Mathieu Pernot : scènes de l’exil ordinaire

Publié le 25 février 2014 par Pantalaskas @chapeau_noir

" La Traversée"'

Série Les Migrants 2009
Mathieu Pernot

Des portraits d'enfants tsiganes réalisés dans une cabine de Photomaton de la gare d'Arles aux photographies des migrants afghans surpris à l'aube dans ces couvertures les dissimulant comme dans un linceul, des "Implosions" d'immeubles saisies dans les banlieues de grandes villes aux "Panoptiques", architectures carcérales  de plusieurs établissements  pénitentiaires en France, le photographe Mathieu Pernot,  au Jeu de Paume à Paris, recoupe une histoire vécue, celle de tous ceux pour qui certaines notions semblent inaccessibles  : identité, territoire, patrie et leurs corollaires : papiers d'identité, nationalité. Pour tous ceux-là, cette privation peut se sublimer en d'autres concepts tels que Chimère,  Eldorado. Mais ce qui nourrissait  le rêve des Conquistadors prend aujourd'hui les formes d'un cauchemar ordinaire.

Eldorado

" La Traversée"' évoquée par le photographe s'opère dans un espace qui  n'est pas celui dans lequel vivent les nantis attachés à une terre, un pays, protégés dans une propriété, préservés par les grilles du droit et de l'institution. Non, ceux dont il est question ici ne connaissent que les cours de promenade des quartiers d'isolement, les parcours du combattant à la recherche de cartes de séjour, les squats délabrés, les camps nomades surpeuplés et insalubres.

Série "Le feu" 2013 Mathieu Pernot

Les séries photographiques présentées dans l'exposition retracent vingt ans d' enquêtes, de témoignages, jusqu'à la toute dernière série "Le feu" de 2013 réalisée spécialement pour l'occasion. Au travail photographique  s'est ajouté la présentation de documents d'archives parmi lesquels les "Cahiers afghans" de 2012 : deux réfugiés afghans à Paris Jawad et Mansour ont confié à Mathieu Pernot des cahiers d'écolier où l'un a écrit le récit  de son voyage de Kaboul à Paris, l'autre a noté les phrases de première nécessité traduit en langue farsi  pour ses cours de Français.

Mémoires d'exil

L'exposition de Mathieu Pernot n'établit pas seulement des relations entre documents et photographies contemporaines. Elle puise également dans l'Histoire la mémoire de l'exil : Le photographe a en effet découvert, aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône,  l’existence d’un fond de photographies anthropométriques d’anciens internés d’un camp de concentration.

"Un camp pour les bohémiens 1998/1999"
Documents d'archives

"Ce camp, situé en Camargue, était destiné à l’internement des tsiganes et devait servir de propagande au gouvernement de Vichy. Le travail de l’auteur a consisté à retrouver les survivants, puis à tenter de retracer l’histoire de ce camp, en confrontant les sources administratives à la mémoire vivante des anciens internés. Le projet associe ainsi la mémoire vivante aux documents d’archive et interroge l’acte de restituer l’histoire de ceux qui ne l’inscrivent pas."
Cette permanence dans la mise à distance du migrant caractérise donc notre société et ne s' estompe pas avec le temps. 
Au plan du travail photographique, celui réalisé par Mathieu Pernot s'enrichit de cette investigation documentaire qui va au-delà de son propre travail de photographe. C'est avec ce travail sur une certaine histoire de la photographie que sa quête personnelle sur le terrain se renforce avec la prise en compte d'une recherche documentaire. C'est tout l'intérêt de cette exposition : prendre en compte, avec de séries réalisées au fil du temps et des apports documentaires légitimes, à la fois les faces cachées de l'exil dans notre histoire et la face que nous nous voilons devant cet exil au quotidien vécu à nos portes.

Mathieu Pernot
"La traversée"
11 février- 18 mai 2014
Jeu de Paume
1 place de la Concorde
75008 Paris