Ce mercredi est sorti dans les salles le tant attendu The Grand Budapest Hotel, nouveau film du célèbre et si particulier Wes Anderson. Deux ans après le génial Moonrise Kingdom, le réalisateur nous conte l’histoire singulière de Mr. Gustave, renommé concierge du très prestigieux Grand Budapest Hotel, et de son jeune lobby-man Mr Mustafa, plongés malgré eux dans une sombre affaire d’héritage familial. A l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, les deux hommes vont faire tout leur possible pour protéger leurs biens du mal qui les guette. Mêlant les époques, entrecroisant les personnages, sublimant l’image, Wes Anderson prouve une fois de plus de son génie.
Dans l’univers d’Anderson.
Certains considèrent qu’il en fait trop, que ses films se ressemblent. Que si le style a fonctionné une fois, ce n’est pas une raison pour le répéter jusqu’à l’écœurement. Certains encore parleront d’un manque de naturel, d’un sur-jeu constant. J’aimerais qu’ils voient ce que je vois. Wes Anderson et son cinéma de la finesse, de la justesse, du précieux. Ce cinéma qui ne lasse jamais, comme s’il faisait renaître en nous des jeunes enfants à l’imagination débordante et dont le réalisme ne suffit pas, désireux d’aventures et de couleurs, de méchants et de gentils, de s’abandonner dans des contrées lointaines. En repensant à Moonrise Kingdom, je me souviens m’être surprise à m’imaginer non plus marchant dans la rue mais courant dans un champ. Remplaçant mon casque par mes vieux baladeurs CD et respirant ce sentiment de liberté si cher à ces enfants qui, pour se prouver leur amour, ont décidé sans peur ni fragilité d’affronter l’autorité menaçante de la vie d’adulte. Plus sombre, The Grand Budapest Hotel place son histoire dans la noirceur de la transition vers le nazisme, au sein d’un palace qui deviendra chef lieu militaire avant de tomber dans l’oubli. Si Mr Gustave n’est pas un enfant apeuré par la hiérarchie, il jouit cependant d’un sentiment de liberté rare, autant psychologique que sexuel, d’une classe à l’anglaise sans pareil, mais aussi d’une solitude que seul le jeune Mr Mustafa lui enlèvera. Lors de leur quête vers la justice et la liberté, ils deviendront tout deux hors la loi, d’un voleur de tableau à un amour impossible, à la fuite et la recherche de vérité. Une véritable enquête dans laquelle Wes Anderson invite ses acteurs fétiches : Edward Norton, ce policier pour qui seul la justice compte, Adrien Brody, en fils cupide, ou encore Bill Murray, alias Mr Ivan. Et la liste est longue. Un casting en or donc qui se laisse sublimer par le réalisateur et son style, si particulier, dans ce que certains considèrent déjà comme un chef d’oeuvre.
Un cinéma du contraste
Wes Anderson est un peintre, et ses films des tableaux, qui se succèdent les un après les autres. Des chapitres à la manière de toiles de maître, avec leurs ambiances, leurs couleurs. The Grand Budapest Hotel n’y manque pas : les arrière-plans sont parfois si irréels que la frontière entre cinéma et dessin devient mince. Tout est contraste. Dans ces cadres si soigneusement fermés, il cloisonne, met en boîte des personnages fantasques et excentriques. La symétrie absolument parfaite qui caractérise tant son cinéma n’a jamais été si soigneusement ajustée que dans la grandeur de cet hôtel. Et pourtant, c’est le bordel. Les gens courent, se battent, se tirent dessus, s’aiment devant ces décors figés et colorés. Du rose, du violet, des dorures, du bleu. Et que ça pique les yeux, que ça leur saute dessus, qu’ils en redemandent ! semble-t-il se dire en jouant sur les ombres, sur l’alternance symbolique entre l’esprit intemporel de cet hôtel si coloré et l’obscurité du dehors, ce mal qui avance lentement avec l’hiver arrivant. Le mal ici, c’est le fils qui rêve de récupérer son butin, ses sœurs et ce tueur joué par l’effrayant Willem Dafoe. Tous habillés entièrement de noir, ils se déplacent en ombre à l’image des armées de la mort et de ces trains, filant dans la neige à toute vitesse.
Anderson, l’art de raconter des histoires.
The Grand Budapest Hotel est un grand film, conjuguant parfaitement humour, tension et poésie. Subtilement vulgaire parfois, mais résolument grandiose. L’évolution de l’hôtel dans ses trois époques aide à comprendre l’arrivée du nazisme dans cette Europe un peu floue. De l’éveil d’un jeune immigré à la prestance d’un simple concierge anglais devenu véritable figure mondaine (que Ralph Fiennes magnifie) et le retour à l’inspiration d’un écrivain solitaire (Jude Law), le palace devient métaphore de l’évolution symbolique qu’a vécu la société depuis 1930, d’une folie sans pareille, rythmée de fête et de jouissance à la profonde solitude de ces individus d’aujourd’hui qui ne se parlent plus.
Wes Anderson est un mécanicien. Il aime les rouages, les maquettes, s’amuse en faisant monter, descendre les décors, joue à l’ascenseur émotionnel, s’amuse de ses personnages. De la peinture, du cinéma et de la musique, qu’il confie une nouvelle fois à Alexandre Desplat après Fantastic Mr Fox et Moonrise Kingdom, pour notre grand plaisir. Comme d’habitude, il interroge sur cette forme particulière qu’est la sienne, difficile à qualifier et que certains ne comprennent pas. Tant pis pour eux, je me suis laissée porter une fois encore par la magie Anderson, riche et émouvante.