d'après "AUX CHAMPS" de Maupassant
M. et Mme de Froment
N’avaient pas d’enfant.
Dans toute la région,
Ils cherchaient à adopter un jeune garçon.
Un jour, ils s’arrêtèrent
Au lieu-dit La Bouliére.
-« Oh ! Regarde, Edmond,
Ces deux enfants qui jouent
Comme ils sont mignons !…
Je vais les embrasser sur la joue.
Le mari ne répondit pas,
Habitué à ces éclats
Qui sont un reproche pour lui
…Et pour elle, un calvaire.
Elle courut vers la chaumière
Et prit dans ses bras Jean, un des petits,
Le dernier-né des Laudret.
Elle alla voir ses parents :
-« Comme nous n’avons pas d’enfants,
Nous voudrions bien l’adopter.
On vous servirait des mensualités
De cent francs.
Et à sa majorité, on lui donnerait
Vingt mille francs. »
-«Vous voulez que j’vous l’vendions ?
Ah ! Non. Ce s’rait une abomination. »
Alors Mme de Froment demanda :
-« Et celui-là ?...»
-« Il est à nos voisins Dufour. »
Mme de Froment traversa la cour
Et renouvela très prudemment
Sa proposition aux autres parents.
Très ébranlés, les Dufour hésitèrent,
Se considérèrent,
Puis le mari s’enquit :
-« C’te rente, c’est du promis ? »
-« Mais certainement. »
-« Cent francs, c’est point suffisant.
Ça travaillera dans quéqu’z’ans, c’t’Armand.
I’ nous faut cent quarante francs. »
-« Je suis d’accord.» dit Mme de Froment
Les Laudret agonisèrent d’ignominies
Les Dufour qui avaient accepté
De se séparer de leur fils Armand :
-« C’est une saleté,
Une corromperie
De vendre ainsi son éfant.
On vend pas nos p’tiots, nous.
On est pas riche, nous
Mais on vend pas nos éfants ! »
Grâce aux généreuses mensualités,
Les Dufour vécurent aisément.
Les Laudret restèrent dans la pauvreté.
Bien des années après,
Le fils Laudret qui ratissait la cour
Vit entrer chez les Dufour
Un dandy élégant
Il reconnut son ancien camarade Armand.
Alors Jean reprocha vivement
À ses parents :
-« Faut-il
Qu’vous ayez été imbéciles
Pour avoir refusé l’offre des Froment. »
-« Nous, on n’aurait pas abandonné not’ éfant
Même pour cent mille écus,
Vois-tu! »
-« Des parents comme vous,
Ça fait l’malheur des éfants. »
-« Hé ben ! Tuez-vous
Donc pour élever des éfants ! »
Le fils Laudret reprit rudement :
« Hé ben ! Quand j’ai vu l’Armand,
J’ me suis dit
V’là c’que j’ serais aujourd’hui ! »