C'est jeudi. Jeudi qu'il s'en va. Jeudi, il n'y aura plus de gardes, plus de patients, plus de malades. Plus d'infirmières, plus d'examens, plus de résultats. Plus de conférences, plus de colloques, plus d'articles à écrire. Plus de diagnostics à effectuer, plus de traitement à préconiser, plus de protocole à appliquer, plus d'ordonnances à rédiger, plus de soins à prodiguer.
Cinquante années d'une vie entièrement dévouée à la médecine, et jeudi, c'est fini. Plus de bonus, plus de rallonge, plus de come back, plus rien. Jeudi c'est la porte, la quille, le pot de départ en retraite. Le mot est lâché. Retraite. Un mot dont on n'appréhende pas très bien les contours, ni le contenu. Un mot étrange à ses oreilles et à celles de ses proches aussi d'ailleurs. Mais vendredi il y aura quoi ? Il y a eu la passion, les études, les années d'internat, les années de gardes, accroché au téléphone. Les années où les jours noirs et les nuits blanches se succédaient et s'emmélaient dans un chaos exquis, dans une mécanique aléatoire fluide. Et vice versa. Il y a eu les années folles, les années de gloire, où il a monté tout un service, son service. Tous ces patients traités, toutes ces victoires remportées, tous ces visages gravés. Sans doute quelques mystères affrontés, les larmes au coeur. Mais toujours un lendemain. Et le lendemain de jeudi, alors, il y aura quoi ?
Cinquante années à soigner l'Autre, à aimer l'Autre. Cinquante années sur lesquelles il faut désormais tourner une page, ce n'est pas facile. Ce jeudi, un grand médecin part en retraite, mais un grand médecin, c'est avant tout un grand homme. Et l'homme, il reste, et il se réinvente.