On avait promis d'acquérir cet opus sur le "wine-business" à Bordeaux écrit par une journaliste qui commente la chose avec une belle gourmandise sans jamais oublier qu'elle n'aime pas l'argent comme tant de français et qu'elle doit garder ce ton incisif si particulier aux gens du Monde, de Libé et autres organes papier auxquels n'appartient pas, naturellement, le Figaro.
C'est un peu dommage de n'avoir qu'une lorgnette de ce type, alors que tant d'autres choses peuvent et doivent être dites sur l'évolution du monde viticole en terres bordelaises.
Pas folle, cette gente dame cite très régulièrement les gens qu'elle a aimés comme ceux qu'elle a piégés.
Une version écrite de Mondovino.
Cette couverture constante de citations, anonymes ou non, semble donner un certain poids à sa vision des choses et plus d'un lecteur en sortira impressionné.
Mais allons plus loin.
Les chapitres 1-2-3 (cela se lit très vite) sont des évidences économiques déjà dites et redites un peu partout. On se donne de faciles frissons en évoquant les chiffres de vente des terres, le prix des grands crus, les héritages douloureux exigeant une vente des domaines, bref : tout ce que savent déjà les habitués du monde vinicole aquitain. Mais Mme Michu aura des interrogations, des incompréhensions et des étonnements : en ce sens, ces 3 chapitres sont une réussite.
Ensuite, vient la question du dernier classement des crus à Saint-Emilion. Plusieurs billets ont été écrits ici et ailleurs sur les procédures choisies, sur le choix voulu de ne pas classer des terroirs, indépendants des propriétaires actuels (le système bourguignon), mais avec la vision d'une certaine globalité contemporaine qui inclue l'oenotourisme, la politique marketing et d'autres choses réduisant un tantinet la valeur propre à donner au vin uniquement, ou, à tout le moins, majoritairement.
Isabelle Saporta, en montrant sans arrêt du doigt Hubert de Boüard comme le méchant faiseur d'un classement qu'elle n'aime pas, oublie simplement de dire que, volens nolens, cela n'aurait pu se faire s'il n'y avait eu un consensus, silencieux ou non, des propriétaires. Jusqu'à nouvel ordre, Hubert de Boüard n'avait pas à sa disposition, pour favoriser un point de vue, une armée de prétoriens chargés d'imposer ses vues. En dehors de quelques irréductibles - dont ceux qui ont lancé des actions en justice - , faudrait-il dire que les producteurs ont été de braves et dociles moutons ? Dans sa grande sagesse de journaliste, Isabelle Saporta ne va pas jusque là, gardant donc son courroux sur une ou deux personnalités : c'est plus facile, plus porteur, moins juste certes, mais qui se formalise pour de telles facilités qui conviennent au lecteur lambda ?
On l'a écrit ici : se lancer dans une telle initiative - un nouveau classement - , dans le monde bordelais, c'était fatalement, quelque part, mettre à un moment ou un autre, les mains dans le cambouis.
J'aurai bien mieux aimé un chapitre explicitant pourquoi tous ces propriétaires ont accepté cette évolution du classement, lequel par ailleurs a effectivement été mal ficelé par des juristes qui ont été loin d'approfondir les possibles conflits qu'un lecteur attentif aurait très vite notés.
Le chapitre suivant (5) ressasse ce qui a été écrit mille fois un peu partout : le rôle de Parker sur l'évolution de Bordeaux. Il eût été follement plus intéressant, à un moment où son rôle est nettement décroissant, d'évoquer quel sera le futur de la critique, quelles seront les notes d'Antonio Galloni qui sera là cette année et dont le succès de son propre site aux USA est totalement inconnu de la part de bien des producteurs bordelais; et comment réagiront les autres prescripteurs, fascinés qu'ils soient ou non par les tapis rouges qu'aiment déployer les grands noms, alors même que les amateurs attendent une nouvelle politique de prix qui puisse ranimer la petite flamme tremblotante d'une passion quasi éteinte ? Bref : c'est un chapitre historique, sans plus. On n'y apprend rien sinon des gossips usagés.
Le chapitre 6 est une attaque en règle contre l'INAO. Ma foi, là aussi, les amateurs savent depuis belle lurette que l'INAO et le système des AOC ne sont en rien une garantie de la qualité des vins. Le but premier a été de combattre des fraudes. Les choses ont changé depuis, et si encore pour beaucoup d'acheteurs, le nom d'une AOC est le déclencheur premier d'un achat, pour l'amateur averti ce sera bien plus le nom du vigneron, du producteur, associé ou nom à une critique type B+D qui donnera en sus une idée de la valeur du millésime.
