Par Jean Yves Naudet.
Un article de l’aleps.
Inflation ? Déflation ?
Il n’y a pas d’exemple de création monétaire massive qui n’ait provoqué une inflation. La situation actuelle pourrait donc sembler paradoxale : le laxisme monétaire est la règle dans les pays développés. Les banques centrales fixent des taux directeurs quasi-nuls et pratiquent des politiques monétaires non-conventionnelles, telles que le « quantitative easing ». Que deviennent les contreparties de la masse monétaire gonflée au point de doubler, voire de tripler ? Les banques centrales ont racheté directement ou indirectement de la dette publique, de sorte que la garantie du dollar ou de l’euro est faite de créances sur le trésor américain ou sur les États européens
Dans ces conditions, les liquidités créées n’ont pas été injectées dans le circuit de la consommation ou de l’investissement privé, ce qui explique que les tensions inflationnistes ne sont pas (encore) apparues. Est-il pour autant justifié de parler de déflation ? Les derniers chiffres de l’OCDE font état d’une hausse des prix en un an (novembre 2012 à novembre 2013) de 1,5% pour la moyenne de l’OCDE, de 1,3% pour le G7, de 1,0% pour l’Union européenne. Ce n’est pas une déflation, mais ce n’est pas non plus, reconnaissons-le, l’hyper-inflation qu’on aurait pu craindre.
Mais devons-nous être totalement rassurés ?
Risque de bulles spéculatives
Le premier phénomène à prendre en compte, c’est l’apparition de bulles spéculatives. Pour qu’elles aient lieu, il ne suffit pas qu’il y ait des spéculateurs, il faut qu’il y ait des raisons et des moyens de spéculer. Ces moyens sont massivement fournis par les banques centrales, qui poussent la création monétaire et le crédit qui en découle. La crise des subprimes vient de là, de même que les diverses crises et bulles immobilières que l’on a vu éclater ici ou là. À d’autres moments, la bulle concernait les métaux précieux, comme l’or, qui a avoisiné les 2000 dollars l’once, avant de retomber. Les marchés financiers sont aussi touchés par ces phénomènes, ils montent sans raison objective apparente, puis la bulle éclate et les cours chutent. L’inflation est un phénomène complexe et multiforme : une hausse artificielle d’actifs financiers ou réels c’est aussi de l’inflation.
L’inflation touche les pays émergents
Un deuxième phénomène à considérer, c’est que nous exportons notre inflation. Lorsque les Américains, du joli temps du système de Bretton Woods (changes fixes), pratiquaient le laxisme monétaire, on disait qu’ils exportaient leur inflation et lorsqu’ils resserraient le robinet et pratiquaient une rigueur excessive, on disait qu’ils exportaient leur récession. Depuis, la mondialisation financière s’est développée et les capitaux circulent d’un pays à l’autre.
C’est heureux si ces capitaux représentent la contrepartie d’une réalité économique, ça l’est moins quand ils ont été créés massivement par le laxisme des banques centrales. Toujours est-il que ces liquidités sont allées massivement s’investir dans les pays émergents.
Elles ont contribué à la hausse des taux de change des monnaies de ces divers pays, ils ont entraîné des investissements massifs qui ont poussé la croissance déjà très rapide au point de faire naître dans les pays émergents un risque de surchauffe.
Le résultat c’est que l’inflation, qui ne s’est pas produite chez nous, s’est produite chez eux. Qu’on en juge. Selon l’OCDE, pour les douze derniers mois connus, l’inflation a atteint 10,5% en Argentine, 11,5% en Inde, 8,4% en Indonésie, 5,8% au Brésil, 5,3% en Afrique du sud, 7,3% en Turquie, 6,5% en Russie, que l’on peut classer dans les pays émergents, en tous cas dans les BRICS. Reste le cas de la Chine, qui n’en est qu’à 3,0%, mais qui avait connu une forte inflation (5,4% en 2011), avant de pratiquer une politique de lutte contre la hausse des prix ; au demeurant l’inflation salariale y reste forte. Difficile pour tous ces pays de parler de déflation !
Et maintenant, allons-nous exporter notre récession ?
Partout la croissance des pays émergents s’est ralentie. Les économies sont de plus en plus interpénétrées, de sorte que la récession en Occident a impacté les pays émergents, touchés pour une partie de leurs débouchés. Bien, sûr, leur croissance reste sans commune mesure avec la nôtre, mais avec 7,5% en Chine ou 5,4% en Inde, on est loin des 10 ou 8% de la période précédente. Mais le plus grave n’est pas là.
Il a suffi que les États-Unis annoncent qu’ils seraient un peu moins laxistes sur le plan monétaire (75 milliards par mois d’achats d’actifs au lieu de 85, puis 65 en février) pour que chacun anticipe un resserrement progressif : les marchés anticipent la fin du robinet à dollars et sa fermeture progressive. On se demande si la Banque centrale européenne suivra le même chemin. Ainsi à l’euphorie de la drogue monétaire succède maintenant l’angoisse du sevrage.
On finit par se rendre à l’évidence : les bulles inflationnistes et boursières n’étaient que des bulles, elles sont sur le point de crever. Le résultat se constate de jour en jour : après avoir artificiellement monté, le cours de devises telles que le peso argentin, la lire turque, le real brésilien ou la roupie indienne s’effondre. Les marchés boursiers de ces pays suivent le même chemin. Réajustement légitime après des excès en sens inverse ? Peut-être, mais réajustement douloureux et dangereux. La fragilité des pays émergents se fait sentir à son tour sur les pays développés, dont les bourses sont impactées.
Ne pas laisser les banques centrales jouer avec la monnaie
Le sevrage peut être aussi nocif que l’overdose.
Inquiets de voir les capitaux s’enfuir, prenant le chemin inverse des années précédentes, certains pays comme l’Argentine ou la Russie, prennent des mesures protectionnistes. Ils ont restreint les achats en ligne à l’étranger, pour freiner l’exil des capitaux. Si la tentation pour s’en sortir était de récréer un protectionnisme, monétaire puis commercial, les dommages seraient alors considérables pour tous.
Nous entrons à nouveau dans une zone dangereuse, avec les risques du repli, en attribuant l’inflation puis la crise financière à la mondialisation. Certes, l’inflation puis le retournement sont bien venus de l’extérieur mais la responsabilité en incombe essentiellement aux seules banques centrales pratiquant des politiques monétaires actives, conjoncturelles et artificielles. Comme le disait Friedman : « rien n’est moins important que la monnaie… quand elle est bien gérée ». Faute de gestion rigoureuse, les monnaies occidentales dominantes perturbent la mondialisation et tous les pays, émergents comme très développés, peuvent lourdement payer les erreurs des banques centrales. Comme le précisait encore Friedman : « La monnaie est une chose trop sérieuse pour la laisser entre les mains des banques centrales. »
—
Sur le web.