Le fils adoptif

Publié le 27 février 2014 par Dubruel

d'après "AUX CHAMPS" de Maupassant

M. et Mme de Froment

N’avaient pas d’enfant.

Dans toute la région,

Ils cherchaient à adopter un jeune garçon.

Un jour, ils s’arrêtèrent

Au lieu-dit La Bouliére.

-« Oh ! Regarde, Edmond,

Ces deux enfants qui jouent

Comme ils sont mignons !…

Je vais les embrasser sur la joue.

Le mari ne répondit pas,

Habitué à ces éclats

Qui sont un reproche pour lui

…Et pour elle, un calvaire.

Elle courut vers la chaumière

Et prit dans ses bras Jean, un des petits,

Le dernier-né des Laudret.

Elle alla voir ses parents :

-« Comme nous n’avons pas d’enfants,

Nous voudrions bien l’adopter.

On vous servirait des mensualités

De cent francs.

Et à sa majorité, on lui donnerait

Vingt mille francs. »

-«Vous voulez que j’vous l’vendions ?

Ah ! Non. Ce s’rait une abomination. »

Alors Mme de Froment demanda :

-« Et celui-là ?...»

-« Il est à nos voisins Dufour. »

Mme de Froment traversa la cour

Et renouvela très prudemment

Sa proposition aux autres parents.

Très ébranlés, les Dufour hésitèrent,

Se considérèrent,

Puis le mari s’enquit :

-« C’te rente, c’est du promis ? »

-« Mais certainement. »

-« Cent francs, c’est point suffisant.

Ça travaillera dans quéqu’z’ans, c’t’Armand.

I’ nous faut cent quarante francs. »

-« Je suis d’accord.» dit Mme de Froment

Les Laudret agonisèrent d’ignominies

Les Dufour qui avaient accepté

De se séparer de leur fils Armand :

-« C’est une saleté,

Une corromperie

De vendre ainsi son éfant.

On vend pas nos p’tiots, nous.

On est pas riche, nous

Mais on vend pas nos éfants ! »

Grâce aux généreuses mensualités,

Les Dufour vécurent aisément.

Les Laudret restèrent dans la pauvreté.

Bien des années après,

Le fils Laudret qui ratissait la cour

Vit entrer chez les Dufour

Un dandy élégant

Il reconnut son ancien camarade Armand.

Alors Jean reprocha vivement

À ses parents :

-« Faut-il

Qu’vous ayez été imbéciles

Pour avoir refusé l’offre des Froment. »

-« Nous, on n’aurait pas abandonné not’ éfant

Même pour cent mille écus,

Vois-tu! »

-« Des parents comme vous,

Ça fait l’malheur des éfants. »

-« Hé ben ! Tuez-vous

Donc pour élever des éfants ! »

Le fils Laudret reprit rudement :

« Hé ben ! Quand j’ai vu l’Armand,

J’ me suis dit

V’là c’que j’ serais aujourd’hui ! »