Model Innovation factory en avril 2012 dans son livre du même nom. Qui se souvient que Nokia a été le leader des téléphones portables il n’y a encore pas si longtemps, qu’AOL était le leader incontesté de l’internet, comment Blackberry est passé en quelques mois du sommet…à la case départ ? Même pour la création de nouveaux marchés, basés sur des innovations de business modèles innovants comme Zipcar en 2000 (les « débuts » de la consommation collaborative avec le principe de la voiture en autopartage et économie de la fonctionnalité), ces nouveaux marchés deviennent les offres de référence, rapidement copiées. Pour preuve, la carte mondiale réalisée par le site « Future of Car sharing » des adaptations du modèle Zipcar (positionnement prix différent, cible différente…) dix ans après. Source www.futureofcarsharing.com Rita McGrath fait ainsi écho à la théorie de Darwin : « Ce n’est pas l’espèce la plus forte qui survit, ni la plus intelligente, mais celle qui s’ajuste le plus vite aux changements extérieurs ». La notion d’ajustement peut néanmoins prêter à confusion et a souvent été mal interprété : l’ajustement ne correspond pas uniquement à un mouvement de « mise à niveau » ou de « mise en cohérence » avec l’environnement. Il y a un mouvement bien plus complexe… dans le mouvement d’ajustement et ce que nous rappelle Joël de Rosnay dans son livre « Surfer la vie : vers une société fluide » : Le surfeur tire avantage et plaisir d’un équilibre dynamique entre des flux, dans une fluidité continue du parcours et des mouvements. La vague représente un premier flux, qui roule et se déplace vers la plage. Le surf est en effet l’un des seuls sports qui se pratique sur un terrain mouvant. L’eau sur laquelle se tient le surfeur se tient debout se déforme, se brise, roule, se reforme…Le parapente, avec la montée et le maintien dans des courants ascendants, est peut-être le meilleur autre exemple d’un sport en mouvement dans le mouvement. Sur la vague, la trajectoire presque parallèle, que maintient le surfeur pour accroître sa vitesse, représente un deuxième flux. Le troisième, c’est la dynamique de la position du surfeur sur sa planche : trop en avant, la planche pique, trop en arrière, il perd la vague. Son adaptation à la glisse de sa planche crée donc une série de mouvements de positionnements continus qui se matérialisent comme un flux contrôlé dans le temps et dans l’espace. Triple flux, triple glisse. Si l’on manque un mouvement, si le flux se ralentit, on s’arrête, on perd la vague [...]. Pour s’adapter à ce triple flux, le surfeur a besoin en temps réel d’informations multiples, ainsi que d’une appréciation du temps, de la durée et des modifications de son environnement. C’est là que la contextualisation dans des rapports de flux en temps réel se révèle importante. Comment vont réagir les autres ? Comment l’environnement a-t-il se modifier ? Quels effets pervers peuvent en résulter ? Comment les anticiper ou les utiliser à bon escient ? De telles informations permettent d’exploiter des forces existantes pour s’en servir intelligemment avec elles ou contre elles. Alors, au cœur de l’organisation, qui est en charge de cette « adaptabilité » ? Ce sont les managers, qui ont pour rôle d’aider à penser autrement un monde qui ne peut plus être abordé avec les référentiels d’hier (il y a cinq ans !). En effet, deux études internationales-clés (déjà largement citées sur ce blog !) démontrent de façon complémentaire le rôle majeur joué par les managers au quotidien pour soutenir la capacité d’innovation et donc d’adaptabilité d’une organisation : L’Etude « Global Innovation 1000 » menée par le cabinet Booz et Company qui, depuis 10 ans analyse les dépenses de R&D des plus 1000 plus grandes entreprises internationales. Pour résumer les résultats partagés par le cabinet : depuis 4 ans, cette étude révèle que la performance économique d’une entreprise et sa capacité à innover n’est plus directement liée aux investissements en Recherche & Développement mais à la stratégie d’innovation, à la culture innovation et aux pratiques managériales. C’est le levier humain de l’innovation qui est mis en exergue. D’autre