Séminaire : "Purifier et détruire": penser la violence symbolique dans la guerre par l'approche spatiale (5 mars, EHESS)
Publié le 27 février 2014 par Geo-Ville-En-Guerre @VilleEnGuerreLa prochaine séance du séminaire "Sociologie des conflits armés" de l'EHESS questionnera la violence symbolique dans la guerre pensée par l'approche spatiale. Cette séance aura lieu dans la salle de séminaire du CRPS (Sorbonne, 14 rue Cujas, au 3e étage, Paris), le 5 mars 2014 de 17h00 à 19h00.
Présentation de la séance : Dans son texte "Effet de lieu" (dans La misère du monde), Pierre Bourdieu met en avant que toute sa réflexion sur la violence symbolique a manqué une perspective qui aurait dû être son point de départ : l'approche spatiale. Décrivant les banlieues françaises, il pointe la nécessité de réfléchir à cet "effet de lieu" qui reste à définir et à conceptualiser. L'appropriation et le marquage symbolique de l'espace sont, en effet, des grilles de lecture qui permettent de comprendre ce que la géographe Elisabeth Dorier-Apprill a nommé "l'efficacité géographique de la guerre" (Vies citadines), c'est-à-dire l'ancrage visible et invisible de la conflictualité dans les territoires par-delà le seul temps des combats. "Le marquage fonctionne comme violence symbolique lorsqu'il inscrit dans la durée l'affirmation de formes d'appropriation de l'espace, dont le caractère socialement arbitraire finit par ne plus être perçu, en évitant donc le recours permanent à la force pour imposer un pouvoir sur un espace donné" (Vincent Veschambre). Souvent mobilisée en sociologie des conflits et en relations internationales (Thomas Lindemann), la violence symbolique sera ici questionnée par le prisme du marquage de l'espace et l'appropriation territoriale des acteurs en armes. Le quadrillage du territoire n'a pas que des objectifs purement "militaires", mais aussi des finalités politiques, idéologiques et symboliques. Le géographe Michael F. Davie observe, dès 1992, l'importance du "placardage" iconographique dans Beyrouth en guerre, et analyse la diversité de l'affichage comme une appropriation de "quartiers-territoires" par les acteurs en armes et les acteurs politiques. La territorialisation par cette violence symbolique est aujourd'hui encore un enjeu majeur dans de nombreux conflits : qu'ils s'agissent de la destruction ou de la (re)construction, l'espace est mis en scène, "publicisé". La destruction de lieux de pouvoir en Afghanistan, des statues dans le monde arabe, des bibliothèques dans les guerres de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, des mausolées de Tombouctou ou du patrimoine culturel mondial en Syrie sont certainement les aspects les plus connus (parce que les plus visibles et les plus médiatiques) de cette appropriation territoriale par la violence symbolique. La (re)construction de statues (telle que le projet Skopje 2014) ou de lieux d'une mémoire participent tout autant des "mémoricides", des "urbicides" et des "nettoyages territoriaux". Il s'agira de tenter de définir ces néologismes, d'en montrer les apports pour penser, par la géographie des conflits, la "géographie de la peur" telle qu'elle se dessine et s'ancre par-delà le temps des combats, et inscrit la conflictualité dans les territoires du quotidien. Le titre "Purifier et détruire" de l'ouvrage de Jacques Sémelin sera ici "détourné" de son approche politique, pour questionner les spatialités des destructions, la mise en scène de l'espace, et l'ancrage des "nettoyages territoriaux".