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Le modèle de production et de consommation à élaborer dans une
perspective socialiste est fondamentalement différent de celui d'une
société capitaliste où l'aiguillon unique du profit privé fait de "la
production pour la production" et de son corollaire : "la consommation
pour la consommation" la "loi immanente et coercitive"
du capitalisme, comme le disait Marx.
Le refus socialiste de ce modèle de la "société de consommation"
ne signifie nullement le refus d'une société dans laquelle chacun désire
très légitimement acquérir les moyens qui le libèrent des travaux
répétitifs et pénibles afin de conquérir l'espace nécessaire et le temps
d'une vie proprement humaine. Refuser par principe les fruits du
progrès technique, les richesses créées par le travail et le génie des
hommes, comme ont parfois tendance à le faire les actuels dirigeants
communistes chinois, c'est une forme d'austérité archaïque et, finalement,
de malthusianisme, tout à fait contraire à l'esprit du marxisme.
Autre chose est de combattre la production et la consommation de
ces biens, autre chose de combattre l'usage aliéné qui en est fait dans
une société fondée sur le seul profit et l'intérêt, où la voiture, au lieu
d'être économie de temps, devient fin en soi, obsession et servitude,
la télévision au lieu d'être moyen d'information devient instrument
de conditionnement psychologique et idéologique rompant les relations
sociales.
Ce que le socialisme condamne dans la "société de consommation"
c'est d'abord un système social dont le moteur est le profit et où les
articles produits en masse étant les plus rentables, il faut créer artificiellement
des besoins pour les écouler : une pression constante est
alors exercée, non seulement par la publicité mais par l'ensemble
des rapports sociaux (lutte de prestige, etc.) pour façonner les comportements
stéréotypés dont le lancement des "idoles" pour les jeunes
est l'expression la plus apparente, l'élément déterminant de la diffusion
d'images publicitaires non de besoins humains, personnels, mais
de réflexes conditionnés montés dans les officines de publicité.
En outre, ces prétendues "sociétés de consommation" interdisent
l'accès à l'opulence à des couches entières de déshérités, la saturation
des besoins "solvables" faisant croire à une "surproduction" alors
que subsiste une insatisfaction profonde de larges masses de consommateurs.
Enfin le propre de ces "sociétés de consommation", en régime
capitaliste dominé par les seuls mécanismes du profit, c'est de privilégier
les besoins individuels au détriment des besoins sociaux qui
ne s'expriment pas sur le marché : culture, habitat, santé, etc.
Un tel modèle de consommation n'est pas seulement un phénomène
économique : il a une signification humaine. Il est appauvrissement
et mutilation de l'homme. Les relations sociales tendent à se réduire
aux seules relations mercantiles, et "l'être" de l'individu tend à se
définir par son seul "avoir".
Le propre du socialisme est précisément, comme le montrait Marx,
d'arracher l'homme à la force d'inertie des mécanismes du capital, aux
aliénations d'une société fondée sur le profit, où sont inversés les
rapports du sujet et de l'objet, et où, mettant fin à la subordination
de l'homme aux choses, chacun est en mesure de s'interroger sur les
fins, la valeur et le sens des mécanismes pour les transformer et les
maitriser.
Roger Garaudy, 1968
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