part, la deuxième étude réalisée par IBM, la « Global CEO Study« ,  qui depuis 2004 interroge 1 500 dirigeants dans le monde sur leurs défis clés et leurs attentes soulignent depuis les deux dernières vagues le rôle du manager pour soutenir l’innovation au quotidien. Apprendre à désapprendre s’inscrit alors comme L’enjeu managérial associé à l’adaptabilité pour (re)penser un environnement aux enjeux souvent émergents pour lesquels aucun manuel ne peut donner la solution : elle doit être imaginée…non plus à partir du connu et du passé. Aujourd’hui, l’enjeu consiste à Apprendre à désapprendre en permanence, accélération et adaptabilité obligent. Pourquoi apprendre (tout court) ne suffit-il pas ? Tout d’abord, revenons sur deux dimensions de la capacité à apprendre :  Apprendre quand on n’a aucun référentiel consiste à se créer son référentiel (apprendre à marcher, apprendre à parler, apprendre à conduire). Ce référentiel devient notre cadre de référence, un « acquis ». Apprendre quand on a déjà un référentiel correspond à la configuration dans laquelle il est très souvent nécessaire de « désapprendre pour apprendre ». Je pourrais citer bon nombre d’exemples, mais compte tenu de la saison, je prendrai celui du ski ! Imaginons que vous sachiez skier et que vous souhaitiez vous mettre au surf des neiges. Quels seront vos premiers réflexes ? Dans la majorité des cas, vous vous reporterez plus ou moins consciemment à votre référentiel « ski », ce qui ne vous permettra pas d’apprendre plus vite le surf, bien au contraire ! Pourquoi c’est difficile de désapprendre ? La première raison tient à l’ancrage de notre référentiel(cf. exemple du ski cité ci-dessus mais vous pouvez aussi essayez d’expliquer comment conduire à quelqu’un qui ne le sait pas, l’exercice n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît de décomposer des étapes « acquises » et devenues « innées ». La deuxième raison relève de ce que les Anglo-saxons appelle le « Busyness » : l’hyperactivité, la course contre le temps qui nous poussent à l’extrême productivité et à l’impression de manque de temps alors que cette productivité-même n’est qu’un empilement de tâches toutes urgentes. Dans cette fuite en avant, où trouver le temps pour désapprendre ? La troisième raison s’inscrit dans la problématique de surcharge informationnelle : Où et Quoi apprendre après avoir désappris. Ce concept de « surcharge informationnelle (aussi appelé infobésité) est tri-dimensionnel (brève synthèse de l’article « Surcharge informationnelle, urgence et TIC » de Henri Isaac et Eric Campoy paru dans la revue « Management & Avenir » 2007. Selon les deux chercheurs cette surcharge provient à la fois de : 1- la volumétrie d’information avec un accroissement constant du volume d’informations à traiter ET la qualité perçue de l’information (ou comment dissocier le signal du bruit). 2 – la surcharge cognitive : pour faire face au volume d’infos MAIS AUSSI à la complexité croissante des sources, les organisations s’appuient sur leurs capacités cognitives qui sont forcément limitées. 3 – la surcharge communicationnelle : le système d’informations génère donc davantage d’informations, amplifiées par les nouveaux moyens de communication. Seul un détour par l’expérientiel permet d’appréhender la difficulté du processus de désapprenance/désapprentissage. L’expérientiel offre l’opportunité d’expérimenter la perte de ses repères en un laps de temps très court. Se retrouver dans le noir est une voie possible. Pour celles et ceux qui résident à Paris, testez l’ascenseur obscur d’Olafur Eliasson, installé à l’espace culturel Louis Vuitton : vous êtes plongés dans le noir durant la montée des cinq étages et ce, pour vous faire perdre vos repères, vos sens, vous recentrer sur vous-mêmes et abordez les collections d’art proposées par Louis Vuitton avec un regard neuf. Ou faites tout simplement  l’expérience avec un objet familier que vous prenez le temps de toucher, de redécouvrir dans le noir, puis cherchez-le ensuite toujours dans le noir (une de vos chaussures parmi vos autres chaussures par exemple etc…). Ce qui ressort principalement de l’expérience   »dans le noir » : C’est