(Interscope/TDE)
_
Des albums attendus, il y en a tout les mois. Mais qui forcent tant d’impatience et cristallisent l’attention, il n’y en a que quelques uns par an. Il faut dire que ce Oxymoron a su se faire prier avant d’atteindre nos oreilles. Préparé depuis 2012, il aurait du nous parvenir l’an dernier avant d’être repoussé à plusieurs reprises jusqu’à ce 25 février 2014. Un pari risqué puisqu’à force de jouer à l’arlésienne, ScHoolboy Q a engendré autant de frustration que d’admiration. Mais si l’attente n’a pas altéré le buzz autour du Black Hippy, c’est qu’il a su distiller intelligemment de nouveaux extraits toujours plus marquants les uns que les autres au fil des mois. Ce fut Yay Yay puis l’excellent Collard Greens en compagnie du frère Kendrick Lamar sur le début 2013 avant de terminer par Man of the Year et son sample de Chromatics mais surtout avec la patate Break the Bank qui a relancé la machine en ce début d’année pour accélérer le processus dans la dernière ligne droite. Et de parler déjà pour certains d’album de l’année sans l’avoir écouté dans son ensemble.
Si la confiance est autant de mise chez les fans/amateurs du genre, c’est aussi parce qu’on sait qu’on mise sur le bon cheval. Et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Q a eu le temps de prouver qu’il était un excellent rappeur à travers ses anciens morceaux et ses différentes apparitions. Ensuite il n’en est pas à son coup d’essai puisque le bougre a déjà publié deux albums en indé dont l’acclamé Habits & Contradictions qui, avant la sortie stratosphérique du Good Kid M a a d City de Lamar, assurait le statut de leader du label Top Dawg Entertainment à celui qui porte le bob comme personne dans Los Angeles.
Et dernier point justement Kendrick Lamar, qui a démontré que les éloges faites au collectif n’étaient pas usurpé et a ouvert la voie pour ses petits copains AB-Soul, Jay Rock et ScHoolboy Q, du même coup.
Mais alors qu’on s’attendait à ce que ce dernier surfe sur la vague du succès de KL, il a préféré prendre son temps, peaufiner son projet pour être à la hauteur de l’événement à l’heure de son premier disque en major, chez Interscope qui plus est. Et de s’en expliquer dans la presse:
//Oxymoron est bouclé, on vient de le finir. Tout le monde pensait que j’avais un problème avec mon label pour la sortie mais je n’étais juste pas prêt. Donc j’ai continué d’enregistrer et d’enregistrer. Vous savez c’est comme votre bébé, vous voulez être sûr qu’il sera parfait parce que c’est ce qui vous rend plus fort ou vous détruit //
Quitte à rendre tout le monde très impatient donc.
_
ScHoolboy Q – Collard Greens (feat. Kendrick Lamar)
_
Pour la bonne cause, qu’on se le dise. En effet, impossible d’être déçu par Oxymoron si on a aimé ScHoolboy jusque là. Véritable curriculum vitae de son auteur, tout ce qui fait ou a fait Q est condensé dans 70 minutes de testostérone et de crapulerie en tout genre. On pouvait reprocher à « H&C« d’être un peu trop une carte de visite, partant dans tout les sens pour en montrer le plus possible, ici il prend le temps de se poser, de créer une ambiance, une atmosphère, un vrai monde à lui. Par contre faut avoir le cœur solide parce qu’il n’y a pas la moindre place pour la flânerie ou les sentiments à l’eau de rose. Ça tabasse tout du long, un long limage auditif sans le moindre préliminaire avec le violent et très bon Gangsta d’introduction jusqu’au corrosif Fuck LA de fin.
Il y a quelque chose d’assez hypnotique dans cet opus, qui donne envie d’y aller jusqu’au bout. Que ce soit dans les productions (la boucle piano d’Alchemist sur Break the Bank, celle toute aussi entêtante du sample de Blind Threats,…) ou l’interprétation à la fois crue et authentique de Q, on est happé par cette machine qui tourne à fond les ballons. A son désavantage parfois.
Sans la moindre bande d’arrêt d’urgence, on essaie de trouver de l’oxygène là où il y en a. Et c’est forcément sur les temps faibles que l’on mise pour récupérer du choc. (Mal)Heureusement ils sont très peu nombreux (The Purge en tête de liste qui pour le coup est beaucoup trop répétitif ou His & Her Friend).
