La guerre de Sécession n’a pas encore frappée aux EU, on est au milieu du XIXème siècle. La condition noire à l’époque se résume ainsi : au Nord, les noirs sont libres et ont des droits assez proches des blancs ; au Sud, le nègre est esclave, n’est pas instruit et est traité souvent comme une bête de somme par les exploitants agricoles (coton, canne à sucre,…). Salomon Northup, enlevé par des blancs à Washington, va être vendu dans le Sud et connaître le sort réservé à ses confrères de couleurs, lui l’homme libre, musicien reconnu et père de deux enfants. Fini la bourgeoisie et bonjour les champs de coton. Bon nombre de noir connaitront le même sort que Salomon ; lui, parviendra à retourner dans le Nord après 12 ans d’esclavage et livrera un récit, support de ce film poignant.Steve Mc Queen, pas celui de « Bullit » mais le réalisateur britannique talentueux, réalise ici son troisième film. Plus accessible, classique et formaté pour Hollywood que ses deux précédents ; il livre tout de même un témoignage choc avec peu de concessions sur un pan douloureux de l’histoire américaine. Ce film écorne radicalement le rêve américain en peignant un tableau dense de l’esclavage. Rien d’aussi radical sur le sujet n’a été réalisé auparavant ce qui en fait un film événement. Là où d’autres, poussés par des producteurs américains conduits par des considérations marketing, auraient joué le tire larmes ; McQueen joue la sobriété émotionnelle, pas de pathos, juste de l’émotion brute. Brad Pitt, producteur et acteur du film, lui a permis de monter le budget du film ; militant aussi, il a dû lui laisser les coudées franches. La violence psychologique et physique présente aussi à tout instant nous oppresse jusqu’à nous laisser dans un état nauséeux à l’arrivée du mot fin. Une scène très forte illustre à merveille le besoin de McQueen d’éviter à tout pris le sensationnalisme et la surenchère. Salomon, puni par le maître, se retrouve pendu avec juste le bout des pieds touchant terre ; il s’efforce de maintenir ses pieds au sol pour rester en vie dans une danse macabre. Sans musique larmoyante et juste avec le son de sa respiration et de sa déglutition rendues difficiles par la strangulation ; le plan large fixe de plus de 30 secondes nous montre tous les autres esclaves vaquant à leurs occupations autour de lui dans l’indifférence totale comme des moutons effrayés par l’un de leur congénère que l’on égorge. Même si sa mise en scène est classique, la marque McQueen est bien présente à travers ces longs plans fixes sans musique et fait naître un vrai malaise. Le parcours de Salomon à travers diverses exploitations sudistes permet une véritable radiographie d’une société pourrie où le sort de chacun, propriétaires et esclaves, ne tient plus qu’à un fil. Au cœur du processus de McQueen, il y a bien sûr l’esclave Salomon mais aussi le tyran, son maître. Pour ce rôle, Michael Fassbender, son acteur fétiche abonné aux rôles triturés, est à nouveau énorme d’ambigüité. Cet être apeuré, totalement dominé par ses pulsions sexuelles et prisonnier entre une femme autoritaire et manipulatrice et une négresse objet de son désir, lui offre à nouveau un rôle très soigné et complexe. Ce qui va encore donner l’occasion à McQueen d’aller lorgner vers son côté sombre, le sadisme ; et il en est un orfèvre.Cependant on pourra regretter que son film soit quelquefois trop conformiste, même s’il ne devient pas didactique. Cette production est la plus hollywoodienne de ses trois films, mais il réussi tout de même dans l’exercice périlleux consistant à trouver une osmose entre cinéma d’auteur et film commercial. L’an dernier à la même époque, une autre jeune pousse, Jeff Nicholls, réussissait la même prouesse avec « Mud ». Un second regret pour ma part est d’omettre de la part de McQueen que l’esclavage est une politique d’état institutionnalisée pour des raisons économiques ; un savant fifty-fifty entre le sud et le nord. Le besoin de prospérité économique dans un état naissant a rendu aveugle les dirigeants et la population du nord, car elle en tirait les fruits. Les noirs du nord fermaient eux aussi bien souvent les yeux sur la condition de leurs frères de couleur du Sud. A autre temps, autre injustice ; aujourd’hui, les pays du Nord ne tirent-ils pas leur prospérité de l’exploitation des populations des pays du Sud ?Un film qui fera date comme le premier grand film objectif sur le sujet…
Sorti en 2014