déstabilisant de ne « pas voir » (pour faire une analogie avec le rôle du manager, c’est déstabilisant de ne pas tout connaître mais est-ce bien le rôle du manager ? Non !). L’exercice oblige à développer une forme d’humilité (tâtonner, chercher, hésiter, avancer…). Sans la vue, notre ouverture devient totale et neutre pour mieux appréhender ce que l’on ne voit pas. Chacun(e), au final, puise dans ses ressources en se faisant confiance pour trouver l’objet dans le noir. La 1ère étape pour APPRENDRE À DÉSAPPRENDRE : UNE QUESTION DE POSTURE ou « Fais-toi confiance » et « Fais confiance aux autres dans leur capacité à trouver » Pour faire le lien avec le rôle du manager, vous connaissiez l’objectif (un objet familier à retrouver dans le noir) tout comme, en tant que manager vous connaissez  la vision à atteindre (la stratégie d’entreprise, les projets-clés, les valeurs à déployer au quotidien). Où chercher ? Il s’agit d’abord de chercher où l’on sait chercher PUIS de regarder l’information avec un regard neuf pour arrêter de télécharger l’information et prendre du recul. C’est la seule façon pour un manager de renforcer la confiance de ses collaborateurs à comprendre et à créer/donner du sens. Or la capacité à faire sens est l’une des trois dimensions qui nourrit la motivation intrinsèque. La 2ème étape pour APPRENDRE À DÉSAPPRENDRE : UNE QUESTION DE REGARD NEUF SUR LE CONNU  Il vous suffit d’utiliser la ficher réfléxive ci-dessous pour se (re) questionner sur un projet, une information…pour prise de recul et mise en action. Fiche réflexive à remplir seul ou en équipes pour développer la capacité à faire sens Et la curiosité alors comment la développer si, en tant que manager, je me contente d’analyser ce qui est déjà connu ? Il faut bien la développer pour que chacun ait envie d’aller chercher de nouvelles informations, d’aller regarder ce qui se fait dans d’autres univers (environ 80% des innovations tous secteurs confondus sont de recombinaisons d’innovations existantes). 3ème étape pour APPRENDRE À DÉSAPPRENDRE : paradoxalement, LE NOUVEAU REGARD PRÉPARE À LA CURIOSITÉ C’est le rôle du manager de développer la curiosité de façon toute simple avec deux questions qui permettent respectivement de développer la curiosité, l’autonomie, la capacité à trouver des collaborateurs et l’ouverture aux autres. La question « Où ailleurs ? » (retrouvez le détail du questionnement associé dans l’InnovaCtionnaire 2013, 26 questions pour favoriser l’innovation au quotidien) La question « Merci » (idem pour le détail du questionnement) Vous serez étonnés de la puissance de ces deux « petites » questions et de leur capacité à court-circuiter les raisonnements classiques ! 4ème étape pour APPRENDRE À DÉSAPPRENDRE : UNE QUESTION DE PARTAGE DE L’INFORMATION (MOI ET MON EQUIPE) Pour récapituler les étapes de la démarche, vous savez dans quelle direction chercher (vous avez la vision), vous utilisez les ressources ET vous (re) questionnez ce que vous connaissez. Comment néanmoins partager l’essentiel mais aussi communiquer/partager l’essentiel ? Il suffit alors de prendre un temps de réflexion collectif en équipes pour lister sans jugement les pratiques de communication actuelles (moi en tant que manager avec mon équipe / L’équipe vis-à-vis du manager / L’équipe entre elle). Puis se poser des questions pour se recentrer sur les pratiques à valeur ajoutée pour tous, par exemple : - Et si je (manager)/Nous (équipe) passions de l’hyperactivité à plus d’interactivité ? Que pourrions-nous envisager de différent ? - Et si je (manager)/ Nous (équipe) avions des temps d’inactivité à valeur ajoutée ? Que se passerait-il ? En quoi cela nous permettrait-il de nous concentrer sur l’essentiel ? - Et si je (manager) / Nous (équipe) nous définissions de nouveaux comportements pour de l’information à valeur ajoutée - Et si etc… Identifiez en équipe 3 à 5 solutions à forte valeur ajoutée et simples à mettre en place pour vous concentrer sur des premières actions, à partir desquelles vous pourrez déployer des plans plus ambitieux ! En conclusion, apprendre à désapprendre en image : Apprendre à désapprendre en 4 étapes A vous de jouer !