Je suis née il y a bien longtemps. La légende dit que je fus fondée par le fils de Rémus, le fan de lait lupin ; ancienne ville romaine, je deviens siège épiscopal aux tout débuts de la Chrétienté. Très rapidement, je me libère de mes chaînes et devient une ville indépendante, siège d’une république qui perdurera, malgré les vicissitudes de mon histoire, jusqu’en 1555. La peste noire fera des ravages dans mes murs et je vais perdre plus du tiers de mes habitants en quelques mois, ce qui me laissera affaiblie pendant plusieurs décennies. Mon ancienne rivale Florence en profitera pour imposer son pouvoir ; je suis rattachée à son grand-duché, les Médicis ayant entre temps pris le titre ducal : cela évite les problèmes de succession et de partage de pouvoir (Strozzi & co) du temps de la République, c’est très pratique ! Annexée à l’Italie en 1861, mon destin se confond désormais avec celui de la péninsule.
Aujourd’hui encore, je suis une petite ville de 50 000 habitants. Mon orgueilleuse voisine, Florence, capte toutes les attentions et les cars de touristes japonais. Et pourtant, je suis aussi âgée et bien dotée. Contrairement à elle, mon architecture est assez homogène et je ne possède pas de véritable banlieue moderne (et sordide) : je mériterai davantage. D’un autre côté, cela me permet de me préserver des affres de la surpopulation touristique.
A des kilomètres à la ronde, on peut apercevoir ma Torre del Mangia attenante au palais communal. Elle possède la même fonction que les beffrois du Nord de la France : symbole de l’indépendance de mon pouvoir vis-à-vis de l’Empereur et vis-à-vis de l’Eglise. J’en suis très fière et j’ai bien raison car cette tour est tout simplement magnifique, avec ses 102 mètres et sa grosse cloche de 6 tonnes. Elle a été construite pour égaler, en hauteur, la cathédrale, pourtant située en haut de la ville.
De toute manière, il faut l’avouer, tout mon centre-ville est une pure et sage splendeur. Il n’est pas très grand et est clairement bi-polaire : d’un côté le pouvoir temporel et de l’autre le spirituel.
Le pouvoir temporel, outre la Torre del Mangia, est symbolisé par le Palais communal sur la Piazza del Campo. Cette place est ma grande fierté. Elle est connue pour être le théâtre du Palio, une course de chevaux pluri-centenaire assez sauvage : l’objectif est que le cheval franchisse la ligne d’arrivée le premier, avec ou sans son cavalier – qui monte à cru, 10 des 17 quartiers (contrada) de Sienne présentant un concurrent. Les chevaux sont tirés au sort. Deux fois par an, la foule s’entasse et s’enthousiasme, les balcons se louent à prix d’or… pour quelques minutes de course. La place est ceinte de palais plus ou moins restaurés (plus que moins en ce moment d’ailleurs), le plus souvent en briques rouges. Ne faites pas comme la plupart des gentils touristes qui arpentent la place et ne regardent qu’en direction du Palais communal : tâchez d’admirer les autres façades, tout aussi belles. La place est en pente et prend la forme d’une coquille. On est loin des espaces rectilignes, majestueux et froids qui apparaîtront plus tard : nous sommes bien au cœur d’une ville médiévale !
Le pouvoir spirituel, lui, s’incarne dans la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption, l’une des plus étonnantes de toute la Toscane. Au début de sa construction, mes habitants ont eu les yeux un peu plus gros que le ventre (et puis, la peste m’est tombée dessus à ce moment-là). Elle est inachevée. Ou plutôt, achevée, mais pas dans le sens (au sens figuré… et propre !) prévu initialement. Chef d’œuvre de l’art gothique italien, elle se caractérise par son campanile en marbre noir et blanc, sa façade parée des mêmes couleurs et son grand parvis. Les restes du premier projet sont toujours debout, notamment le Facciatone, la grande façade partiellement ouvragée du projet monumental des habitants. L’intérieur est richement décoré comme peuvent l’être les églises toscanes, et les œuvres de maîtres abondent : statue de Donatello, autel de Peruzzi, un enfant du pays, chaire de Pisano (lui il est de Pise, qui l’aurait cru ?).
Au-delà de ses deux monuments, je regorge de richesses qu’il faut découvrir en déambulant dans mes rues pavées et sonores. Admirez les quelques 75 monuments religieux (basiliques, églises, oratoires…), les dizaines de Palais et autres maisons-tour, preuves de mon opulence, presque insolente, du passé. Marchez sur les pas de Catarina Benincasa, dont le nom a été associé au mien, l’une des plus grandes saintes de l’Eglise catholique, religieuse dominicaine, théologienne, ambassadeur et diplomate de haute volée, traitant avec les Papes, les rois et les universitaires. Perdez-vous dans les ruelles désertes, les placettes frappées par le soleil, visitez la pinacothèque présentant l’école qui porte mon nom et qui n’a rien à envier aux autres écoles toscanes : Duccio, les Lorenzetti, Simone Martini et tant d’autres qui firent ma renommée dans le monde entier.
Mais rassurez-vous, je ne suis pas qu’un musée. Encore aujourd’hui, je suis l’une des villes italiennes où il fait bon vivre, étant placée dans les premières places du classement annuel d’Il Sole 24 Ore. J’ai d’autres activités : de l’artisanat, mais aussi de la finance car je suis le siège de la plus vieille banque mondiale, fondée en 1472 (la Monte dei Paschi).
Venez me rendre visite, même en été, l’atmosphère est respirable, il y a du monde mais pas trop. Je représente la vieille Toscane, plus intime, plus vraie, plus farouche. Je vous accueille.
Au fait, je m’appelle Sienne.