Le chapitre 7 en devient lassant avec cette sempiternelle attaque de type mesquine, contre tel ou tel acteur de la rive droite, en croyant donner du poids à la chose en citant des "off" en veux-tu, en voilà. Du remplissage inutile.
Les chapitre 8 et 9 abordent la question délicate des pesticides. Voilà un sujet plus d'actualité et un peu mieux traité. Mais toujours ce besoin incessant de couvrir les commentaires par de soit-disant confidences reçues de Monsieur Chatonnet remplaçant dans ce rôle Jean-Luc Thunevin, si solidement confessé dans les chapitres précédents.
Vient ensuite un chapitre hilarant, le 10, où là encore on redit ce qui se sait depuis des lustres, au sujet de l'intérêt tout relatif porté par le monde bordelais aux critiques qui ne se nomment pas Parker. C'est le chapitre VANITE & EGO. Vous aimerez ces portes ouvertes :-)
Le chapitre 11 assassine comme il se doit le système des primeurs : vous pouvez y passer en TGV : ce n'est que redites de ce qui a été dit, écrit depuis des lustres. Pause café.
Dans le 12, on revient à VINEXPO et au marché chinois (chapitre 13) que le sage Stephan von Neipperg regarde avec suspicion. Chacun sait qu'il n'y a rien de plus dangereux que de mettre ses oeufs dans le même panier. La sagesse des Neipperg remonte si loin ! (page 124). Il serait un peu bête de condamner la Chine aussi vite qu'on l'a encensé. Mais c'est vrai que d'avoir un minimum de respect pour les amateurs chinois, qui vont apprendre très, très vite, ce n'est pas à la portée d'une aristocratie bordelaise peu habituée à ce sens inné du business qui caractérise ce vaste pays.
On parle ensuite de l'AOC Pomerol et de l'obligation de vinifier à l'intérieur de ce minuscule territoire.
L'auteure revient ensuite sur les plans d'accroissement des vignobles, notamment en Champagne. Sujet un peu plus dans l'actualité. Puis quelques pages sur les hélicoptères. Ah ce frisson si franchouillard de parler des riches et de leurs jouets : si, si !
On arrive alors au chapitre 18 : où on revient sur des questions de gros sous, un sujet qui fascine cette journaliste. pas de doute : elle est bien française avec une filiation directe à St Thomas d'Aquin. On passe, c'est lassant.
Le chapitre 19 traite d'un cas douloureux : ou comment des pesticides peuvent engendrer, chez des voisins, des maladies graves. Un véritable problème qui devra vite être traité par les autorités compétentes. Merci pour avoir évoqué cette question majeure pour le futur.
On revient à St Emilion avec le cas de Monsieur Carle, (Croque-Michotte) exclu du classement et dont on a beaucoup parlé sur ce blog.
Enfin, les derniers chapitres sont un maelström d'historiettes sur le monde des costumes trois-pièces bordelais où les nantis, les 1855 et associés de la rive droite, veulent fermer leur CLUB G9 aux nouveaux impétrants. Il faut une fois pour toutes comprendre que le seul juge de paix en terres bordelaises reste le prix du vin. Qu'il dépende ± de l'étiquette et non du jus, on le sait. Mais ce sujet délicat n'est pas débattu ici. Dommage.
Dommage également de ne pas avoir écrit un chapitre sur le rôle majeur du négoce bordelais et son évolution future. Bon, c'est vrai, c'est un thème plus ardu.
On eût aimé quand même un chapitre pour remettre un peu les choses en place au lieu de ces gossips éventés. A savoir que le juge final de la qualité d'un vin, c'est l'amateur qui doit l'être. Et à cet égard, malgré tout le fiel déversé contre Hubert de Boüard (ou quand le trop devient ridicule), Madame Saporta aurait pu écrire un chapitre sur la nécessité, pour ses lecteurs, de passer un peu outre l'étiquette et de juger sur pièce. Il est navrant qu'à aucun moment, elle ne cite les grands messieurs que sont les Droulers à Haut-Carle, les Decoster à Fleur Cardinale, les Cuvelier à Clos Fourtet et tant d'autres qui ne perdent pas leur temps en médiocres confidences et s'occupent avant tout d'offrir aux amateurs, des vins valant souvent, à l'aveugle, quelques grands noms qui passent leur temps - comme elle - à se régaler d'historiettes alors que les vignobles de la rive droite méritent tellement mieux.
Dépassez le bling-bling alimentaire, chère Madame : votre plume aura bien plus de valeur sur des sujets bien plus intéressants.