Aaaah, gros soupir de soulagement : apparemment, le petit appendice ministériel en charge de l’innovation, des PME, de l’économie numérique et des lolcats sur internet, après avoir quelque peu merdouillé en périphérie du crowfunding, a revu sa copie et les plafonds d’investissement au travers de ce moyen. C’est, on peut en être sûr, une vraie bonne nouvelle pour les startups françaises.
Pouvant en effet lever jusqu’à un million d’euros en faisant appel aux donateurs par Internet, et sans devoir recourir systématiquement à l’épaisse brochure requise par l’Autorité des Marchés, on imagine sans mal le nombre d’initiatives passionnantes et d’inventions excitantes qui vont pouvoir se développer sur le sol français avec ce genre de facilités.
Et puis, ne l’oublions pas : comme c’est joliment encadré par l’État, cela va forcément porter ses fruits et inciter les uns et les autres à s’y investir dans tous les sens du terme. Et comme tout ceci se passe avec la souplesse réglementaire habituelle dans ce pays, on peut garantir que les entreprises qui se lanceront dans ce type d’ouverture de capital paveront la voie d’un monde plus innovant, plus dynamique et plus rigolo.
Je dis plus rigolo, parce qu’en réalité, c’est vraiment la seule chose de sûre concernant ce genre d’innovation fiscale. Et je ne prends guère de risque en affirmant que les péripéties rocailleuses qui attendent les joyeux entrepreneurs à l’orée du bois fiscal leur offriront toute une panoplie de sensations nouvelles lorsqu’ils devront les expérimenter.
J’en veux pour preuve le Crédit Impôt Recherche, magnifique innovation fiscale introduite en 1983 et massivement remaniée de nombreuses fois depuis. S’il a certes permis à nombre d’entreprises de bénéficier d’une certaine indulgence fiscale en permettant de jolies déductions en échange d’une vraie R&D interne, il est devenu un extraordinaire hachoir à entrepreneur à mesure que les finances étatiques se sont appauvries et que les facilités de crédit se sont taries.
Et pour illustrer mon argument, laissez-moi vous conter l’histoire malheureusement très banale d’un créateur d’entreprise innovante, lauréat d’un pôle de compétitivité, et bénéficiaire de ce fameux crédit d’impôt recherche en 2009 et en 2010, et à présent en redressement fiscal pour n’avoir pas compris les subtilités cachées dans la fiscalité française.
Après des années de recherche et de développements dans le packaging, l’entrepreneur se lance et crée sa propre société en 2007, dépose et obtient des brevets pour commercialiser le produit résultant de l’innovation. D’autant que rapidement, les plus grandes marques de produits de luxe et de la grande distribution deviennent ses clients. Ce n’est pas un hasard puisque le produit proposé répond bien à des contraintes précises et complexes. En 2008, l’entreprise obtient le statut de Jeune Entreprise Innovante, ce qui permet d’embaucher du personnel et de commencer à négocier des licences sur les brevets.
Euphorie du moment, croyance un peu naïve dans sa bonne étoile, confiance trop raisonnable dans les services rendus par les services de l’État, allez savoir ce qui pousse l’entrepreneur mais le fait est qu’au tournant de 2010, il dépose un dossier de Crédit d’Impôt Recherche pour l’année 2009, pour un montant total de 170.000 euros (soit 40% des sommes effectivement dépensées sur l’année en recherche, brevets, prototypes et salaires d’ingénieurs). Le fisc examine le dossier et, comme dans tout bon piège qui se respecte, le valide avec un grand sourire.
L’année 2011 arrive et avec elle, le montant, en cash, du CIR de 2009, directement viré sur le compte de l’entreprise par le fisc. En effet, grâce au statut de Jeune Entreprise Innovante, elle n’est pas imposable. Ceci tombait fort à propos puisque, la crise étant passée par là, quelques dettes s’étaient accumulées ainsi qu’un retard de cinq mois de salaire des employés. Réduisant ses dépenses, l’entreprise survit cette année encore et le patron peut déposer un nouveau dossier de CIR pour l’année 2010, dont le montant sera toutefois bien plus faible, à 90.000 euros. Dossier qui sera validé et montant qui sera versé en 2012 directement sur le compte.
