Majorité : chronique d’une défaite électorale annoncée

Publié le 26 février 2014 par Lbouvet

Entretien publié dans Le Figaro (16/02/14) – photo Margot L’Hermite

LE FIGARO : De nombreux élus socialistes, comme Julien Dray en fin de semaine, sonnent  l’alerte sur l’ampleur de l’échec qui menace la gauche aux municipales. Partagez-vous ce constat ?

Laurent Bouvet : Oui. Il y a quelques semaines encore, nombre de socialistes étaient confiants. Ils s’étaient laissés endormir par une petite baisse de forme de Marine Le Pen dans les enquêtes d’opinion et par des sondages effectués dans les grandes villes, plutôt favorables à la gauche. Ils avaient tort. Les fondamentaux sont très mauvais et ils le sont depuis longtemps.  Avant même le pacte de responsabilité ou la non inversion de la courbe du chômage, ces élections municipales étaient très mal engagées pour la gauche. Depuis la conférence de presse du président de la République, la situation s’est encore dégradée.

- Pourquoi ?

- La clarification de François Hollande sur ses intentions en matière économique lors de sa conférence de presse du 14 janvier a eu deux effets. D’un côté, le président a annoncé un pacte de responsabilité pour les entreprises mais depuis il ne s’est rien passé sur ce terrain ! Ce qui inquiète ceux qui y sont plutôt favorables. De l’autre, ces annonces ont provoqué un vif rejet par une partie de la gauche sans mobiliser pour autant ceux qui approuvent la perspective choisie. Immédiatement après, les résultats décevants sur le chômage n’ont rien arrangé. Et, là, nouvel épisode… Le gouvernement et la majorité enchaînent une succession de bourdes sur les questions de société (genre, PMA, retrait de la loi famille au lendemain de la «Manif pour tous»…). Après avoir encore perdu des électeurs sur les questions économiques et sociales, François Hollande en perd à ce moment-là au sein même des « minorités » actives qui l’avaient beaucoup soutenu pendant sa campagne présidentielle et depuis le début de son quinquennat. Cerise sur le gâteau : Vincent Peillon puis Bruno Le Roux laissent entendre (même si cela a été démenti par le Premier ministre) que le gouvernement pourrait geler l’avancement des fonctionnaires… alors que ceux-ci sont sans doute l’un des tous derniers bastions électoraux de la gauche !

- Vous voulez dire que le PS n’a plus d’électeurs ?

- Cet incroyable enchaînement d’annonces, de mauvaises nouvelles et de bourdes intervient précisément au moment où nos concitoyens commencent à réaliser qu’il va y avoir des municipales dans quelques semaines : ils voient les affiches, les candidats, les reportages dans les médias… Or les semaines qui viennent de passer sont comme un concentré de tout ce qui ne va pas depuis le début du quinquennat pour la gauche : absence de résultats économiques, politique pas assez marquée à gauche, manque de coordination et d’unité de la majorité, revendications tous azimuts et confusion sur les sujets de société… Au final, chaque électeur de gauche peut y trouver au moins un sujet de mécontentement. Comme si la majorité s’ingéniait à perdre ses « électorats » un par un : les CSP+ qui trouvent qu’ils payent trop d’impôts et que le pacte de responsabilité ne pas assez vite, les fameux «bobos» du centre des grandes métropoles, déçus sur le front sociétal, les fonctionnaires inquiets d’une perte encore accrue de leur pouvoir d’achat… Quant aux catégories populaires, elles sont aux abonnés absents depuis un bon moment.

- Vous êtes sévère… François Hollande peut-il encore éviter un désastre électoral ?  Doit-il remanier son gouvernement, comme le souhaite une partie de sa majorité ?

- Je suis sévère mais… juste. Il n’y a aucun moyen désormais pour la majorité d’éviter une déroute électorale. Au PS, ils en sont même réduits à imaginer la manière dont ils vont habiller la défaite aux municipales, comme ils l’ont fait en 2001. Si le PS gagne Marseille et conserve Paris par exemple, ce qui est probable, il dira que ce n’est pas une défaite. Alors que le recul risque d’être très important partout en France, notamment dans les villes petites et moyennes. Quant à un remaniement, il ne pourrait avoir un impact, et encore faible, qu’à la condition que François Hollande renverse la table, en nommant par exemple un premier ministre à la personnalité forte et qui aurait une légitimité politique propre (comme Martine Aubry ou Manuel Valls), auquel il donnerait les clefs du gouvernement. Ce qui a peu de chance de se produire pour des raisons à la fois institutionnelles et d’après la conception du pouvoir exécutif qu’a montrée jusqu’ici François Hollande. S’il remanie, ce sera sans doute après les européennes mais ce ne sera pas un acte suffisant pour lui permettre de rebondir politiquement. On notera d’ailleurs que la séquence électorale qui vient est assez inédite : après les municipales - un scrutin local toujours compliqué à gérer pour le pouvoir en place – auront lieu les européennes, un scrutin national dont sera issue une photographie du rapport de force politique dans le pays à mi-mandat mais avec un fort taux d’abstention. Le FN pourrait bien arriver en tête, et le PS en troisième position seulement. L’effet sera donc catastrophique quelques semaines après la perte de centaines de municipalités. Il s’agit d’une sorte de rasoir électoral à deux lames !

- Comment peut-il rebondir ?

- Le président de la République n’a pas beaucoup de leviers à sa disposition. Il n’a plus la confiance des Français de manière générale : une cote de popularité inférieure à 20% après deux ans de pouvoir est un indicateur qui ne trompe pas. Il n’a pas de majorité de rechange : sur sa gauche, les forces en présence sont faibles et divisées, au centre, elles sont inexistantes car ralliées à la droite. Il ne peut d’ailleurs pas plus changer de politique, en matière économique notamment, puisque celle-ci est entièrement dictée par l’arrimage de la France à l’euro et aux conséquences en termes budgétaires que cela implique.

Bref, si l’on osait, on paraphraserait Jean-François Copé en disant que François Hollande va se retrouver « à poil » politiquement !


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