Le Conseil d’Etat « sauve » un permis comprenant des dérogations aux règles d’accessibilité des personnes à mobilité réduite accordé pour la requalification d'un imposant monument historique.
Une SCI a entrepris la rénovation et le réaménagement de la Chartreuse Notre-Dame-des-Prés à Neuville-sous-Montreuil dans le département du Pas-de-Calais, gigantesque ouvrage gothique du XIVème siècle, doté d’un cloître, d’un verger et des anciennes cellules de l’Ordre des Chartreux, afin de le transformer en un espace de rencontres, creuset de la discussion et de l’innovation censé ouvrir ses porte en avril 2014.
La SCI s’est rapidement heurtée à des contraintes techniques concernant la partie résidence hôtelière du projet destinée notamment à l’hébergement du public lors de séminaires la conduisant à solliciter des dérogations à certaines des règles du Code de la construction et de l’habitation applicables aux établissements recevant du public.
S’agissant d’un monument historique inscrit daté du XIVème siècle, il s’agissait en particulier de certaines règles d’accessibilité des personnes à mobilité réduite rendant obligatoires, entre autres : la présence d’emplacements de stationnement réservés, des portes, des cheminements et des escaliers d’une certaine largeur, voire la présence d’un ascenseur si l’effectif admis aux étages dépasse 50 personnes, des sanitaires aménagés à chaque étage, etc.
Une association opposée au projet a déposé un recours en annulation contre le permis de construire qui a été accueilli par les premiers juges au motif que les dispositions de l’article R. 111-18-3 du Code de la construction, applicable aux bâtiments d’habitation collectifs, et sur lesquelles s’est notamment fondé le Préfet pour accorder les dérogation litigieuses, ont ensuite été annulées par un arrêt du Conseil d’Etat du 21 juillet 2009 (lire l'arrêt) en tant qu’elles permettaient au Préfet d’accorder des dérogations pour des constructions neuves.
L’affaire serait fort simple si l’on en restait là. Sauf que, les dispositions de l’article R. 111-18-3 sur lesquelles s’était en partie fondé le préfet pour accorder les dérogations et qui ont été ultérieurement annulées par le Conseil d’Etat n’étaient en réalité pas celles applicables, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’une construction neuve, mais de travaux sur des bâtiments existants.
Or, les dispositions de l’article R. 111-19-6 du Code de la construction permettant au préfet d’accorder des dérogations aux bâtiments existants recevant du public, notamment pour une activité hôtelière, elles, subsistaient et permettaient donc au préfet de prendre la même décision.
C’est ensuite sur un argument de pure procédure administrative que se dénoue le litige. Tandis que la Cour administrative d’appel de Douai voyait dans l’interversion des textes applicables, une substitution de motifs que seul l’auteur de la décision attaquée pouvait invoquer afin de « sauver » le permis de construire, et ce, avant la clôture de l’instruction, le Conseil d’Etat y voit de son côté une simple substitution de base légale que la Cour aurait même pu soulever d’office.
L’on sait en effet que lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, ce que les premiers juges, puis la Cour administrative d’appel a manqué de faire, commettant ainsi une erreur de droit.
(Conseil d’Etat, 26 février 2014, SCI l’Ermitage, req. n°360066)
Lire l’arrêt