Sortie en salles le 19 février 2014
Un film de Jim Jarmusch
Avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton, Mia Wasikowska
Synopsis :
Dans les villes romantiques et désolées que sont Détroit et Tanger, Adam, un musicien underground, profondément déprimé par la tournure qu'ont prise les activités humaines, retrouve Eve, son amante, une femme endurante et énigmatique. Leur histoire d'amour dure depuis plusieurs siècles, mais leur idylle débauchée est bientôt perturbée par l'arrivée de la petite sœur d'Eve, aussi extravagante qu'incontrôlable. Ces deux êtres en marge, sages mais fragiles, peuvent-ils continuer à survivre dans un monde moderne qui s'effondre autour d'eux ?
L'avis de Block :
Lui, Adam (Tom Hiddleston), musicien dépressif et misanthrope égocentrique, look gothique à la Robert Smith, le chanteur de The Cure. Elle, Eve (Tilda Swinton), sans âge, toujours vêtue de nuances de blanc, sage, lucide, consolatrice. Lui, dans les ruines de Détroit, reclus dans une maison poussiéreuse convertie en studio d’enregistrement de fortune. Elle, déambulant dans le bazar de Tanger et vivant dans un capharnaüm de livres. Deux amants nocturnes, deux esthètes charismatiques, deux vampires. Ils se comprennent sans se parler. Ils s’aiment sans se voir. Leur couple a traversé les siècles. Mais Adam se met à broyer un peu trop de noir et Eve décide de le rejoindre à Détroit…
Après avoir revisité le film de samouraï (Ghost Dog) et le western (Dead Man), Jim Jarmusch s’essaie au film de vampires.
Loin de chercher à troubler les codes du genre, le réalisateur revient à la racine du mythe pour développer son propos. Adam et Eve sont des vampires aristocratiques, dandys et élitistes, las de la médiocrité de la race humaine enlisée dans une (in)culture de masse. Chez Jarmusch, les monstres sont inversés : les vampires considèrent les humains comme des zombies qui, pour la majorité d’entre eux, ont renié leur essence créatrice. Mais ce jugement sévère n’est pas définitif. Si Adam se complait dans un passéisme morbide – collectionneur quasi-fétichiste de guitares – Eve, au contraire, se montre visionnaire et saisit le caractère cyclique de toute chose, qu’il s’agisse du déclin de Détroit, des frasques de sa sœur cadette ou du blues d’Adam. Elle sait aussi apprécier certains « zombies », tels que Bilal, écrivain trop modeste pour croire à son propre talent. Au contact d’Eve, Adam parvient à mettre de côté son mépris et même à reconnaître les qualités artistiques de quelques musiciens – les White Hills et Yasmine Hamdan, qui offrent d’ailleurs deux très agréables interludes musicaux.
Only Lovers left alive est, il est vrai, alourdi par un élitisme underground parfois tellement ostentatoire et forcé qu’il en devient presque naïf. Il est vrai aussi que Jim Jarmusch a ce côté poseur un peu irritant et qui, à travers certaines répliques, frôle le risible, voire le ringard... Mais il assume pleinement cette posture. « L’humilité ne mène nulle part » murmure le vieux vampire Marlowe (John Hurt, qui fait du John Hurt). Surtout, le réalisateur dilue les passages sentencieux dans son habituel humour noir quasi-burlesque, qui irrigue et équilibre discrètement le récit.
Jim Jarmusch livre à nouveau un film d’une beauté plastique ensorcelante. Les personnages évoluent dans une lumière ténébreuse et dans des palettes de couleurs qui évoquent les toiles des peintres du romantisme noir. Les plans fixes sur les corps à la blancheur de marbre des amants enlacés dans des draps noirs, les gros plans sur les vieilles guitares rutilantes, les lents travellings lors des virées en voiture, la bande originale électrique, les riffs languissants suspendus dans l’air, la complicité irradiante des amants : tout ceci contribue à bercer dans une atmosphère apaisée et envoutante ce film rock, pétri d’un romantisme magnétique et dont émane une classe folle.