Connaissons-nous vraiment ceux que nous connaissons?
C'est une question que nous pouvons nous poser. Il y a en effet en chaque être humain une part de mystère. Cette part ne nous est pas seulement celée par les taiseux, mais tout autant par les volubiles.
Notre liberté résiduelle, lorsqu'elle est menacée, se dissimule d'ailleurs dans ce jardin secret que nous cultivons, souvent bien inconsciemment, mais qui nous sert de refuge contre les avanies.
Certes, d'aucuns lisent parfois dans des pensées des autres, mais il est toujours - et c'est heureux - quelque chose qui leur échappe, même si ces autres n'arborent pas devant eux une face de joueur de poker.
Pour cerner la personnalité de Constance Dargaud, l'héroïne de Ne neige-t-il pas aussi blanc chaque hiver, Silvia Ricci Lempen multiplie les approches et son portrait se dessine par petites touches successives, sans pour autant apparaître jamais complètement dans toute sa nudité aux yeux du lecteur, à qui est laissé tout loisir d'imaginer.
Constance écrit un roman dans lequel elle transpose une part de sa vie. Elle écrit aussi des lettres, par courrier électronique, à son ancien amant, Gerhard, dont elle s'est séparée, sans qu'il ne comprenne trop bien pourquoi.
Et c'est Gerhard qui transmet un beau jour ledit roman, inachevé ou pas - nul ne le sait ni ne le saura jamais -, à un éditeur, lui demandant de le publier sous le simple prénom de Constance, assorti d'une postface de son cru.
Comme dans le roman, Constance est une femme aux "yeux si clairs qu'il était difficile d'en soutenir le regard" , aux "cheveux épais, entre le brun, le fauve et le violet". Elle habite une grande maison retirée, dans la campagne, dont elle a hérité et où elle s'est installée, solitaire, pour écrire.
André dans le roman, comme Gerhard dans la vie, a un fils avec qui il a du mal à communiquer, Christophe dans le roman, Thomas dans la vie, l'un comme l'autre malmené par l'existence. Car, André, comme Gerhard, est divorcé et son fils, comme celui de Gerhard, vit tantôt chez son père, tantôt chez sa mère.
André a rencontré Constance par hasard, sur la route isolée menant chez elle. Nous ne saurons si le hasard a joué un même rôle dans la rencontre de Constance et de Gerhard qu'en lisant la post-face de ce dernier.
Une phrase d'un de ses amants a frappé Constance, qui la confie dans une lettre électronique à Gerhard au premier tiers du livre:
"Ne neige-t-il pas aussi blanc chaque hiver?"
Constance l'avait alors interprétée comme "pour dire la candeur de l'amour":
"A présent je l'entends comme la révélation du tout petit peu que nous pouvons comprendre, à notre mesure humaine, de l'éternité."
Dans cette même lettre électronique, elle donne une indication sur la signification qu'elle donne au disque de Phaestos auquel s'intéressent beaucoup André, depuis qu'il l'a vu lors de vacances en Crète au Musée archéologique d'Héraklion, et la Constance du livre comme celle de la vie:
"L'histoire du disque, pour moi, c'est une histoire qui tourne en rond, qui n'a pas de solution, qui ne peut pas en avoir."
Il faut dire que les deux faces de ce disque, reproduit sur la couverture du livre, sont recouvertes de signes en spirale qu'on n'a pas encore réussi à déchiffrer et qui donnent lieu à de multiples interprétations contradictoires, comme pourra le constater Gerhard en allant sur un forum Internet pour tenter d'en percer l'énigme.
Faut-il donc essayer de tout comprendre, de tout élucider? Au fond, le charme de ce roman, comme dans la vraie vie, n'est-il pas de ne pas livrer tous ses secrets et de n'offrir d'autre solution que la disparition?
Une solution de continuité en quelque sorte...
Francis Richard
Ne neige-t-il pas aussi blanc chaque hiver?, Silvia Ricci Lempen, 216 pages, Editions d'En Bas