De saint Pèlerin au III° siècle, au très janséniste Monseigneur de Caylus, Auxerre a connu plus d’une centaine d’évêques. Certains furent hauts en couleur. Tel Hainmar (Hainmaro) qui, à la bataille de la Berre, flanqua aux Sarrasins, alliés pour la circonstance aux Aquitains, une dégelée mémorable avant d’être lâchement assassiné par des jaloux du côté de Bastogne. Il y eut aussi Géran (Gerranno) qui apprit à d’imprudents Normands que, lorsqu’on boit le vin des Auxerrois, il est préférable de le leur payer si on ne veut pas finir écrasé au fond d’un fossé. Enfin je n’aurais garde d’oublier Hugues de Noyers (Hugo de Noeriis) surnommé le Marteau des Hérétiques (hereticorum malleus) en raison de la façon expéditive avec laquelle il traitait ceux de ses diocésains qui n’avaient pas de la religion la même conception que lui.
Le détail de leur histoire peut se lire soit dans l’original latin (page de droite), soit, pour ceux qui ignorent la langue officielle du Vatican ou qui auraient égaré leur Gaffiot, dans la traduction française (page de gauche) des trois tomes des « Gestes des évêques d’Auxerre » (Gesta pontificum autissiodorensium) publiés par les Belles Lettres et en vente dans toutes les bonnes librairies.
Ces Gestes font une large place à Guillaume de Seignelay (Guillelmus Silligniacencis) lequel au motif que son église cathédrale était « d’une architecture ancienne, peu élégante et souffrait de crasse et de vétusté », ordonna de la faire raser jusqu’aux fondations. Or son prédécesseur immédiat, Hugues de Noyers (hereticorum malleus) avait réalisé d’importants travaux de restauration dans ce joyau de l’art roman bourguignon. Il en avait, en particulier, rehaussé le sol qu’il avait ensuite décoré d’un pavement. Les fenêtres avaient été agrandies et pourvues de vitraux, les portes refaites et la toiture et les bas-côtés totalement rénovés.
A lire ce qui précède, on mesure à quel point les allégations du nouveau prélat étaient spécieuses. En vérité, Guillaume de Seignelay était aveuglé par les passions, si communes, du mépris né de l’ignorance de l’histoire et du désir de penser comme le siècle qui, de génération en génération ont agité et agitent encore les responsables politiques et religieux. L’évêque voulait tout simplement se faire construire une église dans le style à la mode. Au fond, ni plus ni moins qu’aujourd’hui, le conseil municipal de Bouny sur Vertoron, en remplaçant son ancien gymnase par un complexe sportif, bâti en matériaux à la fois isolants et durables et doté d’une toiture végétalisée, cherche à imiter et, si possible, à dépasser les réalisations les villes voisines de Froissard en Goutille et de Rougemoutier sur Souette.
Le Marteau des Hérétiques avait rappelé aux Auxerrois à quel point il est dangereux de contester des décisions épiscopales. En conséquence nulle association de défense du patrimoine ne déposa ses statuts au baillage et personne ne fit signer des pétitions place du Marché aux herbes ou rue des Boucheries. N’ayant à craindre ni un recours au Tribunal administratif, ni une intervention de Monsieur l’Architecte des Bâtiments de France, les démolisseurs se mirent à l’ouvrage avec entrain. Ils abattirent très vite le chœur et son déambulatoire. Deux tours jumelles encadraient l’édifice. Ils n’eurent pas à s’en occuper. En effet, le chantier ayant été conduit avec une certaine négligence, elles dégringolèrent d’elles-mêmes le dimanche de la Trinité 1217 sans, par bonheur, faire une seule victime. Le chanoine chargé de la communication de l’évêché, utilisa fort astucieusement l’événement. Il prouva que la destruction en cours était une œuvre pie puisque si les tours s’étaient écroulées sans qu’on ait à y porter la pioche c’est que Dieu lui-même y avait mis la main tout en veillant, par un surcroît de miséricorde, à épargner la vie des fidèles.
Le chœur et les tours par terre, on passa à la nef et aux portails « pendant qu’à l’appel des prêtres, le peuple, plein de dévotion, se pressait pour dégager les décombres » (Ad removendum aggerem sacerdotum edicto plebis excitata feruebat devotio). Bref, en 1220, quand l’évêque quitta Auxerre pour Paris où il avait été transféré à la demande du roi, il ne restait rien de la splendide église romane bâtie par ses prédécesseurs. En revanche, « élevant ses murs à une hauteur immense », se dressait un pur chef d’œuvre : la merveilleuse cathédrale gothique d’Auxerre.
Moralités ? Trouvez les vous mêmes et choisissez celles qui vous conviendront le mieux. Il y en a plusieurs et elles sont contradictoires.
Chambolle
[1ère parution en février 2013]