Note 2/5
Que se passe-t-il dans l’univers de Jim Jarmusch ? Dès ses tout premiers films, le cinéaste s’est imposé comme un artiste majeur dont chaque œuvre était une réussite. Mais après la sortie de Broken Flowers en 2005 la machine semble se détraquer.
En 2009 The Limits of control est critiqué très en dessous de ces précédents projets et désormais Only lovers left alive confirme la tendance. A soixante et un ans et après treize longs métrages Jarmusch perdrait-il le sens de ses mises en scène puissantes et singulières ?
© Pandora Film – Exoskeleton Inc.
Le bilan de ce dernier film est bien triste. Il en ressort une naïveté adolescente transportée par ses personnages creux. Qu’y a-t-il à dire d’eux ? Ce sont des vampires, ils s’aiment mais vivent à l’opposé du monde ; Adam est un musicien déprimé par le comportement des Hommes appelés « zombies ». Rien que leur nom transpire le clin d’oeil grossier : Adam (Tom Hiddleston) et Eve (Tilda Swinton).
Pour tenter de leur donner de la consistance, Jim Jarmusch leur imagine une histoire fantastique : ils ont côtoyé les grands noms de l’histoire et ont eux-même été influents dans les arts et les lettres, accordant gracieusement une partition à Schubert ou des pièces à Shakespeare. Loin de les nourrir, ces récits prétentieux parsemant le film nous confortent dans l’égocentrisme des protagonistes et dans le manque d’imagination de leur narrateur. Ce couple pseudo-romantique méprise les zombies incapables de gérer les territoires et les populations, ignorants qui plus est. Mais il méprise aussi les vampires « nouvelle génération » comme la petite sœur d’Eve qui profite des pouvoirs de l’immortalité et joue de l’attirance des zombies pour leur caste « nettement supérieure ». Bien que la musique d’Adam soit adulée dans les soirée underground de Détroit, ces vampires jouent dans une autre catégorie, ce sont des snobs de longue haleine qui ne descendent parmi la populace que pour subvenir à leur besoin sanglant. Ainsi Tanger s’arrête aux ruelles de contrebande et le dépeuplement de Détroit n’est autre qu’un fait social bien arrangeant.
Afin de poursuivre le tableau pathétique de ses personnages, Jarmusch les condamne à appeler ridiculement chaque chose par son nom latin : un supplice ! Ainsi quand Adam ou Eve croise un chat dans la rue, il se stoppe immédiatement et, pétrifié, le nomme « Felis Silvestris Catus » comme si cette rencontre était un signe de providence. S’ajoute à cela des déclarations poético-scientifiques sur des faits connus des vampires uniquement, comme l’existence d’un diamant musical sur la Lune… Ce qui pourrait composer un scénario burlesque est pris très sérieusement et placé dans un univers réaliste balayant tout soupçon de second degré.
© Pandora Film – Exoskeleton Inc.
Les comédiens se dépatouillent avec ces personnages pour leur donner de la prestance, mais pour des vampires ils n’ont vraiment rien à se mettre sous la dent. Adam et Eve semblent destinés à errer pour l’éternité : balades nocturnes à pied dans Tanger et balades nocturnes en voiture à Détroit. Si nous pensons alors retrouver la forme de son premier film Permanent Vacation, nous comprenons seulement l’ennui de ces deux êtres face à l’immortalité. Les sorties discrètes dans Détroit font office de passe temps pour varier à leur seconde occupation : l’écoute des titres d’Adam. Las de la longue vie qu’ils traînent derrière eux, Adam et Eve ne trouvent du plaisir qu’à savourer un sang pur et buller ensemble en robe de chambre. L’immortalité n’est pas perçue comme un pouvoir mais bien un fardeau, les obligeant à assister au pourrissement de leur environnement. Leur ennui a la mélancolie d’une fougue d’antan, seul élément d’empathie pour le spectateur qui se languit au souvenir des scénarios précédents du réalisateur.
Il nous reste alors à nous raccrocher à l’esthétisme du film. La musique est excellente, les images magnifiques et les décors et costumes très riches et détaillés. Mais malheureusement ce n’est pas un clip et nous attendons une histoire au milieu de tout cela. Une embrouille avec Ava, la sœur vorace d’Eve, fait office de climax au milieu de leur perpétuelle et redondante quête de sang de bonne qualité. Autant dire que rien ne vient rattraper le manque de profondeur des personnages antipathiques.
Pour conclure, tous les éléments méritant de l’intérêt sont placés dans la bande annonce envoûtante et mystérieuse promettant un univers digne du réalisateur, bien loin du résultat obtenu. Du film bourré d’intentions fortes on retiendra l’ennui et la préciosité exagérée de ces personnages aussi pâles que leur peau.
Marianne Knecht
Film en salles depuis le 19 février 2014