L’autre moyen de souffler c’est sur les titres plus « fumeux » où le chill prend la place de l’hardcore primaire. Et il est d’ailleurs dommage qu’il n’ait pas trouvé un meilleur équilibre entre ces deux domaines où il excelle et qui aurait sûrement rapproché le disque de l’album parfait. Des Grooveline pt.II, la seconde partie de Hoover Street, Prescription et même le marrant Los Awesome (avec Jay Rock et produit par Pharrell pour l’un des rares titres à consonance « pour les clubs ») auraient du trouver un peu plus d’écho dans la tracklist finale.
_
ScHoolboy Q – Break the Bank
_
ScHoolboy Q – Gangsta
_
Le truc, c’est qu’il maitrise tellement bien cette violence pure qu’il paraît difficile de lui en vouloir. On sent que c’est vraiment son kif, qu’il y met toutes ses tripes niveau texte et interprétation et la qualité s’en ressent directement. D’ailleurs chaque titre pris à part est une réussite qui va du bon « morceau d’album » jusqu’au quasi classique instantané pour certains (citons de nouveau Fuck LA, Break the Bank, Gangsta mais aussi Hell of a Night, peut être son meilleur morceau en terme de mceeing). C’est lorsqu’il faut tout avaler d’une traite que la chose est plus compliquée, sans être insurmontable non plus. Et puis comme dit plus haut, c’est assez fort et hypnotique pour empêcher de décrocher.
L’authenticité du mec est assez nette et on ne peut que se laisser embarquer. De son adolescence dans le gang des 52 Hoover Crips (dont il parle sur Hoover Street du nom de son quartier) jusqu’à son emprisonnement en passant par son addiction à certaines substances dangereuses ou encore la naissance de sa fille (présente en fond sonore sur certains titres, notamment le beau Prescription), ScHoolboy Q dépeint de manière aussi lucide que dure plusieurs pans de sa vie. Un aspect que l’on retrouvait très bien sur l’album de Lamar également sans le côté poétique torturé de ce dernier.
_
ScHoolboy Q – Fuck L.A.
_
D’ailleurs, les comparaisons entre les deux albums sont quasiment naturelles, bien qu’injustes finalement. Et cette question que tout le monde se posait: peut-il faire mieux que son collègue ? Lui qui n’a pas hésité à dire dernièrement dans un de ses titres qu’il était temps qu’il vienne prendre place sur le trône de Kendrick.
Sincèrement, on n’est pas certain qu’Oxymoron a autant de profondeur et de portée que le Good Kid M a a d City. Il n’empêche qu’il en reste un opus de qualité comme on pouvait logiquement s’y attendre. Un très bon rappeur -qui en plus a su s’améliorer-, une belle liste d’invités (les copains Kendrick, Jay Rock, SZA, Tyler, 2 Chainz et les anciens Kurupt, Suga Free, Raekwon) une grosse équipe de producteurs pour créer un ensemble homogène (les « stars » Pharrell, Mike Will Made-It, Alchemist, Tyler auxquels répondent excellemment les mecs du crew Nez & Rio, DJ Dahi, THC et surtout Sounwave qui prouve une fois de plus tout le bien que l’on pense de lui), de la sincérité et ce qu’il faut de flair pour être dans le coup. Le mélange est savoureux et devrait permettre à son géniteur de s’assurer un succès mérité. Et d’assoir encore un peu plus la galaxie TDE/Black Hippy comme l’une des forces en présence du rap actuel.
_
Tracklist:
1. Gangsta
2. Los Awesome (feat. Jay Rock)
3. Collard Greens (feat. Kendrick Lamar)
4. What They Want (feat. 2 Chainz)
5. Hoover Street
6. Studio (feat. BJ The Chicago Kid)
7. Prescription - Oxymoron
8. The Purge (feat. Tyler the Creator & Kurupt)
9. Blind Threats (feat. Raekwon)
10. Hell of a Night
11. Break the Bank
12. Man of the Year
13. His & Her Friend (feat. SZA)
14. Grooveline pt.II (feat. Suga Free)
15. Fuck L.A.
_
_
_