Malheureusement, la crise s’étant prolongée, l’argent servira surtout à éponger le licenciement de trois des employés. Seul l’obtention d’un contrat de longue durée en Allemagne (avec un mi-temps à Francfort) permettra de maintenir la société à flot, de payer le maintien des brevets, et éviter la faillite pure et simple.
Et comme tout est en règle, le redressement sera bien maigre. C’est, bien évidemment, insupportable. Et donc, dans un second temps, l’inspecteur des impôts va chercher :
« En tant qu’inspecteur des impôts, je suis ravi de voir votre petite entreprise innover, gérer tout bien comme il faut et remporter des contrats à l’étranger. Mais je ne suis pas un technicien et je ne peux pas juger de la qualité de vos travaux. Je demande donc une expertise au Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. »
Ce qui se traduit concrètement, pour le chef d’entreprise en péril, par la constitution inopinée de dossiers énormes pour expliquer le caractère innovant de chacun des projets, détaillant l’affectation de toutes les dépenses et l’utilisation de chaque heure d’ingénieur. Tout ceci représente bien sûr des mois de travail kafkaïen.
Travail qui sera bien évidemment ensuite utilisé contre le (salaud de) patron qui aurait mieux fait de faire l’ENA ou pizzaiolo dans un Flunch (ça, c’est connu, balisé, sans risque, sans recherche, sans innovation, et surtout salarié). La réponse du Ministère tombe, cinglante :
« Tous vos projets sont qualifiés d’innovation et ne sont donc pas éligibles au titre de la Recherche ! »
Eh oui, pour l’État, lorsqu’on fait de la recherche, c’est pour cramer de l’argent pour la beauté de la science. Ça n’a rien à voir avec l’innovation qui aboutit connement à développer un business et créer des emplois. Et bien évidemment, le refus du ministère se traduit mécaniquement par la mise en demeure de rembourser la totalité des sommes perçues (et une bordée de pénalités sans lesquelles le fisc ne serait pas vraiment le fisc).
Le patron se retrouve donc à devoir rembourser seul ce qu’il a touché quelques années plus tôt pour plusieurs personnes, ce qui condamne inéluctablement l’entreprise à la fermeture définitive.
Hourra, les efforts du fisc ont payé, juste à temps ! Un peu plus et la France aurait pu s’enorgueillir d’une réussite industrielle, ce qui aurait fait tache dans le tableau global de destruction, de mesquinerie et de vilénie habituelle du bras armé de la mafia étatique.
Bizarrement, ce cas n’est pas unique, loin s’en faut ; ils se multiplient, même. Tenez, par exemple, Gravotech :
On pourrait croire que les cas cités (celui de mon patron d’entreprise innovante et celui de Gravotech) sont des cas particuliers. Il n’en est rien : il s’agit, véritablement, d’une démarche concertée, planifiée, décidée de la part de l’institution fiscale dans le but de récupérer les sommes qui furent accordées il y a quelques années. Je l’ai dit ailleurs : l’état n’a plus d’argent, et préfèrera se servir sur la bête, sucer l’hôte quitte à le tuer, plutôt qu’envisager, ne serait-ce qu’une minute, une diminution de ses dépenses et changer ses habitudes et son train de vie.
Si l’histoire nous enseigne quelque chose, c’est que l’État ne donne jamais, jamais ô grand jamais, d’une main ce qu’il ne va pas reprendre de l’autre, avec intérêt et quelques tartes dans la gueule pour faire bonne mesure.
Et de la même façon que le Crédit Impôt Recherche est devenu un véritable piège qui se referme sur les petites entreprises françaises, on peut parier que le crowdfunding tel qu’envisagé par le gouvernement se terminera en séance de torture chinoise dans les années qui viennent.
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